Année : 1985. Durée : 1 H 25'
Fiche technique :
Réalisation, scénario, image, partition sonore, poèmes, montage : Gérard Courant.
Interprètes : Epi Melopoulou, Gérard Courant, Karbîm Khoukhani, Popi Khoukhani, Costà Khoukhani, Yorghio Khoukhani, Marina Petra.
Production : K.O.C.K. Production, Les Amis de Cinématon, Gérard Courant.
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Tournage : août et septembre 1983, Athènes (Grèce), Le Pirée (Grèce), Hania (Grèce), Frangokastello (Grèce), Îles de Crète (Grèce), Sifnos (Grèce), Santorin (Grèce).
Format : Super 8 mm.
Pellicule : Kodachrome, Fujicolor.
Procédé : Couleur.
Cadre : 1,33.
Collections publiques :
-Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
-BnF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
Première projection publique : 7 février 1985, F.I.A.G. (Festival International de l’Avant-Garde) à Paris (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Galerie Donguy, Paris (France), 1985.
-F.I.A.G. (Festival International de l’Avant-Garde), Paris (France), 1985.
-Cinéma Studio 43, Paris (France), 1985, 1986.
-Galerie Dazibao, Montréal (Canada), 1986.
-Festival du Cinéma Indépendant, Châteauroux (France), 1986.
-Festival International, Leicester (Grande-Bretagne), 1987.
-Cinémathèque Française, Paris (France), 1991, 2000.
-Rétrospective Jeune, dure et pure, Paris (France), 2000.
-Musée d’art contemporain et d’art moderne, Strasbourg (France), 2001.
-Université, Iowa City (États-Unis d’Amérique), 2002.
-Festival du Cinéma Méditerranéen, Montpellier (France), 2003.
-Festival Filmer à tout prix, Bruxelles (Belgique), 2006.
-Festival S 8, Centre Pompidou, Paris (France), 2006.
-Microscope Gallery, New York (U.S.A.), 2010.
-Site YouTube, 2012.
-Site demo.SIALIFE.com, 2013.
-Site solarwindenergy, 2013.
-Site beatzone, 2013.
-Séminaire Gérard Courant, Samawa (Irak), 2015.
Prix, récompenses, distinctions, palmarès :
-Cité dans les films préférés de Nicole Brenez, revue Débordements (France) #3, 2012, repris et traduit en anglais sur le site Letterboxd (Nouvelle Zélande), 2019.
-Cité meilleur film de l'année 1985 dans la rubrique "longs-métrages inédits" par Pierre Audebert, site Zoom arrière (France), 2016.
-Fait partie de la liste 202 films, 250 Favorite Films, établie par pis73, IMDb (Etats-Unis d’Amérique), 2018.
-Fait partie de la liste de 480 films Online, établie par Ryan McGurk, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2018
-Classé 99ème dans la liste The Greatest Films I Have Seen par Edmund Von Danilovich, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2019.
-Fait partie de la liste de 740 films, Online, établie par Gump, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2019.
-Fait partie de la liste de 89 films, Chill Out Room, établie par ElNapalmo, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2019.
-Fait partie de la liste de 308 films, Docs, établie par melis_, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2019.
-Fait partie de la liste de 750 films, Online, établie par Travis Stuart, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2019.
-Fait partie de la liste de 136 films, remains of time, établie par freud00, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2020.
-Fait partie de la liste de 27 films, Level 8 : Acquired Taste, établie par Matias Bran, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2020.
-Fait partie de la liste de 50 films, Would Like to See on Mubi, établie par Mapi, site Mubi (Royaume-Uni), 2021.
-Fait partie de la liste de 41 films, Nicole Brenez - Cartographie du Found Footage, établie par Sii2, site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2021.
Less a holiday movie than a personal encounter with another landscape and culture.
