Année : 1997. Durée : 1 H 20'
Fiche technique :
Réalisation, scénario : Gérard Courant.
Image : Gérard Courant + Joseph Morder (séquence d'ouverture)
Interprétation : Mariola San Martin, Gérard Courant, Marcel Hanoun, Philippe Sollers, Claude Confortès, Jean-Paul Aron, Arrabal, Lou Castel, Félix Guattari, Sapho, Erwin Huppert.
Production : Les Amis de Cinématon, La Fondation Gérard Courant.
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Tournage : juin 1986 à avril 1987 à Paris (France), Saint-Maurice (France) et en forêt de Rambouillet (France).
Montage : 1997.
Format : Super 8 mm.
Pellicule : Kodachrome.
Procédé : Couleur. Muet.
Cadre : 1,33.
Collection publique : Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première présentation publique : 2 février 1998, Cinémathèque Française, Paris (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Cinémathèque française, Paris (France), 1998.
-Site YouTube, 2012.
-Site World News.
-Site Khmertracks.
-Site Video Booster.
-Site Vtube.
-Site Potalmajes.
-Site Tai phim hài.
-Site Filmlar.
-Site Nurseryrhymes.
-Site Noxila.
-Site Igetlink.
-Site Kharasach.
-Site Tophbo.
-Site Youpak.
-Site Movies.Worldz.
-Site Vedmak.
-Site Semvako.
-Site Slivideo.
-Site Doovi.
-Site Weetube.
-Site Philm16.
-Site Sweet Beauty and Bright Stars of Cinema.
Prix, récompenses, distinctions, palmarès :
-Classé dans les meilleurs films de l'année 2010, catégorie "Merveilles découvertes", Docteur Orlof, Blog du Dr Orlof, 1er janvier 2011.
-Fait partie de la liste de 231 films du "DicoOrlof", "Panorama amoureux des œuvres préférées", établie sur Twitter par le Docteur Orlof, 2018.
-Fait partie de la liste de 339 films, Every film I thoroughly enjoy oldest to latest, établie par Lachlan, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2018.
-Fait partie de la liste de 371 films, Priority, établie par Anesthetize, site Letterboxd (Nouvelle Zélande), 2019.
-Classé 82e dans la liste des 140 films, The Greatest Films I Have Seen, établie par Edmund Von Danilovich, site Letterboxd (Nouvelle Zélande), 2019.
-Classé 25e de la liste de 52 films, Défi Avant-Garde/Expérimental/Surréaliste films 2022, établie par Daniel Racine, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2022.
Amours décolorées est un poème cinématographique à la gloire de Mariola San Martin, modèle, styliste, danseuse et photographe espagnole.
(Gérard Courant)
Amours décolorées is a cinematographic poem to the glory of Mariola San Martin, model, stylist, dancer and Spanish photographer.
(Gérard Courant)
Un grand film sur une jolie femme avec, au milieu, environ dix minutes de forêts solitaires en hiver, images noir et blanc qui se succèdent, lentes et glaciales – pause ou intervalle net, sévère, voulu. Gérard Courant filme la femme et il filme les arbres enneigés et les nuages à travers une vitre, tout cela avec la même objectivité et la même passion. Bien sûr, dès qu’on interroge le réalisateur, le vécu suinte. Quand il prononce le nom de son actrice, Mariola San Martin, sa voix se fait haute, ardente. On comprend que vers 1986 cette femme a envahi sa vie et son cinéma. Le cinéma aura eu le premier et le dernier mot. Leur collaboration prend l’aspect routinier et rituel de la vie commune, mais, de celle-ci, très peu de choses nous sont dites. Matin après matin, soleil ou pas, pendant des mois, Gérard Courant a filmé Mariola San Martin en train de s’éveiller, de se maquiller, de se préparer à sortir dans Paris, Paris résumé tout entier par la Tour Eiffel en plein milieu de la fenêtre ouest de l’appartement. Madame Tour Eiffel. Incarnée ici, devant un miroir, par la belle de jour, de plus en plus belle et lointaine à mesure qu’elle fait ses yeux. Lointaine, bientôt, comme les plus hautes branches de sapin chargées de neige du Jura