Année : 1999. Durée : 59'
Fiche technique :
Réalisation, scénario : Gérard Courant.
Image : Isabelle Fermon.
Son, mixage : Jean-Daniel Bécache.
Montage : Élisabeth Moulinier
Assistant montage : Hugues Deltell.
Photographe de plateau : Jean-Claude Moireau.
Interprétation : Joseph Morder, Françoise Michaud, Luc Moullet, Dominique Noguez, Dominique Païni, Marcel Hanoun, Mara Pigeon, Nele Pigeon, Roland Lethem, Noël Godin, Boris Lehman, Gwennaël Breës, Alain Riou, Gérard Tallet, Yves-Marie Rollin, Arnaud Boland, Guy Pezzetta, Georges Londeix, Pierre Merejkowsky, Gérard Courant.
Production : Cinq Continents à Paris (Arnaud Boland, Marcel Paul-Cavallier), Play Film à Paris (Mahmoud Chokrollahi, Christophe Grébaux), Alcyon Film à Bruxelles (Jean-Noël Gobron) Canal + (Alain Burosse), RTBF (Télévision belge), Canal + Belgique, avec la participation du Centre National de la Cinématographie.
Directrice de production : Ann Arnold.
Conformation : Hugues Deltell.
Assistant-image : Arnaud Mathey-Dreyfus.
Distribution : Les Amis de Cinématon.
Tournage : 22 septembre 1996 à Romorantin (France), 1er mai 1997 à Paris (France), 3 au 6 mai 1999 à Paris (France), 7 mai 1999 à Resson (France), 10 mai 1999 à Paris (France), 11 au 14 mai 1999 à Bruxelles (Belgique), 15 au 17 mai 1999 à Paris (France).
Format : Vidéo Beta numérique.
Cadre : 16/9.
Procédé : Couleur.
Collections publiques :
Forum des images, Paris (France)
BNF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première projection publique : 15 février 2000, Cinémathèque Française à Paris (France).
Principales diffusions et manifestations :
-Cinémathèque française, Paris (France), 2000.
-Télévision Canal + (France), 2000.
-Festival International des Programmes Audiovisuels, Biarritz (France), 2000.
-Festival Côté Court, Pantin (France), 2000.
-Festival Joseph Morder, Cinéma Le Denfert, Paris (France), 2000.
-Télévision Canal + Bleu Belgique, 2000.
-Télévision Canal + Jaune Belgique, 2000.
-RTBF (Radio Télévision Belge Francophone) (Belgique), 2000, 2004.
-Télévision Canal + Réunion (France), 2001.
-Télévision Canal + Antilles (France), 2001.
-Télévision Canal + Guyane (France), 2001.
-Festival La Règle du Je, Cinéma et Autobiographie, Le Mois du film documentaire (France), 2001.
-Rencontres Cinématographiques, Guarda (Portugal), 2010.
-Cycle Journal filmé, cinéma Eldorado, Dijon (France), 2011.
-Rencontres du Cinéma Documentaire, Périphérie, Montreuil-sous-Bois (France), 2012.
-Cinéma Mercury, Nice (France), 2014.
-Forum des images, Paris (France), 2017.
-Rétrospective Autoportrait / Journal filmé, Cinémathèque de Toulouse, Toulouse (France), 2020.
Sorties DVD :
Les Films de l'Ange, Paris (France), novembre 2007.
Éditions L'Harmattan, Paris (France), octobre 2012.
Depuis trente ans, le cinéaste Joseph Morder réalise un journal filmé tourné en Super 8 mm à la manière d'écrivains qui tiennent un journal écrit.
Il filme ses amis, sa famille, son quartier (Belleville), des personnages de rencontres, ses voyages (ici, à Bruxelles) et toutes sortes d'événements petits et grands, publics et privés.
Sa passion du cinéma est telle qu'il va jusqu'à provoquer des situations insolites ou organiser des réunions d'amis pour créer des images et les intégrer dans son Journal filmé.