Résumé II (english)
Gérard Courant films the routes of his voyage in Greece with a Super8 camera. Reflections, waves, ports and landscapes are edited at a dizzying pace; in their midst, portraits appear of a very beautiful woman, along with images of the director who turns the camera on himself, showing his face reddened by the sun.
En juillet 1980, j'étais fier de ma performance : j'avais tourné Coeur bleu, en seulement quatre jours. De plus, le film ne fut pas bâclé : le tournage avait été minutieusement préparé et Coeur bleu fut même sélectionné au festival de Cannes (et dans de nombreux festivals à travers le monde, à Thessalonique où il fut primé, Montréal, Vienne, New York, etc). À cette occasion, le Matin de Paris, sous la plume d'Alain Riou, parla « d'un des événements les plus importants du festival ». Geneviève Payez, pour le magazine Visions, en Belgique, le classa parmi les dix meilleurs films de l'année et il connut, grâce à Dominique Païni, qui en fut également l'un de ses précieux mécènes, une petite sortie en salle au cinéma Studio 43 à Paris. En novembre de la même année, je fis encore mieux dans la rapidité de tournage : je filmais Vivre est une solution en trois jours et les 13 et 14 juin 1981, La Neige tremblait sur les arbres en deux jours !*
Bref, avec ces films, je voulais démontrer que filmer rapidement n'était pas synonyme de film mal foutu et fauché. Cette vitesse de tournage était un exercice de style et une obligation que je m'étais faits de travailler selon cette contrainte pour mieux apprivoiser le medium cinéma. C'était tout sauf une fin en soi puisque avec À propos de la Grèce (1983-85) et Les Aventures d'Eddie Turley (1983-87), je changeais radicalement de méthode. La contrainte devenait inverse : il s'agissait alors de prendre tout le temps qu'il fallait pour fabriquer les deux films. Le tournage, les effets spéciaux et le montage de La Grèce et d'Eddie Turley furent exécutés sur une durée, ô combien, plus importante ! Et pour rendre la contrainte encore plus difficile, je travaillais sur ces deux films en même temps, passant de l'un à l'autre selon les circonstances. Le premier fut filmé en août et septembre 1983 puis, pendant plus d'un an, À propos de la Grèce a été entièrement refilmé image par image pour que chacune d'elle soit arrêtée, puis décomposée et décortiquée pour en extraire son âme secrète. Les Aventures d'Eddie Turley, quant à lui, fut tourné de mars 1983 jusqu'à l'été 1986. La Grèce a été fabriqué en un an et demi et Eddie Turley en quatre ans !
À propos de la Grèce et Les Aventures d'Eddie Turley sont en apparence les deux films les plus antagonistes qui soient. Le premier est, en quelque sorte, le positif du second et le second le négatif du premier. Pourtant, on pourrait presque dire qu'ils sont un et même film, les deux versants d'une même démarche, les deux pôles d'une même esthétique, les deux faces d'une même pièce. À propos de la Grèce, c'est le rêve et Les Aventures d'Eddie Turley, le cauchemar. À propos de la Grèce est mon côté Docteur Jekyll et Les Aventures d'Eddie Turley, mon côté Mister Hyde !
À propos de la Grèce est un film aux couleurs luxuriantes alors qu'Eddie Turley est un film sombre, avec un noir et blanc très contrasté. Le premier est un film sur la lumière crue méditerranéenne alors que le second met en scène un monde de ténèbres citadines. La Grèce est un film d'amour et de sensualité pendant que Moderncity nous présente un monde où le mot « amour » est banni. Le premier est un hymne à la nature, à la mer, à la beauté, à la poésie alors que le second montre des mégalopoles inhumaines qui vivent sous la dictature d'un roi invisible et puissant. La Grèce montre une femme divine pendant qu'Eddie Turley nous présente des êtres insignifiants, des silhouettes et des ombres.
