JULIEN de RAYMONDE CARASCO.

Libération, 2 février 1982.

Portrait d’un voyant

Il faut absolument voir ce film. D’abord, parce que c’est le seul film à raviver le souvenir du Facteur Cheval et qu’un film sur ce génial bâtisseur est attachant à priori. Pourquoi à priori ? Parce que, disait Breton, les choses véritablement nouvelles sont celles qui naissent à partir de rien, hors des cercles de la culture en place. Ensuite, il faut se précipiter pour voir le film de Raymonde Carasco parce que, avec The Misfits et Bitter Victory, c’est l’un des rares films à arracher le masque – Marguerite Duras dirait le filtre – du cinéma sur la vie. Car Julien, c’est la vie même traduite en film.

Raymonde Carasco est visiblement attirée par Jean-Marie Straub. Et Julien ressemble beaucoup à Leçons d’histoire, puisque c’est l’histoire d’une leçon apprise au cours de soixante-dix ans de vie. On voit Julien raconter ses rêves. Rêves insensés, surnaturels, démoniaques, terrestres, cosmiques. Julien est maçon. Nous le découvrons en activité, jetant du ciment, montant des murs, travaillant au dur labeur de la vie. Et puis, un jour, il a cinquante-trois ans, c’est l’accident. Il tombe. Fracture du crâne. Et de cette chute va naître une nécessité. Une découverte : l’écriture. Julien écrit sa vie, son enfance, ses rêves. Littérature brute et brutale, folle, inventive.

Ce qui est important, c’est que Julien se présente comme un document, comme un témoignage, comme un suspens. Et j’insiste sur le mot suspens. Car ce qu’il faut admirer chez Raymonde Caraco, c’est de savoir nous présenter un film où la vérité ne vient pas du côté « social » des rêves de son héros, mais de son côté surnaturel. L’originalité de Carasco est d’avoir su nous décrire non seulement une situation dramatique mais une pensée. Voilà pourquoi je me fonds totalement dans ce film. Parce que Julien (malgré un tissu de voix off – dites par Julien, Henri Gougaud et Raymonde Caraco – trop systématique, ou grâce à lui, peu importe) m’apparaît, tel Richard Burton pleurant dans le désert, comme une « amère victoire ».

En clair, disons que Raymonde Carasco prouve que le cinéma est le paradis des analphabètes. Et Julien lui donne mille fois raison.

Gérard Courant.

 


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