PASSE TON BAC D’ABORD de MAURICE PIALAT.

Cinéma 79, n° 249, septembre 1979.

Un diamant caché

Dans la profusion de films standardisés mangeurs d’écrans où la critique vient se recueillir dans l’ambiance de messe culturelle, Passe ton bac d’abord, le nouveau film de Maurice Pialat, tel un diamant camouflé sous des tonnes de pellicules décomposées, brille d’un éclat aveuglant. Par la justesse de son propos et de sa mise en scène, il s’expose malheureusement à demeurer seulement un produit de luxe pour un public privilégié et, par là même, à devenir presque invisible pour le commun des spectateurs.

De manière époustouflante, les acteurs-adolescents de Maurice Pialat, tous choisis avec pertinence et précision, ont un corps, une voix, un ton, un accent – celui du Nord –, un regard.

Le film investit des moments de la vie – rapports amoureux, amicaux, parentaux – d’une dizaine de jeunes gens qui sont face à cette muraille sociale et culturelle qu’est le bac. Il met à nu des qualités rarement développées chez les cinéastes français : les sentiments, les gestes, une « tenue », toujours arrimée à un corpus social (la famille, les copains et les copines) et enclavés dans l’espace socio-éducatif du moment (les problèmes de l’emploi, de l’éducation, de l’école). Je ne vois guère aujourd’hui que Jean Eustache, Jacques Rivette, Éric Rohmer ou Jacques Rozier à oeuvrer dans une direction analogue.

Ces qualités expriment ici la violence et l’amour avec lesquels, par-delà les oppositions de classes et d’âges, les êtres se déchirent, s’aiment, s’excluent et sont le point de départ – et d’arrivée, peut-être – de ce qu’un cinéaste peut, en l’épousant au plus près possible, reproduire de la réalité.

Il peut être aléatoire de dire qu’une pensée – fut-elle la plus élaborée – du mouvement, de l’espace, de la parole soit ici mise en pratique : elle porterait plutôt sur le mouvement des corps, leurs frôlements, leurs touchés, leurs brisures. Mais Maurice Pialat, à la manière de Jean Rouch, aborde des paysages inconnus, parsemés de pièges qu’il évite adroitement (le « naturel », le style « télé », le « cela va de soi »). Il s’éloigne ainsi des cinéastes « naturalistes » (du genre Pascal Thomas ou Francesco Rosi) qui représentent la majorité de la « corporation », pour soumettre sa caméra à l’ordre de sa mise en scène. Il semble que cette caméra – c’est là sa force – est toujours présente sans être vue, qu’elle est une sorte d’oeil invisible qui aggripe et arrache les images afin d’en extraire des fragments de réel qui ne sont jamais assujettis par les griffes d’une direction d’acteurs encombrante et ronronnante.

Chaque adolescent rit, ici, avec la détermination d’une inquiétude persistante dont chacun est conscient et dont tous semblent surmonter les impondérables. Cet acharnement à vivre, travesti en sourires, joies et franches rigolades, devient un masque, de plus en plus lourd à porter, que Maurice Pialat ne manque jamais d’arracher par l’intermédiaire d’une caméra, chargée pour l’éternité, semble-t-il.

Ce masque existentiel, dernier rempart derrière lequel ces jeunes gens, presque adultes, prennent le temps de vivre, nous dit que des êtres, au-delà des contingences sociales, existent, vivent, malgré la pesanteur des menaces qui pèsent lourdement sur eux.

Gérard Courant.

 


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