Dans À propos de la Grèce, le spectateur est porté par le rythme du film : il est le sujet même du film. Dans Les Aventures d'Eddie Turley, le personnage de l'agent secret galactique Eddie Turley raconte en off son périple dans Les Pays Extérieurs : il crée une distance entre ce que l'on voit et ce qu'il a vécu et le spectateur est extérieur à son aventure. Il est mis hors-jeu de la fiction !
(Gérard Courant)
* Mais il me fallut attendre 2007 pour pulvériser mon record et réaliser trois (3) longs-métrages en trois (3) jours !!! En effet, les 24, 25 et 26 avril 2007, dans lîle éolienne d'Alicudi, au nord de la Sicile, je filmais Alicudi 1 Bella (le 24 avril), Alicudi 2 Selvaggia (le 25 avril) et Alicudi 3 Lontana (le 26 avril).
J’ai heureusement vu plusieurs fois la Grèce, il y a des années déjà. Je n’ai malheureusement vu qu’une fois À propos de la Grèce de Gérard Courant, il y a deux ans déjà.
Vous savez comment opère la mémoire ? La première image qui me revient de ce film est un plan « quelconque » (mais tout plan n’est-il pas « quelconque » et le « quelconque » n’est-il pas souvent ce qui frappe le plus ?). Un carrefour de rues à Athènes probablement, des hommes et femmes qui passent, la circulation. Dans mon souvenir, les chemises sont blanches : il y a surtout des hommes, bien sûr, dans les rues grecques. J’imagine que leurs chaussures sont vernies noir et blanc, façon helleno-italienne. Et puis il y a une table sur le trottoir, je crois bien. Une table bleu ciel, à moins qu’elle ne soit blanche, puisque souvent en Grèce les couvercles de gazinières et autres flancs de réfrigérateurs reprennent du service sous forme de dessus de table. Bref, une image caractéristique d’Athènes : une ruche, principalement masculine. Caractéristique de la Grèce ordinaire : une table au milieu des gens, des chaises (il y a trois fois plus de chaises que de Grecs), et bien sûr cette limpidité des sons et lumières... Un plan décidément pas si « quelconque » que ça, obstiné, obsédant. Probablement, sûrement parce que Gérard Courant a filmé vers le bas, cadré de la chaussée à la ceinture des piétons : il a regardé comme on regarde dans la rue en marchant, plutôt vers ses pieds. Il a su voir aussi la Grèce comme ça. Comme un pays « quelconque », un quelconque pays où l’on vit chaque jour comme ailleurs. Presque comme ailleurs, comme ici.
Puis la mémoire opère un recul. Ce que je retiens de ce film, ce sont ces trois couleurs, bleu, blanc, ocre. La trinité grecque. Comment se fait-il qu’il n’y ait pas d’ocre aussi dans leur drapeau ? Bleu de la mer, du ciel et des toits d’églises, blanc des villages, embruns et chemises, ocre de la terre. Et un peu de verre pâle, celui des oliviers, câpriers, eucalyptus. Gérard Courant a capté la permanence, la pérennité, l’éternité de ces trois couleurs. L’image de base de la Grèce. L’image archaïque.
Puis la mémoire travaille. Courant a eu l’idée forte d’opposer à cette beauté tranquille des éléments et des lieux, un rythme. Une trépidation. Par un montage hachuré, moins répétitif qu’on pourrait le croire, comme il en a le secret. Par un son mécanique qui accompagne tout au long, invariablement, ses images. Cela fait deux ans que je me demande si ce son est celui d’un appareil de projection (ou d’une caméra : c’était le même objet, au début), ou celui d’une hélice de bateau. Peut-être ni l’un ni l’autre. Qu’importe : pour moi ce sera toujours la fusion sonore du cinématographe en train de tourner et du bateau en train d’avancer. Vers la Grèce, vers les Cyclades ; vers une péninsule ou vers les îles.