Suisse. Les mains du cinéaste restent jointes, invisibles, autour de la caméra. Il pousse l’exigence de sa recherche jusqu’à inviter des comparses à prendre sa place auprès d’elle, gentiment, comme au théâtre. Le beau profil rusé de Philippe Sollers, puis le dramaturge Arrabal, dont on suppose qu’il dit à sa compatriote quelques lestes compliments hors de portée de l’oreille de l’amigo francés. Puis une femme, Sapho. Et Félix Guattari, et le cinéaste Marcel Hanoun. Le très regretté Jean-Paul Aron aussi vient badiner avec Mariola, lui soumettre des concetti, on suppose. Un film de Courant n’est pas, au contraire d’un film muet ordinaire, en dehors du langage ; il est dedans. Loin d’en faire oublier l’absence, il la souligne. Il en montre la surface artificielle. Ce qui pourrait expliquer que, souvent, se déchaîne la loquacité du public devant ces lèvres qui bougent, et disent moins qu’une ride passagère. Dominique Noguez, commentant les premiers cinématons, n’imaginait-il pas leur auteur adressant à ses modèles, êtres ou choses, cette injonction : « Parlez ! Parlez ! Je capte, j’enregistre, je cite. Je suis vous guillemets. »
Retour sur Mariola... Ses yeux de plus en plus beaux (le maquillage ? l'effet indirect de la coiffure ? le vêtement ? les étincelles de la conversation ?) se détournent du miroir pour se porter sur nous, sur Gérard Courant, faire quelques clichés de lui. Elle est photographe, ses gestes le confirment. Mais les photos qu'elle prend de l'homme en train de filmer ne sont là que sous ce miroir abstrait. Le film, c'est Mariola sans Courant. C'est Mariola dans l'après-liaison. Dans l'infidélité éternelle. Mariola perdue. Perdue au moment où il la prend après l'avoir prise et prise encore. C'est une histoire qui se répète chaque matin et qu'il a fallu un jour boucler, ainsi va la vie. Amour décolorées. Comment guérir de l'amour ? Inutile de s'obstiner à suivre le monologue intérieur du cinéaste. On sait seulement que la fabrication d'un film ou d'un tableau ou d'un roman fait glisser au-dessous d'elle les passions personnelles, à une strate inférieure d'où peut-être elles ne remonteront que quand tout le reste se défera. Si l'oeuvre s'affirme autobiographique, tout se complique encore un peu plus. L'oeuvre brille, de défraîchir sa propre matière.
Amours décolorées est, si l'on veut, le développement, l'agrandissement du cinématon que fit Courant de Mariola San Martin en 1986, et dont il dit : « Je ne me rappelle plus rien. Ce dont je suis sûr, c'est que je l'ai filmée et qu'ensuite elle est restée avec moi. » Un cinématon élargi des 3' 25'' standard aux proportions d'un long-métrage : 80 mn. On peut dire aussi que c'est une succession de cinématons, vingt et quelques « Mariola » mises bout à bout. Dans les deux cas, une reine de coeur posée devant la caméra et qui régit ses poses, mais, la caméra étant fixe, le réalisateur en reste le maître en fin de compte. Le sujet s'est constitué prisonnier du cadre fixé. À ma connaissance, un seul des 2000 cinématonés de Gérard Courant a rompu ce cercle invisible. Il s'agit de Patrick Poivre d'Arvor. – qui est sorti du champ pendant les trois minutes vingt-cinq du cinématon, sans en enfreindre la règle absolue.
Amours décolorées triche, mais très peu, avec cette règle. L'angle de vue de la caméra se déplace à peine du boudoir au canapé et au lit proche. De même que les cinématons, il ne conte aucune histoire inventée par son auteur. Cela ne veut pas dire qu'il n'est pas construit avec la rigueur même de sa coupure hivernale.
La seconde partie nous ramène dans l'appartement, « au chaud ». Rien ne change, pour l'essentiel : même distance ente Courant et son sujet qu'il refuse de rejoindre, le même regard en somme qu'il poserait sur des paysages renaissant hors de la guerre.