(Gérard Courant)
Joseph M’s Diary is a film about director Joseph Morder and the Super-8 film he has kept since 1967. His film diary could be likened to the literary diaries of writers such as Gide, Amiel, Léautaud and Calaferte.
Shot in Paris and Brussels, this film shows the directo rat work, talking with friends such as Françoise Michaud, Boris Lehman, Roland Lethem, Noël Godin, Dominique Noguez, Dominique Païni, Alain Riou, Marcel Hanoun, Maria et Nele Pigeon.
The film raises questions about the nature of autobiographies and the cinéma itself.
(Gérard Courant)
Il y a tout lieu de penser que Gérard Courant nous offre ici un film déclaratif. J.M., initiales de Joseph Morder, dont un portrait amusé nous est proposé, initiales également, heureux hasard, de Jonas Mekas, qui est l’auteur d’un journal (Walden), J.M. donc, peut s’entendre phonétiquement : j’aime. Dominique Païni le suggère dans ce film, à même son nom, Joseph Morder témoigne de son amour pour le cinéma. Avec ce documentaire sur le Journal filmé de Joseph Morder, qui est un vaste film de plusieurs heures (50, dont 13 sont montrées lors de diverses projections), sans doute Gérard Courant veut nous faire part de l’affection qu’il a pour son ami, et, généreusement, nous l’offrir en partage. Déclaration amicale, ce film est aussi bien un regard porté sur le faire cinématographique, sur ce faire tel que Joseph Morder le pratique depuis bientôt trente-cinq ans.
Le Journal de Joseph M est un document singulier à de multiples égards. Cette singularité, elle tient évidemment à la personne de Joseph Morder, qui se prête volontiers à l’entreprise tout en la rendant difficile. Veut-on dresser son portrait ? Il s’expose sans détours à la caméra, non pas pour s’y montrer, mais pour s’y jouer tel que peut-être il est véritablement. Ainsi, nous le voyons, de Paris à Bruxelles, auprès de plusieurs « Morlocks », devenus tels lors d’une cérémonie inaugurale, qui touchent de près à son existence, et peuvent, avec lui, la raconter ludiquement. À Luc Moullet, il confie que tourner est une saine fatigue aussi bien qu’un repos, avec Dominique Noguez, il revient sur le commencement de son Journal filmé, à sa complice Françoise, il dit avec romanesque vouloir d’elle un enfant, dut-il pour cela interrompre son journal pendant quelques années, en compagnie d’un génie Morlock, son égal en fantaisie qu’est Noël Godin, il parcourt une jungle habitée d’animaux étranges et colorés, avec Marcel Hanoun enfin, il s’amuse, du milieu d’un champ de colza, à contrevenir au déroulement du film en interrogeant le « hors-champ », Gérard Courant, et les décisions qu’il sera amené à prendre au montage. L’ensemble de ces scènes constitue autant d’épisodes où Joseph Morder se propose sous les dehors d’une joyeuse et douce folie.
Puisque ce film est un documentaire sur le Journal filmé de Joseph Morder, il était juste que nous soient montrées les différentes étapes par lesquelles il s’élabore : les personnes et proches qui, côtoyant son auteur, peuplent le journal, mais également la caméra Super 8 et l’usage, confiant dans le hasard, que Joseph Morder en fait, la pellicule également, qui est la matière, et qui se tient abondante sur les étagères de l’appartement de notre homme, sa projection, enfin, à la Cinémathèque française, où le public est invité à se tenir dans la salle ainsi qu’il le ferait s’il était sur une plage. Cet épisode a, semble-t-il, une importance considérable. C’est que le film Gérard Courant est né du montage de ses propres images jointes à plusieurs autres de Joseph Morder lui-même. Lors de la projection à la Cinémathèque, Gérard Courant fait davantage. Il ne montre pas simplement les images d’un autre, il en montre le caractère iconique, et les embrasse en même temps que le projecteur qui les envoie sur l’écran, exposant ainsi la machine qui les supporte. Dans un même plan, nous voyons donc les images, leur dimension pelliculaire, ainsi que leur auteur, pour l’occasion devenu projectionniste. Le Journal de Joseph M nous livre dans cette unique séquence son objet, dans les aspects variés qui le constituent. Filmant Joseph Morder, Gérard Courant fait entrevoir également le quartier, du côté de Belleville, où il vit et se promène. Qui aime en arpenter les rues prendra à ce film un plaisir supplémentaire, celui de voir des lieux connus dont l’architecture s’offre à l’écran de bien différente façon que dans le quotidien. Le besoin de déposer encore les yeux sur ces rues à maintes reprises traversées est soudainement éprouvé.