Enfin la mémoire revient. L’obsession : tout le film se jouerait là-dessus. Sur ce bruit lancinant, d’abord surprenant, puis énervant, puisqu’on raisonne autant qu’il résonne, puis qui s’imprime bon gré mal gré en vous. Sur ces paysages, qui reviennent sans cesse, martelés. Comme si Gérard Courant voulait à tout prix, puisqu’il s’agit de la Grèce, qu’on en prenne plein les yeux. C’est le cas. Et enfin, et bien sûr, et surtout, cette femme. La femme qui passait ses vacances avec Gérard Courant en Grèce, tout simplement. Ce serait donc bien cela qu’il a enregistré ici : un souvenir obsédant, de bonheur probablement. Une image de bonheur, qui sera la matière du film ; sur quoi il bute, ce qui sera la manière du film... Au-delà, je ne sais pas, je ne vois plus. Ou ce bonheur était si intense que Courant veut rendre cette intensité, à jamais : son battement. Ou ce bonheur était déjà fragile, menacé : il allait perdre un jour la Grèce, perdre cette femme, cette beauté, ce bonheur. Il rendrait la menace du temps, les coups de buttoir de la mort qui travaille toute chose, tout être, tout amour.
Je ne veux surtout pas le savoir. Je ne veux rien voir de plus ici qu’une image mienne, imputée nolens volens à Gérard Courant. Cette image, ce film, fusionneraient les deux propositions ci-dessus : un homme (à la caméra, dirait Vertov, dont Courant a retenu bien des choses) a vécu là, en Grèce, un amour à son paroxysme. Au maximum de son intensité. Donc déjà fragilisé, menacé. Il saurait que cet amour ne vivrait plus jamais cela, là : au plus fort de sa beauté, dans ces lieux et ce temps grecs infiniment sereins. Il voudrait nous dire que la trépidation amoureuse est passée trop vite. Que le séjour en Grèce était trop court. Que la Grèce et l’amour, c’est toujours trop beau, ça passe toujours trop vite. Toujours aussi obsédants que fragiles, le bon, le beau.
À propos, les fameuses cartes postales ; les fameux clichés (de vacances) du bonheur et de la beauté. Gérard Courant ne leur tourne pas bêtement le dos, il ne ferme pas les yeux dessus. Il les fait comme défiler en accéléré, les secoue, les mélange. Il les bat, au pied de la lettre, dans tous les sens du terme. Comme s’il voulait que nous reste, en vrac, un tas d’images. Un tas « tout bête », inarticulé, désossé, défait, d’images trop belles, trop bonnes. Précisément, c’est ce tas insensé qui ferait sens... Un malin plaisant, Gérard Courant !
(Fabrice Revault d'Allonnes, Le Journal du 43, n° 2, décembre 1986)
Courant had the impressive idea to contrast with the beauty of Greece, a rhythm of elements and places, like a vibration. He did it with Hatch editing, even less repetitive than we might expect, as if he knew its secret. A mechanical sound accompanies the images, invariably. And finally, above all, that woman. Simply, the woman who was spending the holidays in Greece with Gérard.
So this is what he has actually recorded: an obsessive memory of happiness. A man – with a camera, Vertov would add – once lived in Greece, and there experienced love at its highest intensity.
(Fabrice Revault d’Allonnes, Le Journal du 43, #2, december 1986)
Pourquoi te jeter à la tête, c’est du Renoir ? Car depuis Le Fleuve, Toni et maintenant L’Homme du Sud, je réfléchis à cet immense souffle que font passer ces films. Le souffle de la vie.
Toi, avec ce tambour lancinant et ces volées de rythme d’images-éclats, qui sont comme le symbole de cellules biologiques qui sont « nous », ton film fait vibrer tout ce plasma humain comme celui de l’univers.
« Il faut de tout pour faire un monde » dit un protagoniste de L’Homme du Sud.
Ici, la mer se soulève et le ciel bascule et nous, nous en avons la griffe immédiate quand, par exemple, on a le soleil qui piquote nos paupières fermées allongées sur les plages.
Le rythme mixe nos cellules et les réveille de leur mort cellulaire qui risque de leur arriver faute d’action.