Les comparses ont disparu. Mariola est tout à fait entrée en scène. Enfermée dans cet espace de quelques mètres cubes et dans ce film qu'elle est en train de faire avec Courant (il en est le seul auteur, mais l'actrice fait le film à égalité avec lui), elle pose de tout son corps, maintenant. Un maintenant qui s'étend sur vingt minutes. Nue, à quelques bouts de mantille près. Actrice et modèle et danseuse et opératrice, créatrice par tous les pores ou facettes de sa peau. À l'instant où j'évoque cette lente succession d'images, il me semble n'en avoir retenu qu'une seule, où Mariola, modéliste, est tout entière enveloppée de couleurs. Et cet effet est obtenu par un seul morceau de tissu qu'elle tient entre ses doigts et fait flotter au-dessus de sa hanche gauche. Dans d'autres images, cela a pu être un coussin ou un motif du drap, ou encore une affiche au mur. L'image que ma mémoire a retenue recueille toutes ces touches de couleur, ou plutôt les résume (tout en leur donnant la fixité d'une peinture), par ce chiffon rouge qui est sans doute tout simplement une « muleta ». Gérard Courant m'a dit que Mariola était de Salamanque, la ville où, je crois, se trouve la grande « Université de tauromachie ». Avant d'être parisienne, Mariola était « salamanquesa », et elle l'est redevenue quelque peu. Ce mot « salamanquesa » désigne aussi une sorte de salamandre appelée gecko – le beau lézard chanteur des nuits tropicales. Porté par ces suggestions, le corps nu devient un costume chamarré, qui fait surgir des arlequins de Picasso en même temps que la Maja nue et la Maja vêtue de Goya. Rien d'elle ne nous est caché, sauf par la toison pubienne, mais cette « muleta » aux tons vifs et violents capte le regard jusqu'à graver en nous la preuve qu'aucun dévoilement n'a eu lieu. Le cinéaste a montré son « work in progress », pas son amante. Le portrait cinématoné rejoint, dans la retenue, la vieille tradition picturale des pays fortement catholiques, où doivent s'allier les exigences d'ascèse et de plaisir... Je formule ces réflexions comme elles me viennent, sans trop réfléchir, pour essayer, seulement essayer, de retrouver l'exacte sensation laissée par ce film. On s'est approché de très près de l'exhibitionnisme (dans ce qui est un chapitre de « carnets intimes »), mais Courant, ayant réduit à presque rien ce qui nous sépare de son sujet, s'arrange pour ne jamais nous laisser oublier cette barrière infime. Elle est la claie et la clef du film, elle est le rectangle de verre, dépoli juste ce qu'il faut, en somme « l'écran » par où le réalisateur nous fait participer à la « gloire de Mariola ».
(Georges Londeix, décembre 1997)
C’est l’histoire d’un cinéaste qui aime une femme. Quand un peintre aime une femme, il la peint ; quand un écrivain aime une femme, il la chante ; quand un cinéaste, etc.
Gérard Courant aime Mariola San Martin. Il la filme avec des personnalités amies d’elle ou de lui. Elle est BCBG flirteuse avec Philippe Sollers, fofolle avec Claude Confortès, demi-mondaine avec Lou Castel, agaçante avec Sapho, insipide avec Félix Guattari, réservée avec Jean-Paul Aron, choquée par Arrabal. En se prêtant aux jeux de ses compagnons d’un tournage, elle abdique sa personnalité, mais quand elle est filmée par l’homme qui l’aime, seule, alors, elle révèle son être véritable. CQFD.
Hé bien, je ne marche pas. Mariola San Martin est semblable à ces portraits peints dans la manière cubiste, qui montrent des facettes, plus qu’un tableau en deux dimensions, comme ces découpages vendus sur une planche de carton et qui, montés, se révèleront en trois, mais auxquels il manque une flamme intérieure, une lumière intime.
Je ne dis pas que la femme en général et Mariola San Martin en particulier n’ont pas d’âme, je dis que la femme est un caméléon, que c’est sa nature et qu’aucun homme, fut-il artiste, n’y peut grand-chose.
L’intérêt de ce film, c’est que l’auteur est tombé sur un très gros caméléon et que, pour une fois, il rate – en partie – son coup. L’homme a surestimé la femme et l’artiste l’a sous-estimée.
