Année : 1987. Durée : 1 H 30'
Fiche technique :
Réalisation, scénario, image, montage : Gérard Courant.
Banc-titre : Frédéric Papon.
Son : Gérard Courant, Bertrand Bourgoin.
Musique : Jean-Noël Longhi, Jean-Loup Lepagnot, Silvano Balestra, Philippe Klein.
Mixage : Michel Commo.
Interprétation : Philip Dubuquoy, Françoise Michaud, Joël Barbouth, Mariola San Martin, Lucia Fioravanti, Joseph Morder, Gérard Tallet, F.J. Ossang, Jaques Dutoit, Eva Zelinkova, Baxter, Jean-Marc Raynal, Epi Melopoulou, Lou Castel, Alain Pacadis, Dominique Païni, Gérard Courant, Michel Courant, Alain Bergala, Yann Lardeau, Alain Philippon, Benoît Couchepin, Semya Friedlaender, François Gauthey, Claudia Isler, Renaud Lieberherr, Sabine Pirolt, Juliana Saenz, Christine Tschanz, Claude Wampfler, Claude Oeuvray, Nathalie Beurret, Jacob Weizbluth, Bernard Léonard, Francis Delbert.
Production : Arane (Véronique Failliot, Jean-René Failliot).
Directeur de production : Bernard P. Guiremand.
Distribution : Les Films Singuliers.
Voix off : Hubert Lucot.
Tournage : juin 1983 à mars 1987, Paris (France), Berlin-Ouest (République Fédérale d’Allemagne), Berlin-Est (République Démocratique Allemande), New York (États-Unis d’Amérique), Montréal (Canada), Bienne (Suisse), Grenoble (France), Dijon (France), Aix-en-Provence (France), Bruxelles (Belgique), Calais (France), Cannes (France), La Chaleur (France), Dieppe (France), Genève (Suisse), Manali (Inde), Mars (France), Marseille (France), Metz (France), Montpellier (France), Munich (République Fédérale d’Allemagne), Neuilly-sur-Seine (France), Plaisir (France), Prades (France), Roanne (France), Roissy (France), Saint-Marcellin (France), Vienne (Autriche), les massifs de la Chartreuse (France) et du Vercors (France), le Jura suisse, l’Himalaya indien, le lac du Bourget (France), le lac Champlain (Canada), la Côte d’azur (France), l’île de Crète (Grèce) , l’île de Karpathos (Grèce), l’île de Sifnos (Grèce), l’Afghanistan, la Norvège.
Format : 35 mm.
Procédé : Noir et blanc.
Collections publiques :
-Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
-BnF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
Première projection publique : 13 mai 1987, Perspectives du Cinéma Français au Festival de Cannes (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Perspectives du Cinéma Français, Festival du film, Cannes (France) 1987
-Rencontres Cinématographiques, Prades (France) 1987
-Festival International du Super 8, Bruxelles (Belgique) 1987
-Cinémathèque Française, Paris (France) 1987, 1991
-Festival Sigma, Bordeaux (France) 1987
-Festival du Cinéma Français, Tübingen (République Fédérale d’Allemagne) 1988
-Festival du film, Würzburg (République Fédérale d’Allemagne) 1988
-Marché du film, Festival de Berlin (République Fédérale d’Allemagne) 1988
-Festival du film, Cologne (République Fédérale d’Allemagne) 1988
-Festival du Cinéma Indépendant, Châteauroux (France) 1990
-Semaine du Cinéma Expérimental, Madrid (Espagne) 1991
-Festival du Film Chiant, Paris (France) 1997
-Télévision OSF, Paris (France) 1998
-Musée d’art moderne et d’art contemporain, Strasbourg (France) 2001
-Télévision Zaléa TV, (France) 2001
-Festival Filmer à tout prix, Bruxelles (Belgique) 2006
-Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis) 2011
-Cinéma expérimental Acte 2, Rétrospective Gérard Courant, Dijon (France) 2011
-Site YouTube, 2012.
-FIFIGROT (Festival International du Film Grolandais de Toulouse), Toulouse (France), 2016.
-Cinemateca Portuguesa, Lisbonne (Portugal), 2017.
Prix, récompenses, distinctions, palmarès :
-Fait partie de la liste des 191 Films de science-fiction français, site Wikipedia en français, 2010.
-Fait partie de la liste de 6 films, Among my favorites movies, établie par micpoirier, IMDb (Etats-Unis d’Amérique), 2013.
-Classé 4ème meilleur film de l'année 1989 par Pierre Audebert, site Zoom arrière, 2016.
-Fait partie de la liste de 583 films, Hand me the Leisure section Mabel, I’d like to see what’s playing at the cinema, établie par Bob Jolly, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande) (classé en 2019).
Sortie : Cinéma Épée-de-Bois à Paris (France), 26 avril 1989.
Venu des Pays Extérieurs, l'agent secret galactique Eddie Turley visite Moderncity, une cité sans âme et robotisée.
Il mène une enquête confidentielle sur le comportement étrange et inquiétant de ses habitants. Une enquête longue, délicate et dangereuse.
Il rencontre Lola, une jeune femme qui le guide à travers ce no man's land, puis Akim, un mutant sympathique, traqué par les hommes du Roi.
Moderncity est dominé par un Roi fantomatique et irréel qu'Eddie Turley ne parvient pas à rencontrer.
Eddie Turley se sent de plus en plus menacé par des individus au service d'un ordre supérieur. Il échappe de peu à plusieurs traquenards, mais il est fait prisonnier le jour où il pénètre dans le Palais du Roi. Il réussit à s'enfuir. Mais il sait que ses jours sont en danger.
Grâce à un système savant récemment mis au point par les chercheurs des Pays Extérieurs, Eddie Turley peut subtiliser tous les clichés photographiques pris par le Ministre des Images, l'agent double Mariola. Chaque jour, Eddie Turley envoie des images ainsi détournées dans les Pays Extérieurs par le truchement du satellite espion d'observation Recors. Ces documents sont analysés puis le résultat est aussitôt transmis à Eddie Turley.