(Rodolphe Olcèse, Bref, n° 51, hiver 2001-2002)
Cette fiction sur Joseph Morder est en fait un autoportrait de Gérard Courant.
(Camille Aubaude, L’Infini, 2003)
Toujours sur ma lancée, j'ai abordé cette fois Le journal de Joseph M, non sans quelque appréhension, parce qu'il y a un certain nombre d'années que j'ai symboliquement tué Joseph, un « père? » qui avait sans doute trop d'influence sur moi. Bon tu sais que c'est la destinée des fils que de s'affranchir des pères et en ce qui concerne Joseph, malgré tout le respect dû à son travail, il se trouve que j'ai dépassé un peu son oeuvre pour explorer d'autres continents, ce qui est bien normal après tout. Une fois le « complexe paternel » franchi, le continent Joseph me semblait trop facile à arpenter, trop visible surtout, en tous cas moins porteur de mystère que d'autres continents (Bresson par exemple). C'est pour cela qu'il était un peu difficile pour moi d'aborder ce film avec le recul suffisant. Evidemment il ne s'agit pas de Morder mais d'un film sur Morder ce qui est différent. Je trouve d'ailleurs ce document plutôt intéressant dans la façon d'aborder l'oeuvre morderienne, document constitué de strates variables mais s'entremêlant sans cesse pour ébaucher la figure complexe du réalisateur et homme J. Morder. Ce qui fait que j'ai regardé l'œuvre avec plaisir, sans doute un léger brin de nostalgie, mais rien n'y fait, quand les pères sont tués ils perdent terriblement de leur pouvoir et de leur magie! Je dois dire que j'ai d'ailleurs « éliminé » aussi un certain nombre de membres de la famille (Hanoun dont le dvd que nous avons acheté pour la bibliothèque m'a permis de revoir 4 ou 5 films que j'ai trouvé terriblement tristes, également Cavalier - je trouve Le filmeur très maladif)... Je parlais précédemment des « scènes » à dénouer dont la répétition ne servait qu'à déjouer leur pouvoir mortifère. J'avoue qu'en ce qui concerne Joseph le nœud a été dénoué ! C'est d'ailleurs sans doute injuste car rien ne se « dénoue » totalement et il y a sans doute toujours à découvrir dans son œuvre..., bon voilà cette fois je n'ai pas dit grand chose de personnel. Reste que Le Journal de Joseph M est une excellente chose pour faire découvrir aux non-initiés un personnage emblématique d'une pratique : le journal filmé et ce qu'on entend par le terme « filmeur », terme qu'il conviendrait de décortiquer tant il est porteur de mouvements contradictoires !
(Philippe Leclert, 2009)
Habitués que nous sommes aux films « dispositifs » de Courant, Le journal de Joseph M. apparaît comme l’une de ses œuvres les plus « classiques ». Il s’agit d’un documentaire tourné pour Canal + où l’auteur de Cinématon entreprend de faire le portrait de Joseph Morder, pionnier du journal filmé en France (en 1999, ce journal qu’il tient depuis 1967 faisait 50 heures) et cinéaste astucieux qui interroge toujours avec beaucoup de talent les liens ambigus entre la fiction et l’autobiographie.
Prenons un exemple : alors qu’il intègre beaucoup d’éléments autobiographiques et qu’il est tourné en Super 8, un film comme L’arbre mort est un véritable mélodrame hollywoodien où l’auteur rend un hommage évident à son maître Douglas Sirk.
