LE ROUGE DE CHINE de JACQUES RICHARD.

Cinéma 79, n° 241, janvier 1979, repris pour le site Jacques Richard, janvier 2005.

Au dernier Festival de cinéma de Hyères, où il fut projeté dans la section « Cinéma différent », Le Rouge de Chine de Jacques Richard a été très apprécié par la critique et très applaudi par les cinéphiles. D’où vient cette communion avec cet auditoire – aux réactions et aux points de vue souvent opposés – spécialisé et « pointu » ? Si le film utilise – et revendique même – des procédés d’avant-garde, ces derniers ne parasitent jamais le fond même du propos du metteur en scène. Mieux : ils vont dans le même sens en épousant jusqu’au désespoir de ses personnages.

Mais avant d’aller plus loin dans l’analyse de ce film-manifeste, il est bon de connaître les ingrédients de la recette mijotée par le cinéaste Jacques Richard. L’auteur de , son précédent pamphlet, a filmé Le Rouge de Chine avec de la pellicule spéciale, dite « haut contraste » afin de retrouver la densité photographique de certains films de l’âge d’or du Muet comme Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene ou L’Atlantide de Jacques Feyder, aux images fatiguées par leur grand âge et par leurs nombreuses rayures. De ces films, il ne subsiste plus que des copies très usées où les contrastes ont complètement disparu à cause de la multiplication des contretypes réalisés au cours des décennies. L’exercice pictural et cinématographique pratiqué par Jacques Richard a consisté à retrouver le noir et blanc de l’orthochromatique de jadis. Le cinéaste s’est aussi amusé à subvertir certaines conventions bien ancrées dans le cinéma traditionnel : le refus de se conformer à raconter une histoire linéaire ou encore la contestation du montage en y privilégiant le « collage », concept cher à des cinéastes (en apparence) aussi différents que le sont Jean-Luc Godard, Philippe Garrel ou Andy Warhol.

Toutes ces innovations donnent corps à des images et à des sons et créent un nouveau rapport avec le réel car tous ces procédés existent en relation profonde – je dirais même, en osmose – avec le sujet du film. De quoi nous parle Le Rouge de Chine ? Le film essaie de retrouver – à l’aide de la voix d’Antonin Artaud, extraite de l’émission radiophonique enregistrée en 1947 : Pour en finir avec le jugement de Dieu, qui est une voix déchirée, torturée et magique à la fois – un autre monde où la vie est poésie, où des êtres sont capables d’aller jusqu’au bout de leur folie, c’est-à-dire jusqu’à la mort.

Voilà un film qui tranche avec les productions mornes (normales) du cinéma français. Voilà un film qui prend à bras le corps ses destinées. Il y a une violence subie qui est exacerbée et le tout est enveloppé dans une esthétique douloureuse, calcinée et cauchemardesque. Tous ces jeunes gens qui déambulent, qui traversent l’espace du film à la manière désenchantée (désincarnée ?) des personnages de India Song – qui, eux, se noyaient dans leur passé – sont marqués par la souffrance. Oui, ils souffrent... Ils vagabondent... Ils errent à travers le monde... Ils attendent quelque chose... Quoi ? La mort ? L’amour ? La folie ? On ne le saura jamais car l’objectif de Jacques Richard est de créer une ambiance crépusculaire et tragique au lieu de nous balancer des réponses bien carrées à des questions éternelles.

La double ambition de Jacques Richard (« faire un film déchiré et tourmenté », « concevoir un cinéma nouveau ») est tellement forte qu’on ne peut pas échapper à sa contagion. Le cinéaste crée un nouveau réalisme et fait naître un nouveau regard sur le cinéma. Regard complice, nostalgique, critique. Regard aristocratique, embryon d’une représentation novatrice.

Gérard Courant.

 


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