MAURICE LEMAÎTRE, LA SUBVERSION LETTRISTE AU CINÉMA : LA DIFFUSION.

Les Soleils d'Infernalia, n° 13 bis, mai 1977.

Très insatisfait de la piètre diffusion du cinéma d'avant-garde et lui-même victime de cet état de fait, Maurice Lemaître fut le premier, en France, à proposer l'idée de projections parallèles de cinéma quelques années seulement après les débuts de la Filmmaker's Cooperative de New York, lancée par Jonas Mekas et les cinéastes indépendants américains. Aux États-Unis, après une longue réflexion, Jonas Mekas avait compris que la seule manière d'exister était de rassembler toutes les forces vives pour créer un réseau de diffusion à travers le pays qui permettrait de montrer les films et, à leurs auteurs, de gagner un peu d'argent grâce aux locations récoltées par leurs films. En France, on n'en était pas encore là. Des cinéastes existaient, mais ils oeuvraient chacun de leur côté et leurs films étaient projetés rarement ou pas du tout.

Dès 1967, Maurice Lemaître met ses idées en pratique : il crée le mouvement des café-cinémas. Les projections avaient lieu au café Colbert à Paris et la première se déroula le 1er novembre 1967 dans la plus pure illégalité car les films n'avaient pas de visa de censure délivré par le Centre National de la Cinématographie et la séance, non commerciale, n'était pas placée sous l'égide d'une fédération de ciné-clubs seule habilitée, en la circonstance, à organiser des projections non commerciales.

Quels films pouvaient-on voir à l'occasion de ces projections ? Les films de Maurice Lemaître, cela va de soi, ainsi que de nombreux essais de jeunes cinéastes du cinéma expérimental qui profitaient de ce lieu ouvert pour montrer leurs films pour la première fois. Lemaître organisait ses soirées sous la forme du double programme : si, en deuxième partie, il présentait les films dont on vient de parler, dans la première, il montrait les classiques de l'avant-garde française des années 1920, les films des René Clair, Francis Picabia, Germaine Dullac, Antonin Artaud, Man Ray, Viking Eggeling, Walter Ruttmann et Fernand Léger.

Dans ses brochures ronéotées de l'époque, Maurice Lemaître expliquait qu'il ne fallait pas attendre à une quelconque aide des professionnels "arrivés" pour améliorer la situation de l'avant-garde en France. C'était à ces derniers de prendre la diffusion de leurs films en main plutôt que d'attendre une collaboration de la profession trop affairée à défendre ses intérêts et ses privilèges... de classe. La quasi-totalité, expliquait-il, des cinéastes dits professionnels et même ceux qui se disaient progressistes – dont ceux de la Nouvelle vague –venaient de la bourgeoisie.

Six mois avant mai 68, une telle organisation aurait pu paraître utopique, mais quand on mesure, aujourd'hui, le chemin parcouru par la diffusion du cinéma d'avant-garde, grâce, entre autres, à la multiplication des coopératives de diffusion du cinéma expérimental, on comprend mieux l'importance visionnaire de Maurice Lemaître. Pas seulement en tant que ciné-artiste, mais aussi en tant que précurseur du mouvement de diffusion parallèle du cinéma d'avant-garde.

Maurice Lemaître terminait son manifeste pour la création de son café-cinéma par une déclaration très violente, à la de Dziga Vertov : « Jeunes cinéastes, novateurs du cinéma, révoltez-vous ! À bas les séniles du film ! Créez vous-même des café-cinémas ».

Et il fut entendu !

 


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