L'agent secret subit une série d'événements irrationnels qui le troublent et lui font douter de sa mission.
Il apprend que la Dame du lac conserve les rêves dans les montagnes. Dans quel but ? Il ne le sait pas.
Il se trouve dans un block hous où des adolescents sont enfermés et simulent la vie de la surface avec une petite caméra de cinéma.
Par inadvertance, il entre dans les profondeurs de la terre et se trouve dans la Chambre des Couleurs. Moments angoissants où Eddie Turley se bat avec des couleurs. Il en sort vainqueur.
Mais son travail acharné pour découvrir les dessous de la dérive de ce monde est couronné de succès. Il découvre que le Roi n'existe pas. À sa place, c'est un ordinateur qui gérait la destinée des hommes. Il détruit l'ordinateur et la population, débarrassée de la tyrannie électronique, est libérée et sort dans les rues pour fêter l'événement.
Eddie Turley et Lola quittent Moderncity et s'envolent pour les Pays Extérieurs.
(Gérard Courant)
On the 15th of May of the year of the two suna the secret agent Eddie Turley, from the Exterior Lands, made an interstellar voyage toward Moderncity which he visited for several months.
He conducted a confidential investigation there on the strange and disturbing behavior ot its inhabitants. A long, tricky and dangerous inquiry indead.
(G. C.)
Sur un thème d’aventures de science-fiction, Gérard Courant compose un hommage à l’Alphaville de Jean-Luc Godard, aux détectives privés du cinéma américain, à David Goodis et à ses métropoles inhumaines, etc. Ce n’est qu’un prétexte à une expérience de film entièrement fait d’images fixes.
Gérard Courant a parcouru le monde, réalisé sept mille clichés, retenu deux mille quatre cents photographies pour construire, au banc-titre et au montage, un superbe univers imaginaire en noir et blanc. Des voix off donnent une sorte de vie parallèle à des ombres, à des silhouettes ou à des visages entrevus. Ce pourrait être de l’anti-cinéma, c’est du cinéma réinventé à la mesure des rêves.
(Jacques Siclier, Le Monde, 27 avril 1989)
A science fiction adventure and tribute to Alphaville by Jean-Luc Godard: with American movie detectives, David Goodis and his inhuman cities…etc. A pretext for a movie experience made entirely of still images.
(Jacques Siclier, Le Monde, 27 avril 1989).
Gérard Courant a juxtaposé 2400 photos prises aux quatre coins du monde pour constituer une bande d’aventures tentant de retrouver les délires fauchés des séries B (ou Z) hollywoodiennes, avec des clins d’oeil aux vieux maîtres, de Bogart à Constantine.
(Télé K.7., 2 mai 1989)
Ses images sont belles, dessinant un univers étrange, entre le no man’s land de Wim Wenders et les romans noirs américains.
(L’Express, 28 avril 1989)
Surprise dans la section Séances spéciales de Perspectives (N.B. : « Perspectives du Cinéma Français au Festival de Cannes). Rien que des images fixes, en noir et blanc, et, pourtant, l’illusion du mouvement existe. Gérard Courant a parfaitement assimilé les principes de la bande dessinée, de la photo et du cinéma – sans oublier le son et la musique. Sa fable futuriste, sans effets spéciaux, est « filmée » dans diverses métropoles de notre planète. Pourtant, on est en plein fantastique.
(S.M., Première, juin 1987)
Les Aventures d’Eddie Turley est un véritable appel à la réflexion sur le futur sociétaire.
(Cinéma 89, n° 401, avril 1989)
On est souvent plus proche du détournement d’images, style La Dilaectique peut-elle casser des briques ? ou de l’utilisation du roman-photo par les Situationnistes.
(Jean-Claude Dorrier, Révolution, 24 avril 1989)
C’est un hommage au Cinéma, notamment les films hollywoodiens de série B, les feuilletons, Jean Cocteau, le surréalisme, La Jetée, Alphaville.
(Edwin Jahiel, Facets Features (Chicago), juin 1987)
The Friendliest Audience : Maverick Gérard Courant, President For Life of the Morlock Academy, is best known as the maker of Cinématon, the world’s longest film, an unending series of short portraits of Who’s Who in the arts. His Adventures of Eddie Turley is a mad sci-fi thriller-fable made with 2400 photographs. It is an hommage to cinema, notably Hollywood B-films, serials, Jean Cocteau, surrealism, La Jetée, Alphaville, etc. Because it refuses no cliche, platitude, quote or rip-off, paradoxically it becomes original. Its showing was more happening than orthodox screening, with an ebullient, capacity audience of strangers, acquaintances, Morlocks, and many who appear in Cinématon.
(Edwin Jahiel, Facets Features (Chicago), juin 1987)
Au festival des Films chiants, qui se déroule à la Picolthèque du 25 mars au 3 avril prochain, vous pourrez voir le 3 avril, à 20 heures 30, Les Aventures d’Eddie Turley de Gérard Courant. Entièrement réalisée en images fixes, cette « science-fiction poétique » fut tournée en décors naturels. L’auteur du « film le plus long du monde », le Cinématon (120 heures de portraits de 3 minutes en plans fixes), recompose le mouvement à partir de photographies : il crée un univers fantomatique en noir et blanc, Moderncity, la totalitaire, où évoluent des silhouettes échappées du roman noir américain. Quand Les Aventures d’Eddie Turley furent présentées au festival de Cannes, dans la section Perspectives du cinéma français (ancêtre de Cinéma en France), le cinéma indépendant était au sommet de la vague.
« Ce film n’avait pas eu l’avance sur recettes, ni sur scénario, ni sur film terminé. Il a été présenté au festival de Cannes en 1987 et c’est seulement deux ans après qu’il a pu sortir en salle. D’ailleurs, Michel Poirier, le distributeur du film, m’avait dit, peu après, que si j’avais réalisé ce film quelques années plus tard, il aurait été plus difficile de le sortir, tant la situation du cinéma s’était dégradée ».