Film tempête qui prend à parti nos corps et nos têtes et les rendent à leur liberté égarée.
(Sylvie Reymond-Lépine, printemps 1985)
À propos de la Grèce peut faire penser a ce qui a existé avant le début du cinéma, c’est-à-dire la peinture impressionniste. Vers la fin du film, on va vers une sorte d’abstraction. Chaque photogramme est un tableau.
(Boris Lehman, Festival Filmer à tout prix, Bruxelles, Belgique, 15/11/2006)
À propos de la Grèce est une expérience pure de cinéma qui m'a totalement emballée. C'est vraiment pour moi la concrétisation d'une sensation, d'une émotion de couleurs, de matières (un film non pas EN COULEURS mais DE COULEURS), presque dans la philosophie bachelardienne de la poésie de la matière, de la lumière. C'est sans doute encore un chemin peu exploré par le cinéma qui, pourtant, pourrait constituer sa modernité. C'est presque comme un film venu du subconscient, entre deux eaux... Je me suis permis de baisser un peu le son pour en faire quelque chose d'un "arrière-plan berceur" de façon à laisser en avant les images, même ce bruit de caboteur (?) nous emmène presque physiquement dans le voyage... Il y a dans ce film quelque chose aussi du pays perdu de l'enfance, de la lumière d'été de l'enfance, comme une sorte de rêve, remonté d'un "arrière", celui qui nous constitue et en même temps nous blesse et parfois également nous guérit... De plus, le super/huit apporte pour ce film une adéquation entre fond et forme, ce qui est une unité assez rare dans le cinéma !
(…) Évidemment À propos de la Grèce n’est pas ouragan, ni tourbillon et si jamais il peut apparaître faussement comme un peu agressif, ce n’est jamais que notre propre agressivité que nous plaquons artificiellement sur les images. Non, c’est plutôt un mode de vitesse des images auquel nous ne sommes pas habitués, mais en réalité nos pensées peuvent tout à fait survenir à ce mode rapide et c’est d’ailleurs souvent le cas. Sans doute de façon erronée, nous percevons le mode du souvenir comme un mode de recomposition lente, alors que ce n’est pas toujours vrai ; le souvenir peut se présenter comme des éclairs ou sur un mode pusatoir ! (On dit qu’avant une mort accidentelle, le souvenir de notre vie peut défiler en quelques secondes !)
(Philippe Leclert, 31 mai 2009 et 4 juin 2009)
Figure majeure dans l’histoire du cinéma expérimental, Gérard Courant n’est pas seulement l’auteur de la célèbre série de portraits Cinématons, en cours depuis 1978 et qui compte à ce jour 2250 numéros (soit 150 heures). Il a réalisé beaucoup d’autres séries filmiques (notamment 24 Passions) et de nombreux longs métrages d’une intense poésie descriptive (par exemple À propos de la Grèce, 1985).
(Nicole Brenez, Site Mediapart, 14 décembre 2009)
Au premier abord, A propos de la Grèce se rapproche des premiers films expérimentaux de Gérard Courant (Cœur bleu, Aditya…) : une réalisation en Super 8 (il a tourné ces images lors d’un voyage en Grèce qu’il effectua en 1983), pas de récit ni de dialogue ou de son direct mais une bande sonore très travaillée à base de musiques et bruits divers.
À propos de la Grèce est une sorte de carnet de voyage très personnel et constitue un chapitre parmi d’autres du monumental « journal intime » que Courant a entrepris depuis plus de 30 ans. Une question se pose face à ce type de projet à la lisière du « film domestique » : qu’est-ce qui justifie une projection « publique » d’une œuvre qui, a priori, pourrait relever du strict cercle familial et amical ? (le très beau format Super 8 fut d’ailleurs une sorte d’ancêtre de la vidéo pour les films familiaux).
