Année : 1985. Durée : 1 H 28'
Fiche technique :
Réalisation, concept, image, partition sonore, montage : Gérard Courant.
Production : Gérard Courant, Les Amis de Cinématon.
Interprétation : Teo Hernandez, Gérard Titus-Carmel, Lou Castel, Florian Hopf, Volker Schlöndorff, Margarethe Von Trotta, Alexander Kluge, Gérard Courant, Doreen Canto, Marcel Hanoun, Samuel Fuller (extrait de son Cinématon), Joseph Morder.
Tournage : Roanne (France), Paris (France), Munich (République Fédérale d'Allemagne), Nice (France), Burzet (France), le col de la Placette (les Alpes, France), Carcassonne (France), Montréal (Canada), New York (U.S.A.), Londres (Grande-Bretagne).
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Format de tournage : Super 8 mm.
Pellicule : Kodachrome, Tri X, Plus X.
Format de diffusion : Vidéo.
Procédé : Couleur et Noir et blanc.
Collections publiques :
-BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
-Cinémathèque Régionale de Bourgogne Jean Douchet, Dijon (France).
Première présentation publique : 14 avril 2011, Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis) 2011.
Principaux lieux de diffusion :
-Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis) 2011.
-Site YouTube, 2012.
Prix, récompenses :
-Cité dans les meilleurs films inédits de l'année 1985 (classé 6ème) par Pierre Audebert, site Zoom arrière, 2016.
Dédicace : Nuits transparentes est dédié à Florian Hopf.
Nuits transparentes (Carnets filmés du 1er janvier 1985 au 31 décembre 1985) est une déambulation à travers la France (de Roanne à Nice en passant par Burzet et Carcassonne) avec plusieurs excursions à l'étranger (Munich, Montréal, New York, Londres). C'est, à la manière des autres épisodes des Carnets filmés, une observation scrupuleuse – et, parfois, brutale – de notre monde.
Cette partie offre une grande place aux tournages des Cinématons (des cinéastes Teo Hernandez, Volker Schlöndorff, Margarethe Von Trotta, Alexander Kluge) et présente deux nouveaux concepts de séries cinématographiques créés cette année-là : Portrait de groupe et Couple.
Le ton de ces Carnets, contemplatif et parfois drôle, ironique et parfois distant, peut irriter ou provoquer l'agacement. Derrière ces images sans complaisance, apparaît la trame d'une époque terne que je saisis à travers l'objectif de ma caméra.
(Gérard Courant)
Strolling through France (Roanne, Nice and Carcassonne) with some excursions abroad (Munich, Montreal, New York).
(G. C.)
Il faudrait commencer par dire que les Carnet filmés de Gérard Courant sont comme le bon vin : il faut les faire vieillir un peu pour en savourer tout l’arôme. Infatigable archiviste du temps présent, le cinéaste œuvre sans aucun doute pour la postérité (tant pis si le mot est un peu pompeux) et si une vision trop rapide de certains carnets récents pourrait nous faire songer à de banals films amateurs, la découverte des plus anciens prouvent déjà à quel point ces images n’ont pas de prix.
Une des phrases clés pour entrer dans ces Carnets filmés est sans doute la question que pose le cinéaste à la toute fin de Nuits transparentes : le cinéma permet-il de remonter le temps et de revenir dans le passé ? Par la grâce d’un trucage vieux comme Méliès, il nous prouve que oui et nous fait revivre une séquence précédemment vue (Lou Castel descendant un escalier et marchant le long d’une rue parisienne) en la montant à l’envers et en négatif. Si l’intention peut sembler un peu appuyée lorsqu’on la décrit ainsi, elle s’inscrit parfaitement dans le cadre d’un film qui cherche à fixer sur pellicule des moments privilégiés du présent et à briser l’inéluctabilité du temps qui passe.
Dans tous ces Carnets filmés, la volonté du cinéaste est de graver sur pellicule des instants précieux, des bribes de ce qui deviendra peut-être par la suite un film, des esquisses afin de composer un ensemble s’apparentant à une sorte de journal intime ou de carnet de peintre.