« J’ai eu la chance d’arriver à Paris au milieu des années 1970, à un moment où le cinéma indépendant était en pleine renaissance. Mais depuis la fin des années 1980, c’est la lente dégringolade, qui touche aussi les arts plastiques, la musique et le théâtre. L’heure est à la rentabilité à court terme. Tout le monde est touché ».
« Pour en revenir aux Aventures d’Eddie Turley, il faut savoir que j’ai mis quatre ans à le réaliser. Bien sûr, je n’ai pas seulement fait ce film durant tout ce temps-là : j’ai continué à filmer mes Cinématons, à créer des nouvelles séries cinématographiques (Portrait de groupe, Couple, Lire, Avec Mariola) et j’ai réalisé un long métrage en Grèce (À propos de la Grèce).
Pour Eddie Turley, il y a donc eu un an de tournage, à Paris, Berlin, New York, la Suisse, etc., un an pour fabriquer les photographies – en fait, des photogrammes – à partir de la pellicule cinématographique, un an pour les refilmer en 35 mm sur un banc-titre et un an pour le montage. À partir de la pellicule cinématographique, j’ai tiré 7 000 photogrammes dont je n’en ai conservé que 2 400 dans le montage final. Tout le film est fait d’images fixes. Il n’y a jamais de mouvement à l’intérieur d’une image. Ce film était un pari : je voulais démontrer qu’on pouvait faire naître le mouvement qu’à partir d’images fixes. Pardonnez-moi d’enfoncer des portes ouvertes, mais il n’est pas inutile de le redire : le cinéma n’est pas mouvement, il est l’illusion du mouvement ; le cinéma, ne l’oublions pas, ce sont 24 images fixes par secondes ».
« Le pari ne se limitait pas seulement à ces questions techniques : il était également esthétique. Tout le film a été tourné en décors naturels. Je désirais créer un film de science-fiction, qu’à partir d’éléments de la réalité qui existaient au moment du tournage. Tous les décors du film existent réellement : la Défense, Montparnasse, les quais de Bercy à Paris, Manhattan à New York, le mur de Berlin, etc. »
« Bien que je ne sois pas photographe, j’ai toujours eu un rapport privilégié avec la photographie qui est souvent présente dans mes films, sous les formes les plus diverses. Je pense évidemment aux Cinématons qui sont un peu la transposition de la photo d’identité en cinéma ou de la série Portrait de groupe qui en est la transposition de la photo de famille. Mais je pense aussi à des films de long métrage avec un seul personnage féminin, comme Aditya ou Cœur bleu qui, d’une certaine manière, sont proches de la séance photo qui réunit le photographe avec son modèle. Aux quelques rouleaux de pellicules qui donneront une ou deux centaines de photos, ces films proposent un film entier avec un personnage, filmé sous toutes les coutures. Je pense encore à ces films que j’ai tourné image par image (comme À propos de la Grèce, Cocktail Morlock, Baignoire), puis retravaillés à la truca, où le mouvement est complètement recomposé. Enfin, je n’oublie pas que mon premier film, Marilyn, Guy Lux et les nonnes et un de mes suivants, Un sanglant symbole, ont été réalisés qu’à partir de photographies ».
« Avec les Cinématons, assez vite, j’ai voulu faire un film de 24 heures. Mais j’ai rapidement dépassé mes prévisions. Au départ, le projet était simple : je voulais créer une mémoire cinématographique des personnes que je connaissais dans le milieu du cinéma indépendant. Je voulais garder une trace d’eux. Souvent, ils étaient inconnus, mais j’avais toujours, quelque part dans le fond de ma pensée, cette idée que, un jour – peut-être même après leur mort ! – on découvrirait leur œuvre. Et pour ceux qui s’intéresseraient à leur travail artistique, j’étais persuadé que les images de ces Cinématons leur seraient très utiles pour mieux comprendre la démarche de ces artistes ».
« Et puis, rapidement, mon champ de filmage s’est étendu à tous les milieux artistiques. J’aurais peut-être pu me lasser de ne filmer que des gens de cinéma. Rencontrer des peintres, des écrivains, des philosophes, des musiciens, des danseurs fut, à un moment donné, comme une bouffée d’oxygène qui m’a évité de me scléroser et m’a permis de continuer plus aisément les Cinématons. Certaines personnes ne se rendent pas compte combien c’est enrichissant de rencontrer des personnalités aussi diverses. Elles s’imaginent que je fais un travail mécanique, robotique et que je m’intéresse que de façon lointaine aux personnes que je filme. Comment pourrait-il en être ainsi ? Si c’était le cas, j’aurais filmé seulement quelques personnes et le film se serait arrêté de lui-même ».
« Depuis cinq ans, je me suis lancé dans un immense chantier : le travail de montage de ce que j’appelle mes Carnets filmés, qui sont à la fois un journal filmé, des notes de tournages et de voyages, des repérages, des essais de caméra, des rushes, ou encore des films inachevés ou des films ratés, etc. Parallèlement à tous mes autres films, j’ai toujours tourné ces Carnets filmés que j’ai commencé dans les années 1970 et que je n’avais jamais monté ».
« Le cinéma indépendant est actuellement dans le creux de la vague, mais je ne suis pas pessimiste. Il faut se battre pour continuer à faire des films. Il faut maintenir le cap et ne jamais lâcher le morceau. C’est dans les périodes les plus difficiles, que l’on se forge un moral de battant et que l’on fait, parfois, ses meilleurs films. En aucun cas, un artiste ne doit baisser les bras à cause des contingences économiques, politiques ou de quelque sorte que ce soit qui sont défavorables. Il est toujours possible de dégringoler d’un format à un autre : passer du 35 mm au 16 mm, du 16 mm au Super 8 mm ou du Super 8 mm à la vidéo. J’ai tourné sur tous les supports et j’en ai une certaine fierté : 35 mm, 16 mm, Super 8 mm, Vidéo 1/4 de pouce, S VHS, HI 8, Beta, etc. On n’a pas le droit de ne pas filmer pour l’unique raison économique. On trouvera toujours de la pellicule ou de la bande vidéo et un projecteur ou un écran de télévision pour offrir à des spectateurs ses images et ses sons. Ça serait trop facile de dire : c’est plus dur qu’avant, alors je ne fais plus rien. Il faut soutenir Pierre Merejkowsky et son festival car il est la preuve concrète de ce qu’il faut faire. Il faut que Pierre donne des idées à d’autres, que se créent des îlots de résistance un peu partout en France et à l’étranger ».
