ONE WAY PASSAGE (VOYAGE SANS RETOUR) de TAY GARNETT.

Cinéma 80, n° 253, janvier 1980.

Mort il y a deux ans, Tay Garnett demeure un des grands oubliés du cinéma américain. Bien qu’il n’ait ni la stature d’un John Ford ou d’un Raoul Walsh, ni la grandeur d’un Josef von Sternberg, ni même le talent d’un George Cukor ou d’un King Vidor, de Celebrity (1928) à Timber Tramp (1973), Tay Garnett a réalisé quarante-quatre films parmi lesquels Seven Sinners, avec Marlène Dietrich et John Wayne et ce One Way Passage qui, chacun à leur manière, méritent la considération. Non dépourvus d’humour et toujours diablement rythmés, les films de Garnett devraient être nettement réévalués.

De la même manière que L’Heure suprême, l’histoire de Voyage sans retour est, outre la beauté de son récit, particulièrement émouvant : un homme (William Powell) rencontre une femme (Kay Francis) sur un bateau lors d’une traversée Shangaï-San Francisco. Aussitôt, ils s’éprennent l’un de l’autre et chacun se cache la terrifiante réalité qu’il porte en lui : l’homme, Dan Hardesty, est condamné à la chaise électrique dès son arrivée en Amérique et elle, Joan Ames, est atteinte d’une maladie incurable qu’on suppose être un cancer. À partir d’un habile subterfuge, un authentique sauvetage de son policier accompagnateur qu’il a précipité avec lui à la mer – ils sont liés par des menottes – peu de temps avant le départ et en signe de reconnaissance, il est laissé libre par ce dernier, sans les menottes qu’exige la loi. Les deux amants se fixent un rendez-vous à terre qu’ils savent ne pas pouvoir honorer. À l’heure prévue, chacun brisera un verre sur le comptoir du bar.

Que cherchent des cinéastes comme Garnett (ou Renoir, ou Ford, ou Walsh) à l’époque du début du Parlant ? Une concision de l’action qui accentue la limpidité et la transparence du récit et accroît le choc des images dont un découpage méthodique, allié à un montage efficace où règne l’urgence méticuleuse du raccord, est la force secrète et apparente, de l’économie filmique.

Voyage sans retour est un film tourné sans repos du récit. Non seulement, Tay Garnett se refuse à ralentir son action qui pourrait lui permettre de mieux redémarrer (comme un Alfred Hitchcock ou un Howard Hawks) mais il surenchérit sa vitesse narrative pour s’envoler dans un délire fictionnel inouï. D’ailleurs, ses films n’excèdent guère soixante-quinze minutes, Voyage sans retour dure soixante-neuf minutes. Sans cette rapidité (lié, malgré la Dépression, à l’essor du capitalisme américain et d’Hollywood) s’active une sorte de défi à l’impossible : vouloir concentrer un maximum d’événements en un minimum de temps, ce que certains, comme Billy Wilder dans la deuxième partie de One, two, three, quand James Cagney absorbe plusieurs comprimés qui ressemblent à de l’amphétamine, parviendront à subvertir par une suractivation de l’action. Comme si ce cinéma était continuellement tourmenté par un « état de mort » dans son action, comme s’il fallait avancer toujours plus vite (à la manière du capitalisme U.S.) pour qu’il ait enfin un droit et un laissez-passer à l’existence.

Gérard Courant.

 


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