Au bout de quelques minutes, on comprend vite que de ce matériau intime Courant parvient à faire une véritable œuvre cinématographique. Il ne s’agit pas ici d’un simple « film de vacances » mais d’un véritable travail de mise en forme de ces images qui passe par le montage (très musical, avec un système assez complexe de rimes visuelles, de boucles et de césures) et la texture même de la pellicule.
Alors que des films comme Cœur bleu et Aditya se concentraient principalement sur des figures féminines, À propos de la Grèce est un véritable film de paysages, où l’être humain n’occupe qu’une portion congrue. A part quelques quidams filmés à la dérobée dans une rue grecque et une femme nue (une sirène ?) se baignant dans la mer ; c’est la nature qui domine dans ce film : la mer principalement, mais aussi le soleil, les arbres, la terre… Rien de « touristique » dans cette œuvre qui rappelle, montage accéléré et heurté oblige, le cinéma de Jonas Mekas dont Courant n’a peut-être jamais été aussi proche.
Le cinéaste joue également avec la matérialité même de la pellicule. Lorsqu’il filme en gros plan les reflets du soleil sur la mer et qu’il décompose ses images, il obtient des plans quasi abstraits, symphonie de formes et de lumières qui évoque d’autres cinéastes expérimentaux comme McLaren ou Len Lye.
Cette tension permanente entre le côté « domestique » du film et ses aspects poétiques et abstraits en fait toute la beauté étrange et envoûtante.
À propos de la Grèce incite aussi à faire quelques remarques sur l’évolution du cinéma de Courant. Comme dans ces premiers longs-métrages, le cinéaste pratique ici un cinéma «impressionniste », qui cherche avant tout à fixer sur pellicule des sensations, des couleurs, de la lumière, du mouvement. Il en résulte un sentiment de fugacité et d’insaisissabilité du Réel.
Aujourd’hui, ses carnets filmés cherchent d’abord à fixer des traces, du tangible (les rues des villes, des promenades filmées en temps réel…) Aux montages kaléidoscopiques des débuts a succédé un goût pour le plan-séquence hérité (en quelque sorte !) des frères Lumière.
Du coup, ce cinéma est devenu plus mélancolique, plus sombre alors que ce qui frappe en regardant À propos de la Grèce (c’est sans doute le pays qui veut ça !), c’est sa luminosité et son lyrisme échevelé.
Ce séjour grec est sans doute marqué du sceau de l’éphémère mais il n’empêche qu’il s’en dégage une sensation de bonheur et de beauté qui séduit encore aujourd’hui…
(Docteur Orlof, Blog du Docteur Orlof, 28 octobre 2010).
J’ai aimé le dyonysiaque battement reichien-rythmique d’hélice mallarméenne qui m’a paru la meilleure syllepse de ton corps-à-corps avec cette matière filmique qu’on peut aussi appeler Grèce.
(Paolo Spazziani, 14 mai 2011).
Une mer bleue étale, un paquebot. Depuis Film Socialisme de Jean-Luc Godard, cette image nous semble être la métonymie de la Grèce, et le naufrage du Costa Concordia au large de l’Italie l’a accréditée ainsi.
À propos de la Grèce date de 1985, a été tourné en 1983, et le réalisateur Gérard Courant filmait déjà ces plans de mer et ces bateaux blancs au milieu de l’étendue bleutée. Mais À propos de la Grèce est un film d’avant la crise, d’avant la catastrophe, un film solaire où tout n’est que beauté et grâce.
Ce film est le résultat d’un voyage de deux mois en Grèce, où Courant, armée de sa caméra super 8 mm a vécu une intense histoire d’amour. On ne voit rien de cette relation (si ce n’est quelques plans d’une femme nue au bord de la mer), le film captant le reste, c'est-à-dire les paysages, la mer, l’eau, le soleil, les reflets du soleil sur la mer (qui reviennent à rythme régulier pendant tout le film), la lune, les nuages, des silhouettes, des mots écrits sur du papier à lettre, les remparts d’un château, des routes, des côtes, des montagnes, des ombres… À propos de la Grèce est un film enjoué, solaire, aux couleurs chaudes, une sorte d’épiphanie permanente où toute chose se trouve magnifié par le regard exalté de celui qui les regarde.
