LES AVENTURES D'EDDIE TURLEY.

Georges Londeix, Cinématon, éditions Henri Veyrier, 11 février 1989.

Avec Les Aventures d’Eddie Turley, vous inversez, le Cinématon, dont on pourrait dire en reprenant Marcel Duchamp : « L’idée d’immobilité doit naître du mouvement ». Au fond, donc, on est toujours dans la même dialectique.
La trame : un bluff pur. À moins que les repères m’aient échappé. Rien à voir par exemple avec Blow up. Quel énorme détournement (d’avion, de fleuve), vous réalisez en proclamant qu’il s’agit avant tout d’un film d’aventures !
La trame de votre film est aussi bête que la course. J’espère que même un court instant le mot « bête » ne vous aura pas fait « tiquer », et sans doute devrais–je interrompre ici, à ce mot « bête », un discours qui menace de durer.
Philipe Dubuquoy courant : belle, sa foulée !
Avant de lui emboîter le pas, je voudrais dire un mot de la planète où se déroule « ce film d’aventures ». Lieux à peine déguisés. On lit 92 sur les plaques des autos ; de plus, pour ce qui me concerne, je vois des visages d’autant plus manifestement terriens qu’ils sont de cinématophiés ou cinématonés notoires : Françoise Michaud, le très cher F.J. Ossang (taisément du Cantal comme moi), d’autres, peut–être tous...
Donc une métaphore de notre monde le plus proche, le Paris quotidien et les grands voyages culs–de–sac (triple mot manifestement sorti de « sac à dos »). Un monde dont les vivants ressorts d’aliénation seraient comme brisés et les démons médiatiques muselés, en même temps que les trucs du récit convenu grand public — sans doute par le biais de ces photographies filmées « cut » et fixes. C’est bien ainsi. Point cet hypocrite malentendu qui a fait la fortune des romans de Manuel Puig. Aucun risque que le récit de Gérard Courant fonctionne comme récit courant ordinaire. Pas tout de suite, du moins. Il faudrait presque un changement de monde pour que les gens voient votre film aussi naturellement qu’ils voient du qui–on–voudra. Une génération au moins. Nulle machinerie médiatique si puissante fût–elle ne saurait raccourcir ce délai. C’est bien ainsi, non ?
Toutefois, il y a la VOIX. Je m’interroge. Je ne parviens pas à mesurer le degré de distance que vous prenez par rapport à ce long récitatif — toujours beau, mais jouant sur différents registres, semble–t–il. Au fait, en êtes–vous l’auteur (collages compris, évidemment) et pourra–t–on lire le texte ?
La trame est bête, ai–je mis plus haut. Bête comme la course ; une course qui dans le cas présent serait très solitaire (non pas celle fameuse de Sillantoe du coureur de fond — ces gens–là sont le plus souvent en petits et parfois gros troupeaux – je pense plutôt à une tentative de record mais sans public ni lièvres, très personnelles, si ce dernier mot était permis ici, à propos d’un héros si anonyme.)
Il se peut que je touche... que vous touchiez, là, un semblant de réponse à la question que nous nous sommes posé deux ou trois fois (et c’est une de mes plus belles découvertes, une question faite pour n’être jamais tout à fait « répondue ») : Comment faire un film sur le foot ?
De tous les sports, c’est le plus follement mouvementé — on bouge sans arrêt. À l’opposé, le rugby a ses longs temps morts, le foot ball américain plus encore, plus encore le base–ball ; même la course à pied ; un « cent mètres » dure si peu dans un meeting que c’est l’avant et l’après que le spectateur vit et revivra ; la photo flash de l’arrivée ; les starting–blocks — car tout le cent mètres est là, bloqué dans ces tenailles mâchoires de la ligne de départ — et le meeting sera peut–être surtout des gars là–bas qui s’entraînent en survêt pour l’épreuve du lancement du poids...
Dans le paragraphe ci–dessus, j’essaie de mesurer le temps réel. Je sais bien que votre question est autre : qu’est–ce qui figurera le mieux en temps réel ? (Toute avant–garde ne proclame–t–elle pas un nouveau réalisme plus réaliste que tout ce qu’on a déjà vu ?)
Je note au passage que le mot « discours » ressemble au mot « course ». Mais on s’endormirait à disserter là–dessus.
À propos... J’étais sommeilleux au début des Aventures d’Eddie Turley, avant–hier après midi à l’Empire salle Corail ; remué bizarrement par le film d’avant (Eating Raoul), mauvaise aération je suppose. Somnolence, mais tout le contraire de l’ennui, du désintéressement. Pendant les plus beaux spectacles que j’ai jamais vus, j’ai dormi (par bouts de trente secondes à cinq minutes). Je n’irai pas jusqu’à dire que les mauvaises pièces n’ont pas sur ma personne cet effet. Qui tient sans doute à ce que les vieilles salles parisiennes sont confinées, mal ou pas du tout climatisées. Mais, dans le cas des pièces médiocres, il faudrait parler d’effet « soporifique ». Pour le vrai grand théâtre, ce serait plutôt l’HYPNOSE. Un degré supérieur et second de participation. J’avais éprouvé cela avec Le Regard du sourd, de Bob Wilson.
Rêver la scène. Va–et–vient onirique. Cela m’est arrivé pour la première fois dans Le Soulier de satin. Et encore à la Cartoucherie, avec le merveilleux 1789 d’Ariane Mnouchkine, joué à peu près en plein air, alors...
Je n’ai pas voulu m’abandonner trop à cette expérience–là, l’autre après–midi. Ou bien, le rythme de votre film contenait–il, avec sa drogue de sommeil, sa drogue d’éveil ? Je me suis mis à régler ma respiration sur la succession des photos (2400, dit votre annonce — réalisées à partir de 7000 clichés à travers le monde) ; j’ai ainsi constaté que leur durée était variable, ce qui fait que j’ai parcouru, dans mon fauteuil, une sorte de marathon, puisque 85 mn ; un marathon tout juste un peu raccourci, pas tout plat, avec des creux et des rampes, des accélérations et des ralentissements, tout à fait ce qu’est dans la réalité un marathon : un long steeple–chase.
Quand le souffle se précipitait : les rencontres. Corps à corps ou embrassades. Superbe, celle de Joël Barbouth et Dubuquoy...
Le film vous institue entre autres titres, photographe.
J’ai aimé les photos de montagne. Les photos de neige. Beaucoup aussi, avec le texte, les photos de Lola. À tomber amoureux d’elle désespérément.
Très beau moment lyrique.
Panne. Mon discours finit là. Sur une envie furieuse de revoir le film.

 


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