Rendez-vous avec Gérard Courant :
Le 3 avril 1997, au festival des Films Chiants, à la Picolthèque (3, rue Ferdinand Duval, métro Saint Paul) : Les Aventures d’Eddie Turley.
(Propos recueillis par Michèle Rollin, Le Monde Libertaire, 27 mars 1997).
Dans les films Le Procès d’Orson Welles et Les Aventures d’Eddie Turley de Gérard Courant, un nouvel espace émerge, n’existant qu’à travers le montage corrélant divers lieux en un seul, dans un temps hybride.
(Camille Durand, 2005)
Poursuivons, si vous le voulez bien, notre découverte de l’œuvre de Gérard Courant.
Il y a un terme qui revient assez souvent lorsque j’évoque ses Carnets filmés, c’est celui de « science-fiction ». Or il se trouve qu’en 1987, le cinéaste a réalisé une véritable œuvre de science-fiction.
Les aventures d’Eddie Turley raconte l’histoire d’un agent secret galactique venu des « Pays Extérieurs » (Eddie Turley) pour visiter Moderncity, cité futuriste ressemblant étrangement à notre planète mais privée de tout sentiment, de toute humanité. Lors de son enquête sur les habitants de cet univers soumis à un Roi invisible et à un pouvoir oppressant, il rencontre Lola (la fascinante Françoise Michaud, inoubliable égérie des films de Joseph Morder) qui va le guider et dont il va tomber amoureux…
Cette trame narrative n’a rien de particulièrement originale et rappelle, bien évidemment, l’Alphaville de Godard que Courant cite au générique de fin. Ce qui fait l’originalité et la réussite des Aventures d’Eddie Turley, c’est la forme que le cinéaste donne à son récit. A l’instar de La jetée de Chris Marker, le film de Courant n’est composé que d’une série de photographies (2400 !) prises à travers le monde (de Berlin à l’Afghanistan, de Paris à … Saint-Marcellin !). Images fixes accompagnées d’une voix-off et de cartons poétiques (le film est construit comme une espèce de journal intime d’Eddie Turley) qui recomposent un univers assez fascinant.
Sur le fond, Courant rejoint les grands classiques de la littérature d’anticipation décrivant des contre utopies, du Meilleur des mondes d’Huxley à 1984 d’Orwell. L’observation stricte du présent lui permet de se projeter dans un futur proche, où règne un totalitarisme « soft » (conçu il y a près de 25 ans, le film semble encore plus actuel aujourd’hui), une soumission généralisée à un Pouvoir pourtant invisible, un contrôle parfait des individus amputés de leurs sentiments.
Mais ce qui pourrait n’être qu’une « vue » de l’esprit, une dénonciation presque trop « théorique » de l’inhumanité gagnant nos sociétés (c’est d’ailleurs ce que Godard reproche lui-même, sans doute à tort, à Alphaville) prend sa force par la manière dont les photographies ancrent l’oeuvre dans le présent et dont le montage de ces clichés imprime un mouvement réinventant des situations assez convenues (mais Courant ne cache pas ses influences et rend par la même occasion un bel hommage à tout le cinéma qu’il a aimé, du film noir hollywoodien au cinéma d’auteur européen – Godard, Marker…).
Finalement, Les aventures d’Eddie Turley est la traduction fictionnelle de toute l’œuvre de Courant. Là encore, il s’agit de fixer des traces du monde à un moment donné ; traces auxquelles les photographies donnent un aspect encore plus fugace et éphémère que les images animées. Et une fois de plus, le point de vue adopté par Gérard Courant fait que ce qui est montré du présent semble déjà lointain, ultimes vestiges d’une civilisation disparue.
L’utopie de son cinéma, qu’il soit fiction ou « documentaire », c’est toujours de parvenir à fixer des instants fugitifs et retrouver sous les cendres du temps quelques braises d’un présent enfoui, un sentiment volatilisé, une émotion disparue, un « je t’aime » évanoui mais dont l’écho restera, à jamais, inoubliable…
(Docteur Orlof, Le blog du Dr Orlof, 18 février 2010).
L'agent secret galactique Eddie Turley, venu des Pays Extérieurs, est en mission à Moderncity, cité robotisée des Pays Intérieurs. Il y mène une enquête dangereuse visant à comprendre son fonctionnement et celui de ses habitants. Il rencontre Lola, une jeune femme séduisante qui lui sert de guide, et Akim, un mutant pourchassé par le roi, qui l'aident dans sa mission.
Après plusieurs traquenards ratés, Eddie est capturé par les forces royales. Il réussit cependant à s'enfuir et envoie régulièrement des photos de la ville aux Pays extérieurs grâce à un habile stratagème détournant les dossiers du Ministre des images. Bien que se sentant en danger de mort, Eddie poursuit sont exploration afin de renverser le pouvoir en place.
Dans son errance il subit des évènements irrationnels qui le trouble : il apprend que la Dame du lac conserve les rêves dans une montagne - mais sans savoir pourquoi -, rencontre des enfants murés dans un blockhaus qui s'inventent une vie cinématographique et combat victorieusement.
Suite à ces péripéties il découvre que le roi des Pays Intérieurs n'existe pas et n'est en fait qu'un ordinateur imposant la dictature électronique. Il le débranche, libérant le peuple, et s'envole avec Lola vers les Pays Extérieurs.
(Wikipedia, 27 septembre 2010).
J'ai vu aussi Les Aventures de Eddy Turley qui est un film très fort, d'une grande beauté plastique et imprégné d'un sentiment envers la vie que je partage heureusement.
(Paolo Spaziani, 7 novembre 2010)
Les Aventures d'Eddie Turley, est un film fou, expérimental : c'est quasi systématique chez Courant – mais il se situe parfaitement au premier degré : c'est un film de science-fiction comme on n'en fait plus, bourré d'images contemporaines.