Courant suit ici Morder qui évoque son travail en compagnie du critique Alain Riou, de l’écrivain Dominique Noguez et du grand Luc Moullet (qu’on ne présente plus !). Il entreprend également un périple belge où il retrouve Mara Pigeon « la naufrageuse de docucus » [Noël Godin], Boris Lehman, une sorte d’alter ego belge de Morder, l’excellent cinéaste anarcho-surréaliste Roland Lethem (Vincent ne me contredira pas si j’écris ici que La fée sanguinaire est un véritable petit chef-d’œuvre) et, bien entendu, notre entarteur préféré qui accompagne Morder dans une jungle épaisse qui n’est rien d’autre que son jardin (sauf erreur, il me semble que Jean-Jacques Rousseau a également tourné un film dans le jardin de Noël Godin).
Enfin, Joseph Morder rend une visite à Marcel Hanoun (autre cinéaste dont je rêve de découvrir l’œuvre désormais invisible : je sais que certains sont diffusés sur le net mais pas en « plein écran »). Les deux hommes évoquent quelques souvenir puis interrogent de manière assez ludique ce qu’est le cinéma et le film qu’ils sont en train de tourner.
C’est ici, à mon sens, que se dessine le projet de Courant : réaliser un « portrait » d’un cinéaste qu’il connaît depuis de longues années et brouiller les pistes, tirer son film vers la fiction et trouver une forme cinématographique en adéquation avec les paroles de Morder qui déclare ici « ma vérité, c’est la fiction ».
Le journal de Joseph M. sera donc un objet composite : extraits du journal filmé de Morder en super 8 (qui donne d’ailleurs envie de découvrir d’autres films de l’auteur de Nuages américains) ; entretiens menés plutôt sérieusement (lorsque le cinéaste discute avec Riou ou présente l’une de ses œuvres à la Cinémathèque en compagnie de Dominique Païni qui remarque malicieusement que ses initiales sont les mêmes que celles de Jonas Mekas) et des saynètes « fictives » où éclate la fantaisie de Morder.
A sa muse, la sublime Françoise Michaud, il déclare soudainement vouloir un enfant d’elle, quitte à abandonner son journal pendant quelques années (en quelques secondes, Morder parvient à remettre sur le tapis la thématique de Romamor et du « danger » qu’il y a de filmer les choses plutôt que de les vivre). Avec Moullet et Godin, il fait le pitre et c’est souvent très drôle (il faut voir la première scène du film où Moullet et Morder sont à quatre pattes dans un jardin public et aboient comme des chiens tandis que des sous-titres traduisent leur « conversation » : portraits des artistes en jeunes chiens ?)
Comme les cinq Cinématons consacrés au cinéaste le prouvent : Morder est un excellent comédien (le quatrième a sans doute été tourné pendant le tournage du Journal de Joseph M. puisqu’on le voit, en contre-plongée devant un cinéma rendant hommage à Sirk, faire un numéro de comédien expressionniste assez extraordinaire : on se croirait presque chez Eisenstein ! Dans le troisième des Cinématons que Courant lui a consacré, Morder imite à la perfection le jeu de certains comédiens burlesques et ses mimiques m’ont beaucoup fait penser à Harold Lloyd). Du coup, dans le portrait que lui consacre Courant, il se dévoile un peu mais joue également beaucoup.
Au point qu’on finit par se demander si, comme dans ses propres films, ce n’est pas le jeu qui est finalement la vérité ultime de Joseph Morder…
(Dr Orlof, Le blog du Dr Orlof, 28 novembre 2009)
J'ai choisi de montrer ce film parce que je pense qu'il éclaire à travers le genre du documentaire (même si celui-ci est fictionnel aussi) la fiction qu'est Romamor. Gérard Courant est un ami et connaît donc à la fois bien ma personne et mon travail: son film est un portrait (autoportrait aussi, comme chez tous les grands artistes) de ma personnalité par le biais de son aspect ludique: cette apparence de légèreté sert à exprimer des choses profondes sans grand discours. J'ai toujours cru à la force de l'humour et du plaisir provoqué chez le spectateur: ce sont là à mon avis certaines des fonctions majeures du cinéma(tographe). Le film de Gérard Courant réunit tous ces éléments et constitue aussi une forme d'introduction à ses films: comme lui, j'aime filmer régulièrement (ses Cinématons constituent un immense journal filmé de notre époque).
