HOMMAGE À GÉRARD COURANT – GÉRARD COURANT LE BIEN NOMMÉ.

Jean–François Bourgeot, Catalogue Festival du Cinéma Méditerranéen de Montpellier, 2003.

Peut–être pas un courant à lui tout seul mais à coup sûr une trace singulière. Qui convoque volontiers les maîtres de l’expérimental mais veut rendre hommage à Abel Gance. Détenteur inimité de ce projet jamais fini du plus grand film du monde avec ses fameux Cinématons. Le hasard faisant bien les choses, cette production étonnante a commencé il y a vingt–cinq ans. Impossible de ne pas fêter ce quart de siècle ensemble. Vingt–cinq ans tout juste et plus de deux mille bobines de... bobines. Tronches célèbres déjà ou prêtes à meubler à terme les encyclopédies de la culture mondiale. Avec gentillesse, nonchalance et méthode, Gérard Courant traque l’artiste, l’écrivain ou le journaliste, l’architecte ou le peintre, le chef–op ou le danseur, et le met en position de voir, de subir (?), l’oeil fixe de la caméra. Fugace auto–portrait obligé devant ce petit oeil cyclopéen ne cachant que la modestie d’une pellicule super–8 muette. Au sujet consentant de faire, de ne pas faire, de ne pas se soumettre ou de se défaire, de se parler à lui–même, de s’inventer un public imaginaire, un partenaire de jeu qui sait. Une caméra n’est pas tout à fait un miroir et trois minutes, c’est long. Ces Cinématons constituent une mémoire gigotante d’un quart de siècle, une famille qui ne connaît pas elle–même ses propres contours, qui n’en finit évidemment jamais de se reproduire, voire de se recommencer : certains visages remettent leurs rides sur le métier et deviennent ainsi mesure du temps qui passe. Flot de visages, courants d’air, rivière plus ou moins insolente, miroir brisé de milliers de facettes. Notre miroir. Les grandes et belles archives d’un infini sourire collectif. Le portrait finalement d’une certaine confiance en l’Homme ; mémoire intermittente du spectacle du monde en quelque sorte...
C’est d’abord pour cela, cet effort entêté, cet optimisme d’une petite chambre noire colorée et automatisée que le festival se devait de rendre hommage cette année à Gérard Courant. Un cinéaste franc–tireur qui serait, puisqu’il est plutôt marqué par une enfance lyonnaise, notre Monsieur Brun à nous. Mais qui dans ses divagations de cinéaste a fait une large place à la Méditerranée. Dans les années quatre–vingt frémissantes, il compose notamment deux « ciné–poèmes » consacrés à des villes—charmes, le port de Gênes et Thessalonique. Impressions plutôt que récit, partition musicale plutôt que scénario, palette en liberté, joliment brouillonne. Deux fois vingt–cinq minutes, deux voyages pour deux documentaires introuvables.
À propos de la Grèce, tourné comme un carnet de voyage durant six semaines date de cette même époque et se présente comme une sorte d’élégie à la mer et au soleil, un vertige qui tente le mariage de l’eau et du feu. Toujours en Méditerranée, c’est plus précisément au coeur des beautés montagneuses des Pyrénées–Orientales (Cerdagne) que Gérard Courant cavalait après l’émotion du cinéma d’Abel Gance tout en tournant autour d’une drôle de gazelle : Gina Lola Benzina. Ce Coeur bleu, présenté au festival de Cannes 1981 dans la section « Perspectives du cinéma français » était à l’époque remarqué entre autre pour être le film le moins cher de l’année (1100 francs à l’époque !!!!). Avec du Super–8 et une pellicule plutôt lente (25 Asa) et la possibilité de gonflages ultérieurs (16 mm comme nous le verrons, voire 35 mm), Courant s’inscrivait alors dans cette liberté de la caméra–stylo qu’on retrouve finalement aujourd’hui avec la maniabilité confortablement bon marché du numérique. « Ce n’est ni un film de fiction, ni un documentaire et pas vraiment un film expérimental. Il s’agirait plutôt d’une oeuvre existentielle, impressionniste, dans laquelle j’ai mis sous forme de collage les différents stimuli culturels qui me travaillaient au moment où j’ai tourné le film... »
Et puis sur d’autres routes qui nous sont également proches, cette passion tenace pour le vélo, la bicyclette, la petite reine, avec des dents bien braquées sur les mollets. En selle pour de fameux cols. Gérard Courant, comme un autre ami du festival, le journaliste Alain Riou, qu’il filme avec un total respect sur les pentes alpines, n’est pas un buveur de bière rotant devant son téléviseur. C’est un praticien. Qui se met en selle et se met en scène et collectionne donc les cols (de montagne) comme d’autres les faux–cols (de houblon). Avec Chambéry–Les Arcs, c’est une passion commune (la précédente édition du Tour de France, après tous les avatars qu’a connu cette compétition, a montré une fois encore un engouement irrépressible dépassant largement le public national) qui est détaillée de façon personnelle. Sous forme d’enquête finalement, de mise à l’épreuve aussi, et avec cette fois une écriture très classique, voire tranquillement didactique, avec voix off et veuve de Jacques Anquetil. Pas de problème, le courant passe.
Notre homme construit une oeuvre agitée mais paisible. Aujourd’hui, dans un appartement de Montreuil — caverne alibabesque pour archives en tous genres — il publie un recueil de poésie et conclut la post–production d’un nouveau film. Cinéaste solitaire, comme un écrivain peut l’être, il poursuit son petit bonhomme de chemin... d’extra–terrestre. Au fond, très, très humain.

 


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