La bande son ne contient aucun dialogue, et mélange divers morceaux classiques. En arrière-son (comme on dirait en "arrière-plan"), on entend un bruit métronomique incessant qui pourrait ressembler à celui d'un moteur de bateau. Ce son intervient à partir de la cinquième minute, sur des plans rapides d’éclaboussures d’eau, sans doute celles provoquées par l’avancée du bateau où se trouve le réalisateur. Le bruit est agaçant avant que sa persistance ne fasse entrer le spectateur dans une sorte d’état hypnotique, comme le ferait le roulis d’un navire.
Cette beauté permanente ajoutée à la texture de la pellicule 8 mm nous plonge aussi dans une certaine mélancolie. On se dit que si ces choses sont si belles, peut-être ne sont elles plus là puisque le montage enregistre une captation du passé. Ceci a bien existé puisque ça a été enregistré et pourtant, le film a l'épaisseur du rêve.
Les dernières images montrent un bateau s’éloigner des côtes grecques, le voyage s’achève.
(Nikola, Blog À bientôt j’espère, 17 septembre 2012)
Le goût du voyage ressort des travaux de Gérard Courant particulièrement sa fascination pour les montagnes qu’il filme comme des êtres humains. Ce goût du voyage est d’autant plus visible dans son film À propos de la Grèce dans lequel les dernières images montrent un bateau s’éloignant des côtes. La fin du film marque la fin du voyage. Ce n’est pas seulement une volonté de mémoire ou d’archivage qui constitue l’ensemble des Carnets Filmés. Il s’agit surtout de cette volonté de faire « rejouer quelque chose » de l’Histoire mais plus particulièrement de sa propre histoire. Le cinéaste immortalise le paysage comme le ferait un peintre, et c’est d’autant plus remarquable dans À propos de la Grèce qui ressort comme une véritable peinture impressionniste qui tente cependant à la fin de basculer dans une forme d’abstraction. Chaque photogramme est un tableau. Plus qu’un portrait, Gérard Courant nous transpose dans une expérience pure de cinéma. Et en ce sens, À propos de la Grèce se rapproche des premiers films du cinéaste, on y retrouve l’absence de récit et de dialogue. Tel un carnet de voyage, ce film constitue un pan du « film journal intime » que Gérard Courant a entrepris depuis plus de 30 ans. La dimension intimiste de l’œuvre nous interroge quant à la diffusion de cette dernière et sur le statut même d’œuvre. Le support super 8 ne fait que renforcer cette dimension intimiste. Nous sommes loin du simple film de vacances. Derrière ces beaux paysages se cache un véritable traitement des images et de l’agencement de ces dernières au montage. Même si Cœur Bleu a annoncé déjà l’importance et la place du paysage dans les films de Gérard Courant, À propos de la Grèce est, quant à lui, un véritable film de paysage ou la figure humaine s’estompe au profit du portrait de ce paysage. La nature, de par sa force visuelle, devient dominatrice dans ce film. Comme l’avait très bien soulevé Vincent Roussel dans son article d’octobre 2010, Gérard Courant n’a alors jamais été aussi proche du cinéma de Jonas Mekas. Les gros plans du visage de Gina Lola Benzina sont remplacés par les gros plans du soleil sur la mer qui reviennent sans cesse rythmer de manière très régulière tout le film. Une dualité se met alors en place dans l’œuvre du cinéaste. L’œuvre est sans cesse ballottée entre le domestique, l’intime et l’étrange poétique de la nature. Gérard Courant joue sur les impressions et les sensations, et fait de son œuvre une œuvre « impressionniste ». Il cherche à marquer la pellicule des sensations qu’il a lui-même ressenties au moment de la capture de ces images, mais aussi de la lumière, des couleurs : film solaire où tout n’est que beauté et grâce. La texture de la pellicule Super 8 donne naissance à un sentiment de mélancolie. Ces belles images capturées par Gérard Courant ne sont désormais qu’une captation du passé, donnant ainsi une atmosphère propice au rêve. Il semble que, malgré une volonté des plus grandes de transposer la beauté offerte à Courant par la nature, ce dernier ne parvient pas à la retranscrire avec toute la précision qu’il aimerait, de cela se dégage un sentiment d’inachevé, de fugacité, d’impossibilité à retranscrire l’insaisissabilité du réel.