(Alain Paucard, décembre 1997)
Nous devons passer à la galerie de Pip (NDRL : Chodorov) (…) On quitte les amis pour arriver rue Saintonge, où l’on découvre la fameuse galerie de cinéma ainsi que toutes les éditions Re-Voir et une variété de petites éditions indépendantes.
Je vois des films de Gérard Courant, je suis tenté par Amours décolorées, car en dehors des Cinématons et d’un petit film (NDRL : Petit traité de chevalerie Morlock en vélocipède) que j’ai vu chez le père de Denis (NDRL : Champeau) où celui-ci joue son propre rôle à vélo, je n’en connais pas d’autre. Curieux, je le prends.
À 18 heures 30, nous quittons la galerie de Pip pour rejoindre le camion. Fabrice mettra une heure pour sortir de Paris.
C’est normal : impatient, j’ai sorti mon ordinateur pour visionner le film de Gérard Courant. (…)
L’étonnement ?
Il m’arrive en regardant ce film personnel sur l’amour.
J’imagine que si Jules Michelet avait eu une caméra Super 8 pour entreprendre sa longue exploration du peuple français, il aurait enregistré son essai sur l’amour comme ça.
Gérard Courant, Jules Michelet c’est osé ?
Oui, osons enregistrer le savoir commun.
(David Legrand, 25 août 2007)
« Est-ce que nous aimons quelqu'un ou quelque chose en quelqu'un ? » (J. Derrida). Les métarmorphoses de Mariola, autant de pistes brouillées pour cacher « ce quelque chose en quelqu'un ». Car si ce « quelque chose » (pour ce qui concerne le projet même du film) apparaissait trop imprudemment (ou trop impudemment !), c'est en fait de l'amour. C'en est fini du cinéma, c'en est fini du cinéaste et de son inspiratrice... Ce « quelque chose » a ses exigences, il n'apparaît jamais tel qu'en lui-même. Ce « quelque chose » est fardé, se montre dans des lumières et des couleurs accentuées ou dans des postures savantes. L'amour a tout de l'enfant : il aime les parures, les déguisements. Il a la complexité d'un agencement si entrelacé que la vérité n'y réside que cachée. Et si nous ne savons rien de cet amour (que sait-on d'ailleurs de l'amour des autres : surtout pas ce qu'ils veulent bien nous en dire!), il apparaît que celui de Gérard Courant pour Mariola San Martin se nourrit d'un rituel dont la caméra est l'encensoir. Cette caméra, ce film vont-ils défaire l'amour de son rituel afin que ne reste que... l'Amour.
Et comment faire apparaître ce « quelque chose » qui se cache en l'amour ? En le mettant a côté d'autre chose, pour que ce « quelque chose » paraisse, pour que le petit enfant se montre. Car dans ce « quelque chose » en quelqu'un il y a souvent du petit enfant. Montré il est réduit. Visible il est perdu. Et c'est bien le petit enfant qui apparaît chez Arrabal, chez Sollers, chez Confortès, chez Aron... (c'est-à-dire comment dans leur enfance à chacun, ce mot amour s'est constitué).
Nous ne saurons rien de la conclusion de cette messe, de cette parade, de ces diverses préhensions. La caméra recevra t'elle seule l'harmonieux mélange du cinéaste à sa muse ? C'est possible. Le cinéma demande tout à ses serviteurs. Tout, jusqu'à peut-être l'inconsommé...
(Philippe Leclert, 15 novembre 2009)
Amours décolorées est un film totalement réussi, l’un des plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir du cinéaste pour l’instant. A priori, il s’agit là encore d’une œuvre « intimiste » dans la veine de Cœur bleu et Aditya, à savoir un très beau portrait de femme (en l’occurrence, la magnifique Mariola San Martin).
Lorsque Amours décolorées débute et que Courant filme son modèle en très gros plan (toujours en Super 8, ce format absolument sublime), on semble parti pour une nouvelle œuvre à la Philippe Garrel (primitive, muette et saisissant à merveille la photogénie d’un visage de femme) mais celle-ci s’avère encore plus dense que les précédentes citées, plus élégiaque.
Gérard Courant ne parle pas d’un « film » mais d’un « ciné poème », un chant d’amour à une femme qui a partagé sa vie à cette époque et dont la rencontre l’a vraisemblablement marqué.
