ALAIN FLEISCHER, CINÉMATON N° 434. Les jours et les ombres.

Érik Bullot, Alain Fleischer — Obscures cérémonies, Musée national d’art moderne Centre Georges Pompidou, Paris, février 1994.

Tout à tour blanc violent et noir obscur, exposé à la lumière clignotante d’un projecteur de diapositives défilant sans image, reproduisant le flash de la cabine d’un photomaton, dont la répétition mécanique — durant les trois minutes où sera exposée la bobine super 8 — rappelle, par son cycle discontinu, les premiers jeux à l’origine de l’invention du cinéma. Mais au lieu des quatre éclairs du photomaton délivrant le ruban photographique de l’identité, le Cinématon d’Alain Fleischer filmé par Gérard Courant déjoue ici, en multipliant ses foudres ponctuées de noirs, toute assignation à demeure. Le portrait est un jeu de cache–cache entre les griffes de l’obturateur. Ce n’est pas la seule habileté du dispositif qui nous étonne (faire du cinéma avec la photographie, du cinématon avec un photomaton) ; c’est la scansion obstinée, têtue entre une lumière brûlée, blafarde, irradiant les traits de l’obscurité qui la destitue par où un visage se montre et se cache, non point simultanément mais successivement, en pleine lumière — et dans le noir. Telle, au point où l’expérience du cinéma et la vie se bordent, la modalité d’apparition d’Alain Fleischer lui–même et de son cinéma.
Apparaître et disparaître en une fuite itérative et ironique, dissimulant ses traces, hanté par le démon de l’ubiquité. Voir sans être vu. Visiter chaque point de la planète, simultanément, selon la même boulimie qui lui fait dévorer, successivement, dans un documentaire, quinze éclairs (au chocolat). Collectionner, dépenser. Voyager, une caméra planquée dans le coffre de sa voiture, développant une kyrielle de projets non point successivement mais simultanément sur de nombreuses années. Autant de folles manigances qui empruntent assurément à l’enfance en présidant à l’invention d’un monde parallèle dont il serait à la fois le monarque et le sujet, légiférant le temps par la confusion concertée des repères coutumiers de la nuit et du jour, de l’histoire et de la géographie, du dehors et du dedans. L’oeuvre est un emploi du temps.

 


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