(Estelle Pajot, L’oeuvre filmée de Gérard Courant, Université de Bourgogne, UFR Sciences Humaines et Sociales, Département Histoire de l’Art et Archéologie, sous la direction de Isabelle Marinone, 2014)
Gérard Courant films the routes of his voyage in Greece with a Super8 camera. Reflections, waves, ports and landscapes are edited at a dizzying pace; in their midst, portraits appear of a very beautiful woman, along with images of the director who turns the camera on himself, showing his face reddened by the sun.
(Spirited away, 7 décembre 2014)
Gérard Courant filma le rotte del suo viaggio in Grecia con una cinepresa Super8. Riflessi, onde, porti e paesaggi sono montati con un ritmo vorticoso; fra questi appaiono i ritratti di una donna, bellissima, e quelli del regista che rivolge la cinepresa verso di sé mostrando il volto arrossato dal sole.
(Humboldt Books, 2015) C'est aussi l'Amour qui préside à la nouvelle orientation de Gérard Courant (prendre tout son temps) qui filme son voyage en Grèce en août et septembre 1983. Voulu comme un hymne à la beauté, le cinéaste prend le temps de refilmer ses images, image par image, décomposant le mouvement, mélangeant les formes, heurtant les trajectoires. Ainsi décortiquées, il en extrait « l'âme secrète ». L'unité de l'ensemble est pourtant manifeste et surtout très émouvante. Elle se fait par le son avec le rythme entêtant d'un moteur, qui est à la fois celui du projecteur et du bateau, une pulsation mécanique au cœur du film mais qui ne se substitue jamais à celui-ci. Un ronronnement qui permet le sommeil paradoxal, l'hypnose étant atteinte par un fabuleux travail sur la lumière qui crée véritablement le lien, Courant le définissant d'ailleurs comme un « film sur la lumière crue méditerranéenne ». Il y a d'abord le plan léger à deux doigts de s'envoler, comme un bruissement qu'accompagne les clapotis et la douceur de la rengaine italienne, où on s'approche de la côte et de la contrée mythique. La suite du voyage sera une explosion d'impressions, où eau et lumière entretiennent un dialogue permanent avec des formes plus terrestres. Les motifs sont répétés, associés : une mouette, quelle mouette merveilleuse ! Et le vol plus volontaire, plus tard poussif d'un gros long-courrier. Warhol. Une déesse nue dans la plus pure tradition impressionniste. Un bleu jamais vu comme tel, sublimé sur l'écran. La folie de la circulation automobile vue du ciel. Un soleil couchant s'agite en tout sens dans ce cinéma moléculaire exaltant le vivant. Les flots qui filent et délient le fil du temps. Qui tentent de se figer dès lors qu'on veut se détacher de ces terres. Des cadres par dessus le cadre comme un filet pour retenir tous ces regards. La mémoire. Du voyage, des aventuriers et cinéastes-poètes. Ce sont eux qui seront le plus sensibles à cette odyssée qui remue en nous souvenirs et sensations mêlés. Et l'éternité... « A propos de la Grèce » est le film le plus rimbaldien jamais réalisé. (Pierre Audebert, Facebook, 26 février 2016)
À PROPOS DE LA GRÈCE EST LE FILM LE PLUS RIMBALDIEN JAMAIS RÉALISÉ
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