Projeter Le Journal de Joseph M est une façon pour moi de poursuivre avec Gérard la conversation amicale que nous menons depuis longtemps et de la partager avec les spectateurs.
(Joseph Morder, septembre 2010)
J'ai vu ton film sur le journal de Joseph Morder : C'est complètement envoûtant. Mais comme le film charrie tout un flux de personnages j'ai envie de savoir plein de choses sur ces gens qui défilent dont je ne connais parfois à peine un peu plus que leurs noms. Par exemple cette Mara Pigeon : j'aimerais bien voir le film évoqué maintenant...
(Catherine Arnaud, 13 novembre 2010)
Quand un filmeur rencontre un autre filmeur, qu'est-ce qu'ils se racontent ? Des histoires de filmeurs. Mais pas seulement, ils se filment aussi. C'est ainsi que Gérard Courant compose avec Le journal de Joseph M en 1999 un bien beau portrait du cinéaste Joseph Morder. Il faut prendre ici le mot portrait au sens qu'il a en peinture, comme on dit « un portrait équestre » c'est à dire avec le bonhomme à cheval. Joseph Morder est donc saisi dans quelques situations bien choisies, se livrant à l'occupation qui lui est devenue une seconde nature : filmer. Pas ou plutôt peu d'éléments biographiques, juste l'essentiel comme d'apprendre que sa mère lui a offert pour ses 18 ans sa première caméra super 8. Le film est plutôt une tentative de saisir son essence, de pointer quelques traits de caractères, d'approcher une façon de vivre, de dresser la carte d'un univers personnel.
Joseph Morder filme tout, mais pas n'importe quoi. Dans un registre classique, on lui doit El cantor (2005) avec Lou Castel, Luis Rego et sa muse-compagne la très belle Françoise Michaud. Mais surtout, la caméra super 8 au bout du bras, il filme sa vie, son monde : Les défilés du 1er mai (des archives, dit-il), les fêtes chez des amis, les amis beaucoup et lui bien sûr puisque sa grande œuvre, c'est un journal filmé, commencé en 1967 et qui compte à la date du film de Courant une cinquantaine d'heures. Véritable journal intime, il n'en montre que 14, bloc de temps qui cherche à redéfinir le rapport du spectateur au film. Il ne s'agit plus d'assister à une histoire mais de s'immerger dans une fraction d'histoire. Le tout très naturellement, très simplement. « Entrez et installez vous, mettez vous à l'aise et laissez vous porter » explique Morder.
Gérard Courant, très certainement en phase avec cette façon de faire (Jeu sur la durée avec les Cinématons, principe des carnets filmés), propose un équivalent pour ce portrait d'une heure. Il compose son film comme un fragment supplémentaire du journal de Joseph Morder. Quelques jours (semaines ?) avec lui, entre rencontres, entretiens, pure saisie d'évènements (la séance à la Cinémathèque) et des scènes qui flirtent avec la fiction. Nous découvrons Morder avec Florence Michaud, Morder avec ses amis : Luc Moullet, Noël Godin, Mara et Nele Pigeon, Marcel Hanoun, Roland Lethem, Dominique Païni... C'est un film de bonne compagnie, plein d'humour et de fantaisie. On s'y sent très vite à l'aise, entre le dialogue des deux cabots, Morder et Moullet aboyant à quatre pattes sur le gazon, la cérémonie Morlock, la découverte de la jungle du jardin de Godin en Belgique, l'étrange rencontre avec le cinéaste de La fée sanguinaire (1968). Les étagères sont remplies de livres et de bobines de film, les caméras et projecteurs font entendre leur ronronnement familier. C'est le bonheur.