Eddie est un espion inter-galactique des Pays Extérieurs, envoyé en mission à Moderncity, capitale robotique des obscurs Pays Intérieurs. Muni d'une montre voleuse d'images, aidé d'une belle mais fantomatique autochtone et d'un alien abîmé, il s'empêtre dans sa mission entre délires oniriques et prisons. Bien sûr, comme dans tout film d'aventures qui se respecte, le gentil gagne à la fin et le roi des Pays Intérieurs est défait.
C'est un pitch bien élémentaire, et il est difficile d'imaginer qu'il s'agît d'une expérience cinématographique à sa seule lecture. Mais ce serait mal connaître Gérard Courant, qui a monté ce film d'1h. 30 uniquement avec des images fixes. Ce n'est plus du cinéma, diront certains ? C'est justement là ce qui est pointé, le cinéma est fait d'images fixes : 24 images fixes par secondes. Les images de Courant bougent, il ne s'agit pas de photos mais de pellicules dont il a extrait divers plans, le mouvement est là, la séquence aussi, mais étrangement saccadés. On a vu des réalisateurs récents (Quentin Tarantino et Robert Rodriguez pour ne pas les citer) salir volontairement leurs images, les faire tressauter, afin de rendre hommage au grain des vieilles machines. Courant va bien plus loin, et bien plus naturellement. C'est le plus étonnant : si, au début, la succession d'images surprend, d'autant plus qu'elle est illustrée d'une voix off très basse, on s'y fait assez vite et l'illusion cinématographique fonctionne.
C'est là qu'intervient une deuxième réussite, celle de la recréation d'univers. Le film n'a pas été tourné en studio, il a été tourné dans la ville de tous les jours, les aliens sont anthropomorphes, on voit des pubs – beaucoup d'affiches, de sigles, d'images dans l'image, presque hypnotisantes – et des taxis tout ce qu'il y a de plus normaux. Mais là aussi l'illusion fonctionne, bien plus que s'il avait essayé de recréer un univers de pacotille à base d'effets spéciaux ratés. Le monde des Pays Intérieurs est réel car réaliste. Grâce au grain de son noir et blanc, à quelques sobres effets de superpositions et à son montage, Gérard Courant crée sans aucun problème un monde extraterrestre crédible.
La dernière réussite, et pas des moindres, de ce film est qu'il existe en tant que tel. Ma culture cinématographique étant encore à faire, je n'aurai jamais su que ce film contenait un hommage à Alphaville si un article du Monde reproduit sur la pochette ne le disait pas expressément. Je n'ai pas vu Alphaville, je n'ai vu que le film de Gérard Courant, et il se suffit parfaitement en tant qu'entité solide. C'est une rareté, souvent les films qui veulent rendre des hommages sont totalement hermétiques au béotien. Or, Les Aventures d'Eddie Turley donne quelque chose à qui le regarde. On y retrouve la particularité de ce qui constitue ses travaux les plus connus (les Cinématons ou les Carnets filmés) : un radicalisme sans hermétisme.
Il est malheureusement difficile de se procurer les films de Gérard Courant. Celui-ci vaut clairement le détour. Alors, inscrivez le dans un coin de votre crâne et, surtout, ne le ratez pas si vous avez comme moi la chance de tomber dessus.
(Maël Rannou, Site Angle(s) de vue, 5 décembre 2010)
Cher Gérard,
Hier soir nous avons vu avec mon amie Isabelle ton film LES AVENTURES D'EDDIE TURLEY, que tu m'as offert au pays des Olonnes.
On a dû te le dire 100 fois, mais nous l'avons trouvé fabuleux.
Aujourd'hui elle m'envoyait un mail pour me dire :
Je rêverai du film de Courant et j'imaginerai que la beauté qu'il décrit en parlant d'une femme, ce serait ce que tu dirais de moi si tu m'aimais comme ça...
Alors tout de suite après, j'ai voulu écrire pourquoi la matière de ce film nous touchait encore autant aujourd'hui.
Pour commencer, je dirais que dès les premiers instants, nous sommes frappés par un fait rare, ce sont des phrases entières qui composent le générique d'introduction et qui se développent dans les cartons manuscrits sur fond de voie lactée ou de constellations jusqu'au générique de fin.
Ces vues du ciel me rappellent l'un des pamphlets de Jean Giono, des plus étranges que je connaisse, il s'intitule : Le poids du ciel, lui aussi est parsemé de photographies de la voie lactée, dans la belle édition brochée de la NRF que j'ai dans ma bibliothèque.
Puis le rythme hypnotique des images fixes, en noir et blanc, qui se succèdent crée un impact électrique presque extatique sur la rétine, donnant une impression de film photocopié, feuilleté par l'œil.
Car si à chaque fois, on cite Alphaville de Godard pour parler de ton film, on ne dit pas que Les aventures d'Eddie Turley est à Alphaville ce que nos fanzines fabriqués à la photocopie et reliés à la main dans les années 80 étaient aux revues à grand tirage.
C'est-à-dire une alternative !
Et c'est bien de cela qu'il s'agit ici, Les aventures d'Eddie Turley offre une alternative à l'Alphaville de Godard.
Inventant en 1987 un nouveau médium pour le cinéma, qui collait parfaitement avec l'esthétique alternative de l'auto-édition de son temps et que j'appellerais aujourd'hui pour nous amuser : le ciné-fanzine.
Du coup je m'aperçois qu'à l'instar de Godard au lieu de conserver les moyens industriels de la grande production pour réaliser un film sur les sociétés qui se détruisent d'elles-mêmes par les trouvailles de leurs “progrès” et de leurs nouvelles techniques . Le ciné-fanzine t'as permit d'élaborer avec ces moyens artisanaux non dissimulés une véritable science fiction adéquate à la critique des mondes qui industrialisent la vie.
Ainsi de tes Amours décolorées aux amours photocopiés d'Eddie Turley, ton film nous rappelle que le cinéma : de la photographie jusqu'à l'impression photocopique ne cesse d'être un hymne à la lumière, situé entre les grands courants de la nature et les grands courants électriques.