Les films regorgent de documents passionnants ou étonnants. Saviez-vous, par exemple, qu’il existe des Cinématons hors collection ? Dans Nuits transparentes, on peut voir le Cinématon en négatif du peintre Gérard Titus-Carmel (par ailleurs filmé deux fois dans la « vraie » série) qui reste totalement immobile et qui ressemble dès lors à une véritable sculpture.
Gérard Courant intègre par ailleurs dans son « journal » les extraits des émissions télévisées qui lui ont été consacrées et même la séquence (en accéléré !) de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle de Rohmer où il intervient en tant qu’acteur.
En 1985, on le voit faire le pitre avec Joseph Morder sur une balançoire pour une émission de la télévision anglaise tandis que la télévision allemande lui consacre la même année un reportage et le suit sur les tournages des Cinématons de Volker Schlöndorff, Alexander Kluge et Margarethe Von Trotta (c’est assez drôle de voir les mains de l’auteur du Tambour qui, en fait, était en train de cuisiner !).
Parallèlement à cet aspect « people » des Carnets, les films sont toujours lestés d’une certaine mélancolie lorsqu’on constate que le cinéma ne peut pas arrêter le temps et que son seul pouvoir est de faire revivre, le temps d’un instant, les fantômes des êtres disparus. C’est particulièrement émouvant dans Nuits transparentes lorsque, pour rendre hommage à sa comédienne disparue Doreen Canto, Gérard Courant propose un petit montage de certains plans de son visage (« garreliens », absolument magnifiques) issus de She’s a very nice lady.
« Le refus du temps et du vieillissement isolait d’avance les rencontres dans cette zone, accidentelle et bornée, où ce qui manquait était ressenti comme irréparable » (Guy Debord).
(Docteur Orlof, Le Blog du Docteur Orlof, 4 février 2011)
Tel un archiviste infatigable, Gérard Courant classe, archive le temps présent. Comme le remarque Vincent Roussel, une des phrases clés pour comprendre et pour entrer dans les Carnets filmés, est sans doute la question posée par le cinéaste à la toute fin de Nuits transparentes : « Le cinéma permet-il de remonter le temps et de revenir dans le passé ? » Gérard Courant répond à cette question en faisant revivre une séquence vue précédemment dans le film (Lou Castel descendant un escalier), en effet il monte cette séquence à l’envers et en négatif. Une nouvelle fois, Gérard Courant en inscrivant le temps présent sur la pellicule, recherche à figer celui-ci dans le temps, il cherche à briser l’inéluctabilité du temps qui passe. Les Carnets filmés sont à comprendre dans la perspective de prendre sur le vif des instants précis de l’existence du cinéaste. Les Carnets filmés ont débuté au même moment où Gérard Courant commencé à faire des films. Véritables archives cinématographiques, ils sont une sorte de journal intime regroupant des notes, des essais, des reportages, des rushes mais c’est également un carnet de d’esquisse où la matière filmique peut être travaillée. Jusqu’en 1992 ils ne sont pas montés et donc cela va de soit, ils ne sont pas montrés. Un peu à la manière du cinéma muet, à cette date, le cinéaste commença à les monter en y incluant des cartons.(...)
Il est intéressant de noter l’existence de Cinématons hors-collection. On en apprend l’existence dans Nuits transparentes, où l’on peut voir en négatif le Cinématon du peintre Gérard Titus Carmel. Ou encore dans Le Passé retrouvé, avec des images du vrai faux Cinématon d’Agnès Soral.