A tel point qu’après les Cinématons, il imagina une nouvelle série intitulée Avec Mariola, plan fixe mais large de Mariola San Martin avec une personnalité du monde des arts et du spectacle. Il tourna huit films qu’on retrouve presque tous ici, notamment ceux avec Sollers, Guattari, Confortès et Arrabal. A l’inverse du Cinématon, ce dispositif « à deux » pousse tout de suite au jeu, au théâtre. Théâtre de la séduction (avec Sollers ou Aron même si c’est de manière radicalement opposée) ou théâtre d’un conflit joué (avec Arrabal). Ces petits « blocs » d’objectivité tranchent avec les moments « intimes » où Courant joue de la proximité, s’approche au plus près de l’épiderme de sa muse et découpe ses plans à la Jonas Mekas.
Il y a sans arrêt, dans Amours décolorées, une tension entre les instants « à deux » (l’utopie d’une intimité retrouvée à travers l’objectif d’une caméra) et ceux où Mariola est en « représentation », sur la « scène » de la société où elle est filmée avec la même objectivité que le soleil et les arbres sous la neige que le cinéaste montre parfois de manière admirable.
Georges Londeix écrit que « Amours décolorées est, si l’on veut, le développement, l’agrandissement du Cinématon que fit Courant de Mariola San Martin en 1986 ».
C’est à la fois vrai et, en même temps, je me demande si ce n’est pas totalement l’inverse.
Le Cinématon est un art du « portrait », où le « modèle » peut, à sa guise, présenter une facette de sa personnalité. Or il me semble qu’Amours décolorées est moins un portrait de la comédienne photographe qu’un autoportrait d’un homme amoureux croyant pouvoir fixer pour l’éternité cet amour dans l’écrin d’une œuvre d’art.
Si le Super 8 est un aussi beau format, c’est qu’il permet à la fois une incroyable proximité avec les sujets filmés (loin de la « froideur » de l’image vidéo) tout en ayant un « grain » qui les magnifie. Courant joue sur les deux tableaux en s’approchant au plus près du visage et du corps de Mariola qu’il filme avec une rare délicatesse et une sensualité assez peu commune dans son œuvre (mais je n’ai finalement vu que peu de ses films) ; tout en transcendant à chaque fois ce que ces moments intimes pourraient avoir de « trivial » et de purement « domestique » (les vingt dernières minutes du film sont une ode magnifique à la nudité de l’actrice) par un vrai sens de la mise en scène.
On sait que le grand cinéma n’est parfois né que d’une relation magnifiée entre une comédienne et son metteur en scène (Sternberg et Dietrich, Godard et Karina…) et l’on sent cette volonté chez Courant lorsqu’il contemple amoureusement Mariola San Martin dans de splendides robes rouges, noires ou encore allongée nue sur un drap rose comme Marilyn Monroe.
Quand un amour se meurt (qu’il se décolore ?), il ne reste alors que des instants fugaces dans les coins de la mémoire. La beauté du cinéma de Courant, c’est qu’il lui semble possible d’arracher ces pages inoubliables à l’oubli et de les fixer sur pellicule pour l’éternité…
(Docteur Orlof, le blog du Dr Orlof, 22 février 2010)
J'ai regardé Amours décolorées avec émotion.
Puis-je dire que tu as eu beaucoup, non pas de chance, mais de Passion, au sens quasi religieux du terme dans ta relation avec Mariola San Martin ? Elle t'a en tout cas donné, me semble-t-il, plus qu'une femme ne le fait d'ordinaire et Amours décolorées le lui rend bien, le terme passion s'appliquant aussi en peinture... J'ai trouvé peu de choses sur elle sur internet, l'as-tu perdue de "vue" ?