Cette décontraction de ton n'empêche pas la précision de la description de l'homme au travail. On voit donc Morder filmer, la caméra comme une extension organique de sa main (Cronenberg, quelqu'un ?), mais aussi monter, projeter, se confronter à la recherche d'une production, commenter ses propres images et réfléchir sur le cinéma qu'il pratique. Il a une belle phrase lors d'une discussion avec Moullet qui rappelle une sortie de Jean-Luc Godard. « Si je prends ma caméra, c'est que j'ai envie de te filmer ». Manière de dire l'importance de l'acte. Le journal de Joseph M est aussi une très sérieuse réflexion sur la nature du travail de cinéaste. Que filmer, pourquoi et comment ? Et toutes ces sortes de choses... Il atteint par là un objectif essentiel, donner envie de découvrir les films de Morder.
Une autre dimension ajoute, si besoin était, de l'intérêt au film. Le jeu entre portrait et autoportrait. Au bout d'une dizaine de minutes, un superbe plan est tout à fait explicite. Joseph Morder filme à travers sa fenêtre. Sur le côté, dans une belle lumière de film noir, il y a un miroir qui reflète le filmeur, filmé par Courant. L'axe de la super 8 de Morder est assez proche de l'axe de la vidéo de Courant. Caché derrière son objectif, le reflet est autant celui du portraituré que celui du portraitiste. A travers cet homme dont le rapport intime au cinéma et au geste cinématographique est si proche, Gérard Courant fait son propre portrait, partage les mêmes réflexions et reprend ses figures de style favorite : les Cinématons consacrés à Morder, la projection de ses films, le couple, la rue de l'enfance. A de nombreuses reprises, il passe de l'image vidéo à l'image super 8, celle que l'on voit Morder filmer. Jeux d'emboîtement. Jeux entre réel et fiction quand Morder et Françoise Michaud semblent jouer à la sortie d'une séance de cinéma. Jeux des regards qui se superposent, ne font plus qu'un des deux frères en cinéma.
Moments entre amis, discussions allongés dans un parc, séances de cinéma, rencontres insolites, Douglas Sirk, soleil de mai, enfants, rêve de jungle dans un jardin, voyage en Belgique, femme admirée, grand champ s'étendant à l'horizon, François Truffaut avait professé que « Les films sont plus harmonieux que la vie ». Gérard Courant, avec Le journal de Joseph M, par une sélection habile de morceaux de temps puisés dans la vie de son modèle, montre une vie aussi harmonieuse qu'un film.
(Vincent Jourdan, Inisfree, 5 février 2011)
Parmi les récidivistes du Cinématon, l'un des plus réguliers est Joseph Morder. L'homme appartient à la même famille que Gérard Courant, celle des "filmeurs", selon l'expression d'Alain Cavalier. Pour Courant, dresser un portrait plus détaillé de celui qui, depuis 1967, réalise avec sa caméra un "journal intime filmé", semblait donc s'imposer. Ainsi naquit Le journal de Joseph M. Comme souvent, le documentaire épouse la forme du travail du sujet principal afin de mieux en rendre compte. Il s'organise donc autour de deux pôles nommés fantaisie et quotidien. On s'amuse de la plupart des sketchs inventés, en particulier ceux, savoureux et fort bien "joués", mettant en scène Morder et son égérie Françoise Michaud. Les Cinématons consacrés à Joseph M. démontraient d'ailleurs que ce petit bonhomme au visage expressif savait, dès ses débuts, attirer le regard et se mettre le spectateur dans la poche par son humour. Ici, entre deux saynètes, il dialogue avec naturel et pertinence avec Dominique Noguez, Alain Riou ou Luc Moullet, le jeu des questions-réponses éclairant bien sa démarche artistique. Reconnaissons toutefois que l'escapade filmée à Bruxelles nous a paru moins intéressante. Est abordée là la dimension la plus intime du travail de Morder, à travers des retrouvailles avec quelques amis. Proposant moins de réflexions sur la pratique, cette partie peut paraître légèrement "excluante" (Morder utilisant par exemple le mot "Morlock", invention de langage qui n'est pas expliquée dans le film mais seulement dans l'un des bonus l'accompagnant). Mais nous aurions mauvaise grâce à reprocher à Gérard Courant ce détour puisque l'intime est au cœur même du projet du sautillant Joseph Morder.