(Estelle Pajot, L’oeuvre filmée de Gérard Courant, Université de Bourgogne, UFR Sciences Humaines et Sociales, Département Histoire de l’Art et Archéologie, sous la direction de Isabelle Marinone, 2014)
Un cinéma de collectage que l'on retrouve dans une forme post-moderne chez un cinéaste qui lutte contre toute forme de dispersion en s'en allant filmer aux 4 coins des unités spatio temporelles où le temps semble s'écouler à son rythme propre (et à l'inverse des célèbres compressions auquel il se livre depuis 2007). Si les Cinématons sortent en janvier sur les grands écrans mais ce pour la dernière fois, je découvre pour ma part un Carnet filmé de Gérard Courant, Nuits transparentes ou celui qui résume justement la substantifique moelle de cette année 1985. Un journal filmé façon Courant, c'est justement le cinéma en train de se faire. Les trajets, les rencontres, les films, les émissions télé à l'étranger. Le film déroule ses morceaux choisis, sans jamais perdre le souffle, présent lui dans le montage, rythmé par une superbe création sonore qui restitue la gravité unique de chaque instant fixé sur pellicule. Parmi les meilleurs moments, une longue séquence consacrée aux expositions du peintre Gérard Titus-Carmel. D'abord en négatif, puis dans une lumière très contrastée où une simple descente d'échelle devient épopée intergalactique. Le peintre figé dans un profil métallique pour nous dit-on un faux cinématon en négatif, pièce « hors collection » et sa suite dans la cité de Carcassonne, cadre habité qui sied bien au cinéma lyrique de Courant dont les images muettes magnifient leur sujet : telle montée d'escalier, tel ballet pour accrocher un cadre à contre-jour, l'architecture du lieu que Courant capte dans les reflets des cadres de l'artiste, surimpressions élaborant une cinéplastie complexe, quelque part entre le sacré et l'infinité des perspectives. 1985 et Titus-Carmel sont à l'origine de la très importante série courte engagée par Gérard Courant, celle des Portraits de groupe, portraits filmés ici des joyeux amis de Gérard Titus-Carmel. Une bien belle idée en vérité : réunis tes amis et je te montrerai qui tu es... En fin d'année, c'est à Montréal que Courant entame une série Couples avec Benjamin Baltimore et une jolie blondinette dont j'ai oublié le nom. Autant de dispositifs dont les règles précises réinventent des rituels pour leur temps dans un cinéma affranchi des normes en vigueur (sauf pour la durée des petits formats qui est, sera, à l'époque celle de la pellicule). Ici le petit écran rejoint le grand à deux occasions. C'est d'abord une émission de télévision allemande consacrée à l'Auteur lors de son séjour bavarois où il tourne entre autres 3 cinématons reproduits ici : Celui de Volker Schlöndorff (on excusera mon manque de rigueur, j'ai oublié les numéros. Car l'archiviste ici, ce n'est pas moi !), puis un autre d'Alexandre Kluge et enfin Margarethe Von Trotta. L'intérêt de la mise en scène (de l'émission ? de Courant lui même ?) est de mettre côte à côte le film terminé et à sa droite son making of filmé. Au delà du fait de matérialiser le « pacte souffrance-plaisir » justement énoncé par Foucault, il lève le secret sur l'air doucement cinglé d'un Volker Schlöndorff se dandinant sur sa chaise sans qu'on ne sache pourquoi si l'on n'a pas le contre champ ouvert. Le cinéaste allemand est en réalité en pleine préparation culinaire, ratatinant menu (l'affaire n'est pas claire, des oignons sans doute, mais potentiellement des pommes de terre, tubercule très symbolique chez l'auteur du Tambour) au moyen d'un hachoir joliment nommé berceuse, quelques végétaux qui ne passeront pas eux à la postérité (et on accusera Deodato de maltraitance...). Autre grand moment dû à l'inventivité de Channel four (mais que notre télé est pauvre face à ses concurrentes européennes, et je songe aussi à l'excellence des choses programmées aussi sur la RAI italienne), un duo sur balançoire Courant-Morder. Autant prévenir tout de suite, la séquence est hilarante, les cinéastes échangeant sur un ton distancié puis badin, l'un martyrisant assez vite l'autre qui se voit accusé d'encéphalite aiguë au sortir de son 666ème cinématon. Mais le moment le plus fort est sans aucun doute l'hommage à la comédienne Doreen Canto où il reprend les images tournées dans son sublime film hommage à Gene Tierney She's a very nice lady. La belle jeune comédienne qui vient de disparaître se tourne encore une fois vers le spectateur. Discute longuement face caméra, yeux cristallins et sourire immense, apparaît dans les bras de Marcel Hanoun, se tourne dans l'autre sens, s'enténèbre. Courant nous gratifie en plus d'un magnifique autoportrait rieur avant que de buter sur le 31 décembre, déjà, puis de faire jouer in extremis les Orphée à Lou Castel, marchant à rebours pour faire durer le plaisir d'une année ainsi sublimée. Pour un premier Carnet filmé, ces Nuits transparentes m'ont traversé comme un songe précieux !
(Pierre Audebert, Facebook, 25 février 2016)
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