(Jean Azarel, 6 janvier 2012)
Poème cinématographique à la gloire de Mariola San Martin, Amours Décolorées dépeint le portrait d’un inépuisable visage celui de Mariola. Le film s’ouvre par un plan de Gérard Courant aux côtés de Mariola. Le sujet est posé. Avec le même engouement que dans Cœur bleu ou Aditya, Gérard Courant dépeint le portrait d’un inépuisable visage de femme. Il insère des vues de paysages, de forêts, mais aucune distinction n’est faite entre les vues de Mariola et celles des « paysages ». Il filme l’un et l’autre avec la même objectivité, la même passion. Jour après jour, Gérard Courant filme Mariola dans son quotidien. On la voit se maquiller, et plus elle se maquille, moins on la voit. Un véritable face à face se met en place entre la caméra (le cinéaste ?) et la femme. Elle détourne son regard du miroir pour le poser sur nous, sur Gérard Courant. La force du regard nous ramène à la question de réalité. L’image filmée, telle qu’elle est appréhendée, résulte plutôt d’une collision entre le réel et l’énergie explorée par Gérard Courant. Amours Décolorées est la transposition d’un temps confronté au temps du film (au temps de la fiction) et au temps du cinéaste. Il s’agit de montrer comment sont les choses, telles qu’elles le sont réellement. Une émotion destructrice se détache dans Amours Décolorées. La vie attaque tout ce que l’on fait, et tout ce que nous sommes, c’est un film de la vie, de sa propre vie que nous donne à voir ici le cinéaste. En filmant Mariola, Gérard Courant l’a fait entrer dans le monde du souvenir, elle devient ainsi immortelle. Progressivement, le cinéaste pénètre dans le domaine de la poésie. Bien plus qu’un film, il s’agit d’un ciné-poème, d’un chant d’amour à une femme qui semble avoir, à un moment donné, partagée sa vie.
Le cinéaste fabrique alors un cinéma immédiat, un cinéma sorti tout droit de lui. Filmer est alors un travail d’amour. Un amour infini tel un courant indéfinissable.
C’est alors qu’elle prend quelques clichés du cinéaste, mais les photographies prises du cinéaste ne nous sont pas montrées. Elles ne font que suggérer la présence de Courant. Car il s’agit bien de Mariola, le film c’est Mariola. Tel un monologue intérieur, Gérard Courant construit son film à la manière d’un tableau ou d’un roman, en y imbriquant des passions personnelles, des émotions, des sentiments. L’œuvre s’affirme alors comme œuvre autobiographique, qui existe indépendamment des liens qui l’unissent avec Gérard Courant. C’est un objet filmique avant d’être une œuvre, qui évolue de manière autonome. Développement ou agrandissement de Cinématon, Amours Décolorées, semble s’insérer à la suite du Cinématon de Mariola San Martin, réalisé en 1986. Succession de Cinématons, Mariola se donne en scène, même si Gérard Courant n’est que le seul auteur du film, elle se fait auteur de sa propre image. Elle pose comme le ferait un modèle devant un peintre ou un photographe. Au commencement, le portrait n’était qu’ombre, une jeune femme voulant garder en mémoire l’homme qu’elle aime. Elle dessine alors sa silhouette grâce à son ombre. Acte d’amour devant la peur du manque, Gérard Courant par le prisme de sa caméra témoigne à son tour de cette crainte. Le portrait n’est jamais une représentation fidèle du modèle, mais plutôt une transposition, une captation de l’autre, du portraituré. Le portrait est ainsi le moyen de tenir en vie le souvenir de l’autre.
Gérard Courant ne joue pas au jeu du miroir avec sa caméra, il ne s’agit pas pour lui de montrer un visage pour la beauté de ce dernier mais de rendre compte de la complexité de l’autre. Mariola apparaît en dehors de la narration. Elle apparaît pour elle-même. Gérard Courant propose au spectateur une expérience temporelle, hors de toute action, accentué par l’absence de son. Le spectateur se retrouve ainsi plongé dans un ciné-poème, hors temps, hors espace. Le portrait de Mariola est décomposé, défragmenté à la manière des cubistes, montrant des facettes. La démultiplication des plans et des points de vue donne cette impression de tourner autour d’un sujet, d’un corps. Le traitement du volume et de la profondeur de champ rapproche l’œuvre de Gérard Courant des recherches plastiques de Fernand Léger. Le sujet de Mariola est déconstruit. Le cinéaste ne filme pas les choses, il filme les rapports entre les choses. Et pour se faire, le cinéaste joue sur les distances. Une mise à distance de l’autre est nécessaire pour mieux l’observer. Filmer l’intime ce n’est pas montrer l’immontrable, mais montrer ce qui se cache. Le gros plan permet ici de montrer la proximité de Gérard Courant avec son modèle, en somme une œuvre à la Garrel ; primitive, muette et saisissant à merveille la photogénie d’un visage de femme. L’utilisation de plans fixes ne fait que renforcer cette volonté d’un retour à un cinéma visuel, primitif, à une forme de cinéma pur : « le plan spatial et fixe avait tendance à donner une image-mouvement pure ».