(Édouard Sivière, Nightswimming, 26 mai 2011)
Réalisé par son ami Gérard Courant, un portrait complice de Joseph Morder, cinéaste et fondateur facétieux des archives Morlock.
Filmé dans son quotidien parisien, mis en scène avec malice, et lors d'une excursion à Bruxelles, le cinéaste, accompagné de sa fidèle caméra super 8, rencontre proches et amis - de Luc Moullet à Marcel Hanoun - et devise avec eux de son journal, des films et de la vie. Quelques extraits du journal filmé de Joseph Morder agrémentent ce portrait en liberté.
Parmi les lieux de tournage parisiens :
- l'appartement de Joseph Morder, à Ménilmontant (20e)
- les rues et le jardin de Belleville
- le canal Saint-Martin et l'hôtel du Nord (10e)
- le parc des Buttes-Chaumont (19e)
- la place de la République (10e) lors d'une manifestation
- la salle de la Cinémathèque française du palais de Chaillot (16e)
Avec la participation de Luc Moullet, Dominique Noguez, Françoise Michaud, Robi Morder, Roland Lethem, Boris Lehman, Noël Godin, Mara Pigeon et Nele, Marcel Hanoun...
(Loïc Bagès, Forum des images, 2009)
Le cinéaste, en passant à l'écran, opère comme un surgissement du néant. Il sort de son abstraction, et prend corps. En devenant ainsi « acteur » - mais peut-il en être vraiment un ? -, il acquiert un nouvel instrument, son corps, et d'une certaine manière gagne en matérialité, voire même en animalité. Joseph Morder, ainsi, se présente d'abord comme un corps animal, imitant un chien dans la première scène du film le mettant en scène en tant que cinéaste, Le journal de Joseph M, réalisé par Gérard Courant.
Devenu à l'écran un corps, mis sur le même plan que d'autres corps, le cinéaste à l'écran se révèle comme un corps humain, ayant une vie biologique, et partant il gagne en proximité, favorisant un processus d'identification du spectateur. Cette volonté d'ailleurs de se montrer dans sa plus profonde trivialité trouve son illustration dans l'un des Cinématons réalisés par Gérard Courant sur Joseph Morder. Le genre du Cinématon a été inventé par Gérard Courant, qui a réalisé de nombreux portraits filmés muets de personnalités et notamment de cinéastes, portraits de 3 minutes 30 environ et en gros plan. Dans ce Cinématon de 1980, Joseph Morder se désacralise complètement, et l'on peut l'observer pendant trois minutes en plein processus de mastication et de dégustation d'un sandwich.
« J.M. (initiales de Joseph Morder) c'est j'aime, et donc tout ton cinéma, c'est une déclaration d'amour » déclare un ami de Joseph Morder lors d'une projection privée, afin de présenter le cinéma de ce « filmeur » infatigable, qui a énormément tourné tout au long de sa vie, réalisant de multiples journaux filmés dans lesquels il apparaît de temps en temps, et qui sont rythmés par sa voix. C'est à partir de cette déclaration que nous essaierons de voir en quoi le corps du cinéaste apparaît comme un corps aspirant à vivre, un corps puissamment désirant, le désir étant le motif même du cinéma, ce qui le justifie puisqu'il est désir impétueux de captation de la vie, pour le moins dans le cinéma de Morder.
Nous avions déjà évoqué Morder dans son rôle de chien dans l'ouverture du film destiné à tracer le portrait de ce cinéaste, ce qui plaçait d'emblée son corps à la fois dans une animalité étonnante et dans un rapport d'inaccessibilité, d’ambiguïté du corps, qui se donne d'abord à voir dans l'absence de significations, comme si le corps du cinéaste devait se dissimuler derrière la médiation de l'absurdité et de l'humour.
