SAUVE QUI PEUT (LA VIE) — version télévisée.

Cinéma 82, n° 277, janvier 1982.

D’un film, Sauve qui peut (la vie), dont la sortie a déclenché les habituelles querelles anti ou pro godardiennes et marqué le retour du vilain Jean-Luc dans les médias, Godard a refait un film spécialement pour la Télévision Suisse Romande en y adjoignant deux longs entretiens, l’un avec le producteur de l’émission, l’autre avec isabelle Huppert, qu’il panache et emmêle avec les images de Sauve qui peut (la vie). Tout, ici, est flambant neuf en même temps que d’une drôlerie jubilatoire.

En bouclant la chaîne du projet Sauve qui peut (la vie), dont le premier maillon était composé de cet admirable projet vidéo d’une vingtaine de minutes accompagnant le scénario du futur film pour la commission d’avance sur recettes, Godard réalise ce que personne d’autre n’avait fait ou osé faire avant lui : d’un film, en réaliser trois, c’est-à-direde quoi faire pâlir de jalousie tous les Pythagore du monde car, même en recalculant à l’infini, on n’échappe pas à cette logique arithmétiquegodardienne : 1 = 3.

De Sauve qui peut (la vie), on ne pourra plus parler qu’au pluriel. Oui, jamais encore un cinéaste n’était allé jusque-là, jamais, depuis Méliès, un cinéaste ne nous avait fait prendre trois films pour un ou un film pour trois. Car ces trois films sont à la fois si proches en même temps que si lointains.

Et c’est en ça que cette version télé que le Studio 43 a eu l’idée et le bonheur de nous présenter est une vidéo étrange. On ne s’intéresse plus au film Sauve qui peut (la vie) mais à ce qu’il y a entre, autour, à côté. Godard nous oblige à regarder le Nouveau pour mieux voir l’Ancien. Ce Sauve qui peut nouvelle formule ressemble à ces dessins vides de couleurs qu’on demande aux enfants de colorier.

Ce faux remake de Sauve qui peut (la vie) est ce qu’il est. Il n’y a pas, d’une part, le film Sauve qui peut (la vie) qui est un vrai film et, d’autre part, l’émission T.V. Sauve qui peut qui est le conflit de la vidéo et du cinéma, du cinéma et de la télévision. Il s’agit de bien autre chose. Faire joujou avec des images et des sons avec cette merveilleuse machine électronique qu’on appelle la vidéo.

Comment réagir devant une telle émission de télévision ? À quoi sert-il de dire que Godard se joue des questions comme Schroeter de l’opéra ? Car ceux qui n’ont pas vu isabelle Huppert bégayer sur les mots les plus faciles, rester soudain silencieuse, puis coincer Godard par une question inattendue, et bien !, ceux-là ont manqué un de ces petits événements qui jalonnent les soirées parisiennes.

Gérard Courant.

 


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