Filmer l’intime, non pas l’intimité. Voilà où réside la subtilité de l’œuvre de Gérard Courant. Le format Super 8 renforce ce côté intimiste et permet une proximité avec le sujet filmé. En effet, à sa sortie, la caméra Super 8 était utilisée pour le cinéma amateur. Filmer l’intime recouvre à la fois l’intimité, comme ce que nous ne montrons pas de nous, une forme de quotidienneté, de banalité, de trivialité. Quelque chose qui n’appartient alors qu’à nous, mais qui semble commun à tous. Mais l’intime c’est aussi la présence, c'est-à-dire le sentiment que la personne partage quelque chose pour un temps, pour un instant (celui du tournage ?). Semble se dessiner alors un affrontement et un rapprochement entre personnage et personne, entre fiction et réalité (fictionnelle ?). Dans Amours Décolorées, Gérard Courant semble abolir les frontières entre réalité et fiction pour nous permettre de percevoir l’imperceptible. Ainsi le cinéaste ne filme pas le réel, mais cherche à percevoir de son sujet ce que lui-même ignore révéler.
S’installe alors une relation particulière entre le portraituré et le cinéaste, d’autant plus que, ici, Gérard Courant nous propose et d’une certaine manière nous impose, son point de vue sur l’autre, tout en laissant la possibilité d’être là pour ce qu’il est. Mariola nous invite et nous implique dans cette relation. Le spectateur s’approprie l’instant et tisse à son tour une relation d’intimité. Cette relation permet de créer un temps. Filmer l’intime, et en l’occurrence dans Amours Décolorées, il s’agit de faire le portrait de l’autre, de lui accorder du temps mais c’est aussi donner à voir son temps. Une nouvelle fois, dans la continuité de Cinématon, Gérard Courant se sert de la durée comme expérience et rend ainsi le spectateur actif. Le cinéaste nous fait « sentir le temps », le muet y contribue. Et en ce sens Gérard Courant se rapproche de Chantal Akerman lorsqu’elle déclare :
« J’espère que lorsque les gens vont voir l’un de mes films, ils sentent le temps comme une expérience qu’ils peuvent vivre eux-mêmes. En général, quand est content, on dit qu’on n’a pas vu le temps passer. Le temps, c’est pourtant tout ce que l’on a dans la vie. Lorsqu’on va voir un de mes films, c’est une expérience du temps qui passe et que l’on peut percevoir ».
Le temps et la vie caractérisent l’œuvre de Courant, donnant ainsi une œuvre des plus autobiographiques. Même si Amours Décolorées s’apparente à l’extension du Cinématon de Mariola. Il semblerait qu’il s’agisse moins d’un portrait de Mariola qu’un autoportrait du cinéaste. Gérard Courant semble vouloir fixer pour l’éternité le portrait de cette femme mais aussi le sien, et leur relation. Une tension s’exerce alors entre les instants « d’intimité » : les instants où Mariola est seule avec la caméra et où elle semble se livrer, les instants où elle nous apparaît en compagnie des amis du cinéaste et où elle semble être en représentation. Véritable autobiographie, Gérard Courant nous livre ici un coin de sa mémoire, des instants fugaces de sa vie, de sa rencontre avec Mariola. La force du cinéma de Gérard Courant semble être sa capacité qu’il a de fixer à tout jamais des instants du passé, sans que ces derniers ne soient marqués par le passé. Gérard Courant se réapproprie le genre autobiographique en le sortant du genre littéraire.
(Estelle Pajot, L’oeuvre filmée de Gérard Courant, Université de Bourgogne, UFR Sciences Humaines et Sociales, Département Histoire de l’Art et Archéologie, sous la direction de Isabelle Marinone, 2014)
C'est magnifique.
(Hélène Gaudu, 2 juin 2015)
Chef-d'oeuvre.
(Vinz J. Orlof, Facebook, 25 mai 2022)
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