D'ailleurs ne retrouve-t-on pas cela dans les longs plans-séquences aux images inversées de tes derniers Carnets filmés ?
Ami David.
(David Legrand, 25 janvier 2011)
Les aventures d'Eddie Turley, dont la réalisation s'est achevée en 1987, est un « film en noir et blanc fait par Gérard Courant » comme l'indique le générique, mais c'est surtout un long-métrage composé uniquement d'images fixes : en tout deux-mille quatre-cents photos prises sur une période de quatre ans un peu partout dans le monde. Ce procédé est le même que dans la célèbre Jetée de Chris Marker, et il est amusant de noter que les thèmes de deux films ne sont pas si éloignés, puisque Les aventures d'Eddie Turley relève d'une science-fiction tout à fait classique (sur le fond). Comme si ce principe de la succession d'images fixes évoquait et appelait de lui-même des thèmes futuristes.
D'ailleurs, dans le film de Courant, le procédé se justifie de manière très intelligente à l'intérieur même de la narration : le film que nous voyons est supposé être une compilation des photos subtilisées par le protagoniste aux Ministre des Images de la ville de Moderncity. Ces clichés sont entrecoupés de cartons aux textes philosophiques ou poétiques, qu'on devine extraits du journal intime du héros. Une narration à la première personne, assez belle, en voix off permet de lier tout cela et d'expliciter ce que les images suggèrent. Le narrateur et héros de cette histoire, c'est Eddie Turley, un agent travaillant pour les Pays Extérieurs et chargé de s’infiltrer à Moderncity pour comprendre puis faire chuter le régime totalitaire du Roi. On assiste donc à un récit de SF très classique et relativement prévisible, dans lequel Turley découvre un État policier, autoritaire et liberticide. Il devient grain de sable dans les rouages du pouvoir, finit par faire renverser la dictature et quitte le pays avec la femme aimée. Clairement inspiré de 1984 (la figure du Roi évoque Big Brother, et il est fait allusion à une sorte de novlangue où des mots comme « liberté », « pourquoi » ou « oser » sont interdits), le film évoque avant tout l'Alphaville de Godard : le noir et blanc, les paysages urbains aseptisés, la personnalité du héros, son amour pour une femme à la position ambivalente, la découverte progressive de la liberté et de la poésie pour cette dernière...
L'exploit de Gérard Courant ici, c'est de parvenir à nous plonger dans un univers de science-fiction parfaitement crédible tout en restant dans un très grand minimalisme. Pas d'imagerie science-fictionnelle foisonnante, pas de grandes visions futuristes, simplement le pouvoir de suggestion de ses très belles images : et on y croit totalement ! Symbole de la capacité même du cinéma de faire du fantastique à partir de son matériau fondamentalement réaliste. Ainsi, Les aventures d'Eddie Turley sont aussi et peut-être surtout une réflexion sur ce qu'est le cinéma. En faisant de son film une suite de clichés photographiques, Courant cherche à retrouver l'essence du septième art, qui n'est en réalité rien d'autre qu'une succession (certes très rapide) d'images fixes. Les photos du film sont des traces du monde mises bout à bout, et le rythme hypnotique auquel elles se succèdent réussit à créer l'illusion du mouvement, illusion fondamentale du cinéma. Par la puissance du montage, Courant parvient à réaliser un film de science-fiction expérimental et atypique mais néanmoins très efficace, et surtout une méditation poignante sur le pouvoir et sur la beauté de son art.
(Anna Marmiesse, Le Ciné d'Anna, 21 mars 2011)
Arrivant à la hauteur du quatrième et dernier titre de ce lot, nous quittons (à première vue seulement) les rives du documentaire pour entrer dans la fiction (plus précisément : la science-fiction), celle des Aventures d'Eddie Turley.
Dans un futur indéterminé, Eddie Turley, agent secret travaillant pour les Pays Extérieurs, enquête sur les inquiétants événements ayant cours à Moderncity, mégapole dirigée par un Roi tenant la population sous sa coupe et recourant à tout l'arsenal totalitaire, de la surveillance à l'élimination des citoyens. Suivi par la Ministre des Images et agent double Mariola, le héros parvient à détourner les clichés que prend celle-ci et à rendre ainsi compte à ses supérieurs de l'angoissante réalité des choses.
L'intrigue n'est, dans ses grandes lignes, pas foncièrement originale. La réalisation l'est en revanche beaucoup plus. En effet, ce film n'est constitué que d'une série de photographies, environ 2400 (ce sont en fait des photogrammes issus de la pellicule utilisée lors du tournage, ce qui ajoute à l'étrangeté du procédé (*)) et c'est le montage de ces images fixes qui crée le mouvement. Sur celles-ci se posent la seule voix d'Eddie Turley (en réalité celle de l'écrivain Hubert Lucot), des sons d'ambiance, une bande originale épatante (mélange de nappes de progressif, de plages synthétiques et d'expérimentations post-punk). Comme s'intercalent également des cartons semblant extraits d'un journal intime, le tout forme un écheveau relativement complexe au regard de la simplicité du principe de départ.
Le récit progresse à un rythme étrange, par à-coups, ménageant plusieurs pauses et bifurquant à de nombreuses reprises. En plein milieu, trois ou quatre phrases et autant d'images suffisent à raconter une arrestation, un long séjour en prison et une évasion. Ici, il est plus affaire de sensations que d'actions et la scène la plus marquante est celle qui se rattache le moins à une réalité tangible (une lutte magnifique de Turley dans et contre un espace de couleurs, en noir et blanc bien sûr). Contant une sombre histoire et revalorisant avec une belle sensibilité les rapports humains (amoureux, notamment), le film n'oublie pas pour autant de faire sourire. L'humour y est discret mais présent. Une bagarre est vue comme un combat de boxe officiel, des sigles sont savoureusement détournés (les Compagnons du Roi Secret font respecter l'ordre et face à Moderncity se dresse l'Union des Républiques Suicidées et Saccagées) et Joseph Morder n'a pas à en faire des tonnes pour paraître irrésistible dans la peau du Professeur Morlock.