Le cinéaste Joseph Morder, comme on le découvre à travers le film de Gérard Courant, semble être également dans un rapport ambigu avec le réel, et dans une scène de ce film, on peut même dire que le cinéaste parvient à une conciliation difficile: le compromis sublime et fantasmé entre la vie et le cinéma. Ainsi, Joseph Morder cherche à filmer une manifestation. Dans cette scène, le cinéaste apparaît tout d'abord bien comme un corps en décalage et est mis en scène dans sa fonction même de cinéaste. Il cherche à se frayer un chemin parmi la foule, puis il dégaine son micro et sort sa caméra, introduisant une cassette dans celle-ci : analogiquement, ces deux actes peuvent faire penser au geste de dégainer une arme et d'en recharger les munitions. La caméra, et partant le cinéma, serait dès lors une arme permettant de pénétrer le monde, avec la dimension d'agression qui peut par là y transparaître, pour le détruire et le reconstruire, le décomposer puis le recomposer par l'acte cinématographique, et tout du moins le refaçonner.
On voit alors que le cinéma est véritablement un mode d'existence pour le cinéaste, et apparaît comme son arme pour affronter et aborder le monde, afin de le transfigurer à sa manière.
Morder évoque dans une scène antérieure le conflit intérieur qui l'anime en tant que cinéaste et homme : il est écartelé entre son désir de filmer, d'enregistrer une trace du monde, et son désir de vivre pleinement, sans la médiation de la caméra, de manière directe, authentique. Dans cette scène, Morder semble accéder paradoxalement à cet état de corps « dans » la vie, tout en continuant à être dans un processus de cinématographie du monde. Cet état serait en effet atteint lorsque , brandissant telle une épée sa caméra – la main au dessus de la foule pour atteindre le soleil, la lumière totale du monde – il abandonne peu à peu, en un lent mouvement de tête, l’œilleton de la caméra, et tourne son regard vers la réalité qui l'entoure.
Il parvient alors à concilier sa soif de vie et sa soif de cinéma, il enregistre le monde tout en y vivant pleinement au présent. Cela se lit magnifiquement sur le photogramme final où Morder, enfin apaisé, affiche le sourire sincère du cinéaste heureux et comblé. (…)
Le corps du cinéaste à l'écran ne peut donc qu'être un corps contaminé en lui-même par le cinéma, qui le porte d'une manière ou d'une autre et qui ne peut abandonner tout à fait sa position de cinéaste, tout en cessant d'une certaine manière de l'être. Dans Le Journal de Joseph M, un ami de Morder s'adresse à lui en ces termes : « Et tout devient cinéma dans ta vie... Et il y a le cinéma qui ronge ta vie, et qui donne à ta vie son pouvoir de sérénité implicite ». Cette citation nous instruit du double processus de décomposition et de recomposition dont est porteur le corps du cinéaste à l'écran, qui se donne à la fois comme un corps « rongé » par le cinéma, avec l'idée d'une perte de vie, d'une impossibilité du corps qui n'est jamais en lui-même, mais projeté dans le mouvement même de son désir de captation du monde, et en même temps, un corps qui gagne une « sérénité » implicite, le cinéma étant vecteur d'une catharsis pour ce corps décalé, inadapté au réel, catharsis par le rire ou tout simplement à travers l'acte de radiographie du corps par le cinématographe comme moyen de réappropriation du monde. Le corps auto-cinématographié du cinéaste à l'écran se révèle finalement comme un corps fondamentalement débordant, débordant de la force même de son désir et de son amour, qui ne parvient à s'incarner et à se cadrer que par le biais du cinématographe...
(Hélène Gaudu, 2012)
Damn now I wanna shoot some intimate documentary so bad.
(togg, Letterboxd, 2020)
Chef d'oeuvre
(Hantropi, YouTube, 26 février 2023)
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