Intervention dans le colloque Cinémas de rupture du 26 novembre 1977, Écran 78, n° 65, janvier 1978.
Il est vrai que certains films, que certains cinéastes peuvent être qualifiés les uns de « militants », les autres de « différents » (bien que je préfère le terme de « cinéma expérimental » à celui de « cinéma différent »). Mais n’y a-t-il pas danger à trop vouloir parcelliser, spécialiser le cinéma en genres : « militant » et « différent », comme il y a un genre « comédie musicale », « western » ou « policier » ? N’est-ce pas en fait se calquer sur un système contre lequel nous luttons ?
Pourquoi je fais des films expérimentaux ? C’est une question de choix, de désir. C’est la meilleure façon pour moi d’arriver à créer, à révéler un univers, des formes, des couleurs, de faire en sorte que quelque chose « passe ». C’est également un refus du cela va de soi d’un certain cinéma commercial et le didactisme d’un certain cinéma militant. J’essaie de faire en sorte que mes films fassent réfléchir, qu’ils posent des questions. Je ne veux surtout pas donner de réponse, de leçon, de solution (je n’en ai pas), tel est le véritable caractère politique du film expérimental : que les spectateurs aient reçu un petit déclic, qu’ils essaient de penser, de voir les choses un peu autrement que lorsqu’ils sont entrés dans la salle de projection.
D’une manière générale, je crois que l’on peut faire plus et mieux dans le cinéma expérimental qu’ailleurs. On n’y rencontre pas de barrière morale, politique, sexuelle, technique, idéologique, etc. On y est sans doute plus proche de l’essence même du cinématographe.
Il est certain que le cinéma expérimental a toujours été à la pointe (à l’avant-garde), innovant sans cesse, transgressant, subvertissant les codes dominants. Déjà, les premiers cinéastes expérimentaux (Richter, Eggeling), dès le début des années 1920, choisirent de fabriquer un cinéma abstrait comme il y a une peinture abstraite, refusèrent la narration linéaire qui est le facteur commun de tous les films commerciaux et de beaucoup de films militants (la narration faisant figure de règle générale, de doctrine, de pensée supérieure : un film doit raconter une histoire, sinon-il-n’est-pas-film).
Mais je ne pense pas que la « différence » soit garante de qualité contrairement à ce que certaines personnes croient ici. Je suis persuadé que le cinéma expérimental doit être un des maillons du cinéma tout court et pas seulement le seul cinéma comme le disent les cinéastes « différents ». Des gens comme Vertov, Eisenstein, Lang, Murnau, Hitchcock, Bresson, Godard, Marguerite Duras, Garrel, Schroeter ou Chantal Akerman ont fait beaucoup plus pour l’établissement d’un cinéma moderne que de nombreux cinéastes qui se disent « différents ».
Alors, quelle est la lutte à mener pour nous cinéastes expérimentaux ? Que soit acceptée au cinéma ce qui l’est partout ailleurs dans les autres arts, c’est-à-dire l’égalité des formes d’expression.
Gérard Courant.
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