Mais il se passe surtout quelque chose de vraiment étonnant avec ces Aventures d'Eddie Turley. Le cinéaste a ramené des images des quatre coins du monde, de Berlin à Montpellier, de l'Inde au Canada. On y reconnaît par exemple, sans effort, Paris ou New York. Par conséquent, se posent plusieurs questions. Comment peut-il se faire qu'une succession d'images purement documentaires, de prises de vue des villes et des principaux personnages s'y déplaçant, au sein d'espaces jamais modifiés, serve de support à une histoire de SF totalement cohérente ? Comment une image quelconque peut-elle véhiculer un suspense, une angoisse ? Car enfin, une image fixe et muette ne dit rien d'autre que ce que nous voulons lui faire dire, nous, ses spectateurs... Gérard Courant donne une réponse qu'il n'est certainement pas le premier à formuler mais qu'il est toujours bon de rappeler : le sens nouveau naît de l'articulation de ces images les unes avec les autres et de l'adjonction d'une bande son adéquate faisant office de liant. L'illusion est à ce prix et, dans ce cas précis, le noir et blanc aide à l'unification des sources d'images et à la création d'une ambiance particulière.
Dans ce film, l'image d'un taxi new yorkais ou d'un CRS parisien relève d'une simple réalité tout autant qu'elle nourrit un récit original (souvent, elle va même au-delà, puisqu'elle peut signaler par exemple la permanence d'un pouvoir oppresseur). Il n'y a donc pas désamorçage ou parasitage, il y a addition. Lorsque le héros nous présente successivement ses trois contacts féminins dans Moderncity, nous sommes informés, nous assistons à l'établissement de l'un des socles sur lesquels repose le récit, mais, dans le même temps, nous admirons une série de portraits de belles femmes prenant la pose ou s'activant avec grâce devant l'objectif de Gérard Courant.
On trouve chez ce cinéaste un jeu constant entre archaïsme et modernité. En passant par le premier, la forme peut atteindre à la seconde, ou, tout au moins, la pertinence de ce choix d'expression n'est pas démentie. Notons par ailleurs l'existence d'une autre tension, entre le geste expérimental et la notation pédagogique. Je l'avais déjà avancé la dernière fois : les travaux de Courant passionnent souvent par leur façon de montrer, plus ou moins directement, la "fabrique cinématographique" (et en bon et honnête "pédagogue", notre homme cite ici ses sources d'inspiration pendant le générique de fin, d'Orwell à Godard).
Finalement, on éprouve une certaine émotion à voir la transfiguration de ces visages et de ces corps, le dépassement du simple statut documentaire des images et l'ouverture vers l'imaginaire obtenue avec si peu. Partant d'une telle histoire, avec les mêmes limites budgétaires, il est difficile d'imaginer, quelque soit le talent de l'auteur, un résultat probant si le film avait été réalisé en couleurs et en prises de vue animées classiques. Nous aurions eu bien du mal, je pense, à échapper au bricolage et à la blague de potache. Peut-être n'aurait-ce pas été déplaisant mais l'ampleur n'aurait certainement pas été la même. Telle qu'elle est, l'œuvre ne dépare pas aux côtés d'autres OVNI du cinéma français comme Le dossier 51 de Michel Deville ou La jetée de Chris Marker.
(Edouard Sivière, Nightswimming, 26 mai 2011)
(*) : lire à ce sujet les explications du cinéaste données lors d'un entretien qu'il reprend sur son site internet, ici.
Filmado em 35 mm e estreado no Festival de Cannes (Perspectivas do Cinema Francês), Les Aventures d'Eddie Turley presta homenagem a Alphaville, de Jean-Luc Godard, tendo por base um dispositivo formal extremamente preciso, como é costume na obra de Gérard Courant. A preto e branco, o filme
conta as aventuras do “agente secreto intergaláctico Eddie Turley, vindo dos Países Exteriores, em Moderncity, uma cidade sem alma e robotizada”, exatamente como no filme de Godard. Mas o filme de Courant está longe de ser um “pastiche
” : foi filmado durante um ano em várias partes do mundo e a seguir, durante mais um ano de trabalho, o realizador extraiu sete mil fotogramas, dos quais guardou dois mil e quatrocentos na montagem final. Ou seja, embora seja apenas composto por imagens fixas, Les Aventures d'Eddie Turley não é composto por fotografias e sim por imagens em movimento paralisadas. Diz o realizador: “O filme era uma aposta: demonstrar que era possível fazer nascer o movimento a partir de imagens fixas. Não nos esqueçamos que o cinema não é movimento, é a ilusão do movimento: o cinema são 24 imagens fixas por segundo”.
(Antonio Rodriguez, Cinemateca Portuguesa, 1er juin 2017)
Se nos Cinématons Courant explora ao limite uma ideia de retrato em fixos planos-sequência, aproximando-se assim de uma certa fixidez fotográfica, em Les Aventures d’Eddie Turley, filme inteiramente composto por imagens fixas, aborda mais directamente a tensão entre a imagem fotográfica e a imagem cinematográfica. O próprio realizador afirmará: “O filme era uma aposta: demonstrar que era possível fazer nascer o movimento a partir de imagens fixas. Não nos esqueçamos que o cinema não é movimento, é a ilusão do movimento: o cinema são 24 imagens fixas por segundo”. Estreado no Festival de Cannes em 1987, Les Aventures d’Eddie Turley presta uma explícita homenagem a Alphaville (1965), de Jean-Luc Godard, mas presta ainda homenagem a La Jetée (1962), de Chris Marker e uma homenagem ao próprio cinema. Os três filmes têm em comum o mesmo universo referencial da ficção científica na sua relação com distópicos ambientes urbanos, ou uma referência ao “film noir” e de série-B, sendo que Les Aventures d’Eddie Turley e La Jetée partilham um mesmo dispositivo formal.
