GÉRARD COURANT, LE « PEREC » DU CINÉMA FRANÇAIS À CINÉMAGINAIRE.

Entretien recueilli par D. Berhault, L’Indépendant, 16 mai 1997.

Ce matin, à Argelès–sur–Mer, ce cinéaste expérimental présente Coeur bleu, un film tourné au lac des Bouillouses en hommage à Brigitte Bardot.

Qu’aimez–vous dans le cinéma ?

J’adore multiplier les expériences. J’essaie avec chaque film d’inventer quelque chose de nouveau dans le cinéma. Je ne dis pas que j’y parviens à chaque fois, mais cette volonté d’expérimentation est mon moteur qui me permet d’aller toujours de l’avant.
Depuis que j’ai commencé à faire des films, en 1976, je crois que je n’ai jamais fait deux fois la même chose. Chaque film me permet de défricher un nouveau territoire inexploré dans le cinéma et d’expérimenter une nouvelle manière de faire des films.

Coeur bleu, réalisé en 1980, a été présenté au festival de Cannes 1981 dans la sélection Perspectives du cinéma français. Parlez–nous de ce film.

Tout le film est fait avec et autour de Gina Lola Benzina, qui est l’unique modèle de Coeur bleu. J’avais déjà fait un film avec elle, en 1979, qui s’appelle Je meurs de soif, j’étouffe, je ne puis crier... J’avais été enthousiasmé par sa personnalité et par sa beauté qui étaient si troublantes qu’elles m’avaient donné envie de faire ce film. En fait, Coeur bleu est un portrait de Gina Lola Benzina. Son nom sonne — claque, même — comme un personnage de roman. C’est un nom qui fait fonctionner notre imaginaire : il nous rappelle le cinéma et la chanson des années 1950, le cinéma italien de cette époque et un zeste de dérision, très Rock and Roll, indispensable pour avoir le recul suffisant et adhérer à cette peinture.
Le film a été tourné dans le cadre grandiose des Pyrénées orientales, dans la région des Angles et de Font Romeu, entre 1600 et 2000 mètres d’altitude. Coeur bleu mêle la beauté féminine à celle de la nature et s’apparente plus à la peinture, à la musique et à la poésie qu’aux films d’art et d’essai que l’on voit au cinéma. Bref, Coeur bleu est un ciné–poème qui s’adresse à tous les gens ouverts à une autre forme de cinéma.

En quoi fut–il une expérience ?

Il fut d’abord une expérience au niveau de la technique. J’ai travaillé sur une machine qui s’appelle la truca. Cette machine permet de retravailler les rythmes de chaque plan en doublant, triplant, quadruplant, et plus encore, chaque image. Il est donc possible de modifier tous les rythmes, soit de ralentir les plans, soit de les accélérer. J’ai travaillé comme un peintre qui se bat avec les couleurs.
Ce fut également une expérience par le choix, qui est rare au cinéma, de faire un film avec un seul personnage, celui de Gina Lola Benzina. J’ai réalisé une composition cinématographique à partir d’éléments littéraires, picturaux et musicaux. C’est un film très musical avec des chansons des années 1950, celles de Brigitte Bardot et de Marilyn Monroe. Coeur bleu est, quelque part, un hommage à Brigitte Bardot.

Où vous situez–vous aujourd’hui dans le cinéma ?

Je suis un peu un extraterrestre du cinéma. De ma planète, je remarque que trop de films d’aujourd’hui manquent d’âme et d’émotions, même si, techniquement, ils sont quasiment irréprochables.
Ma période cinématographique préférée est celle des années 1950 quand Hollywood en était arrivé à une sorte de perfection et que l’on sentait poindre les prémisses de la Nouvelle vague qui allait tout balayer et inventer une nouvelle manière de faire du cinéma. Le télescopage des deux m’intéresse beaucoup.

Le cinéaste que vous êtes est–il plus proche de l’écrivain ?

Oui, j’aime travailler seul, avec ma caméra. J’ai souvent à l’esprit la philosophie d’Alexandre Astruc de la caméra–stylo : penser un film comme on pense un livre.
J’ai également toujours une pensée pour l’écrivain Georges Perec qui, pour chaque livre, proposait un exercice différent, une nouvelle aventure littéraire. À mon humble niveau, j’essaie, avec chaque film, de créer une expérience cinématographique nouvelle, je tente de découvrir quelque chose de nouveau.

 


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