SAUVE QUI PEUT (LA VIE) — version télévisée.

Art press, n° 53, novembre 1981.

Pourquoi ne réagissons-nous pas devant ce monument de ruse joyeuse qu’est cette nouvelle version de Sauve qui peut (la vie) montrée à la Télévision Suisse Romande et que le Studio 43, à Paris, a eu l’idée de présenter au public français en même temps qu’une grande rétrospective cinématographique de son auteur, Jean-Luc Godard ? Parce que nous sommes tous accrochés à une parole et, même plus, à une voix qui zigzague entre les obstacles qu’un producteur TV, pourtant dévergondé, ne cesse de jeter devant la marche irrésistible de notre Descartes helvétique dont l’ancêtre français disait : « Pour atteindre à la vérité, il faut une fois dans sa vie se défaire de toutes les opinions que l’on a reçu et reconstruire de nouveau, et dès le fondement, tous les systèmes de ses connaissances ».

Sans doute, cette troisième version de Sauve qui peut (la vie), après le projet vidéo confectionné spécialement pour la commission d’avance sur recettes et le film lui-même, démontre qu’il n’est pas facile de démolir, démonter et remonter son propre film. Et il faut applaudir une telle initiative autocritique qui ne nous fait rien craindre de néfaste pour notre prophète car ses ailes de géant n’empêchent pas notre aigle diderotien de pavoiser sur cet entre-deux mondes qu’est la Suisse. Alors, soyons attentifs, buvons ses paroles et n’oublions pas un instant qu’il est le seul avec Orson Welles, depuis le Muet, à avoir fait continuer « ce merveilleux petit train électrique auquel ne croyait pas Lumière ».

Citons encore Godard, via Rilke. Dans une conversation animée avec Isabelle Huppert, il essaie de se souvenir de ces quelques mots de Rilke qu’il déforme un peu, qu’il balbutie, mais tant pis : « Car la beauté n’est rien que le commencement de la terreur que nous sommes capables de supporter ». Idem pour les acteurs avec lesquels Jean-Luc Godard dit dans ce Sauve qui peut (la vie) nouvelle manière toutes les difficultés qu’il peut avoir avec eux.

Gérard Courant.

 


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