Em Alphaville Lemmy Caution é Eddie Constantine, agente secreto americano enviado para a cidade distante de Alphaville na qual deveria encontrar uma pessoa desaparecida e libertar a cidade do tirano que a governa, aqui Philip Dubuquoy é o “agente secreto intergaláctico Eddie Turley, vindo dos Países Exteriores para Moderncity, uma cidade sem alma e robotizada”. Se o filme de Godard foi inteiramente filmado em Paris, Les Aventures d’Eddie Turley foi filmado durante um ano em várias partes do mundo, sendo que de seguida o realizador extraiu sete mil fotogramas do material em bruto, dos quais conservou dois mil e quatrocentos na montagem final. Embora seja apenas composto por imagens fixas, Les Aventures d’Eddie Turley não é composto por fotografias, como tantos filmes fotográficos, mas sim por imagens extraídas de um fluxo de imagens filmadas, pelo que incorpora mais directamente a tensão entre a imagem fixa e a imagem em movimento, expressa pelos movimentos internos às próprias imagens, como algum arrasto. Mas, para lá dos poderes expressos na muito cuidada montagem de imagens, o verdadeiro movimento nasce da combinação da criteriosa sequência de fotogramas que compõe a banda de imagem de Les Aventures d’Eddie Turley com uma igualmente criteriosa banda sonora, cuja voz-off e música conferem real movimento às imagens. Como afirmou o próprio realizador numa entrevista a propósito deste filme “Embora eu não seja fotógrafo, sempre tive uma relação privilegiada com a fotografia que está frequentemente presente nos meus filmes sob as formas mais diversas.” Esta é aliás uma questão que atravessa toda a obra de Courant, dado que o seu primeiro filme, Marilyn, Guy Lux e les nonnes (1976), é inteiramente composto por fotografias, mas esta é também uma questão que atravessa toda esta sessão.
(Joana Ascensão, Cinemateca Portuguesa, 20 de Junho de 2017)
Si dans les Cinématons Courant explore au maximum l’idée d’un portrait en plans fixes/séquence, ce qui les rapproche d’une certaine fixité photographique, dans Les Aventures d’Eddie Turley, entièrement composé par des images fixes, il aborde plus directement la tension entre l’image photographique et l’image cinématographique. Le réalisateur lui-même le dit: «Le film était un pari: démontrer qu’il était possible de faire naître le mouvement à partir d’images fixes. N’oublions pas que le cinéma n’est pas le mouvement, c’est l’illusion du mouvement: le cinéma, ce sont 24 images fixes par seconde». Présenté pour la première fois au Festival de Cannes en 1987, Les Aventures d’Eddie Turley rend un hommage spécifique à Alphaville (1965), de Jean-Luc Godard, mais également à La Jetée (1962), de Chris Marker, ainsi qu’au cinéma lui-même. Les trois films ont en commun le même univers référentiel de la science-fiction, dans son rapport avec des environnement urbains dystopiques, ainsi que des références au film noir et aux séries B, sans oublier que Les Aventures d’Eddie Turley et La Jetée partagent le même dispositif formel.
Dans Alphaville, Lemmy Caution est Eddie Constantine, un agent secret américain envoyé à la lointaine ville d’Alphaville, où il doit rencontrer une personne disparue et libérer la ville du tyran qui la gouverne; ici, Philip Dubuquoy est «l’agent secret intergalactique Eddie Turley, venu des Pays Extérieurs vers Moderncity, une ville sans âme et robotisée». Si le film de Godard a été entièrement tourné à Paris, Les Aventures d’Eddie Turley a été tourné pendant un an dans plusieurs villes du monde, à la suite de quoi le réalisateur a extrait sept mille photogrammes du matériel brut, dont il a conservé deux mille quatre cents au montage définitif. Bien qu’il soit composé entièrement d’images fixes, Les Aventures d’Eddie Turley n’est pas composé par des photographies, comme tant de films photographiques, mais par des images extraites d’un flux d’images filmées, ce qui fait que le film incorpore de manière plus directe la tension entre l’image fixe et l’image en mouvement, ce qui se manifeste par les mouvements internes des images elles-mêmes, comme une certaine lenteur. Mais au-delà des pouvoirs qui s’expriment dans le montage très soigné des images, le véritable mouvement dans Les Aventures d’Eddie Turley naît de la combinaison de la suite extrêmement pensée des photogrammes qui composent la bande-image et d’une bande-son non moins soigneusement composée, dont la voix off et la musique donnent un véritable mouvement aux images. Comme l'a affirmé le réalisateur dans un entretien sur ce film, «bien que je ne sois pas photographe, j’ai toujours eu un rapport privilégié avec la photographie, qui est souvent présente dans mes films des manières les plus variées». Cette question traverse d’ailleurs toute l’oeuvre de Courant, puisque son premier film Marilyn, Guy Lux et les nonnes (1976), est entièrement composé par des photographies. Mais elle traverse également toute cette séance.
(Joana Ascensão, Cinemateca Portuguesa, 20 juin 2017)
The ultimate Alphaville fan film. (And more.) Eddie Turley is Lemmy Caution, Lola is Natacha, Moderncity is Alphaville and the plot follows the same major beats. There's no more place on its sleeve to wear JLG's influence. It's also hard not to think of La Jetée but Courant achieves a very different reverberation than both of these films.
While there is a narrative to follow, the image to audio connection is more hazy and it often feel like Eddie Turley is the sci-fi détournement of someone's obsessively extensive travelogue. Or rather, it feels like somebody's dérive-influenced sci-fi daydream was meticulously documented. The non-stop rapid succession of photos, the omnipresent narration and score, the tenuous logic of its story ; all of it builds a cumulative effect of spaced-out drifting. That effect reaches its zenith when a particular track plays ; it sounds like it's coming from the crystal cave dungeon of an obscure J-RPG. Paired with title cards full of poetic aphorisms and philosophical commentaries, it becomes something quite pleasurable. Courant's OC from the Outer Countries might not have the same resonance as Lemmy Caution and Dubuquoy and Michaud might not be as iconic as Constantine and Karina, but I honestly found this adventure more appealing than Alphaville.
(Ostine Bottine, Letterboxd, 2021)
Poétique je confirme.
(Naser Baby, YouTube, 7 avril 2021)
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