Année : 2011. Durée : 4'
Fiche technique :
Réalisation, image : Gérard Courant.
Interprétation : Werner Herzog.
Production : Les Amis de Cinématon, La Fondation Gérard Courant.
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Tournage : 14 décembre 2011 à Dubaï (Émirats Arabes Unis).
Format : Vidéo Mini-DV.
Cadre : 4/3.
Procédé : Noir et Blanc. Muet.
Collection publique : BNF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis), 2012.
-Site YouTube, 2012.
Non, Monsieur Werner Herzog, ceci n’est pas votre Cinématon est un faux Cinématon. Il ne fait pas partie de l’anthologie et il est donc hors collection.
Ayant proposé à Werner Herzog, lors de son passage au Dubai International Film Festival, de faire son Cinématon (avec son cahier des charges très particulier et très contraignant), le cinéaste allemand accepta ma demande mais sous certaines conditions. Il me précisa que son temps étant très compté, la seule possibilité de le filmer le serait durant sa master class organisée par le festival de Dubaï.
Bien entendu, il ne m’était pas possible d’accepter cette entorse aux règles intangibles du Cinématon où chaque personnalité doit être filmée dans un face-à-face avec ma caméra et, cela, en-dehors de toute activité que celle d’être cinématoné ! Pourtant, par amusement et par défi, je me suis pris au jeu et j’ai tout de même filmé Werner Herzog durant sa rencontre avec le public de Dubaï en sachant que je faisais un film qui ne serait pas le Cinématon de l’auteur de Aguirre, la colère de Dieu. Pourtant, le résultat est assez surprenant car, à première vue, on pourrait croire à un vrai Cinématon !
Les faux Cinématon sont confondants de vérité ! Ça rejoint tous mes délires autour du vrai et du faux... et ça me donne carrément l'idée ainsi que l'envie de concocter un faux (vrai/faux ?) Cinématon avec toi, du style je refuse de tourner le 6e (N.B. : 6e Cinématon) de ma tronche et tu es obligé de le faire à la volée comme chez Kiarostami ou par télépathie comme chez Herzog. Ou alors de faire celui du fantôme de Margot Duras... ou de dos ? enfin bon, tu m'inspires en tout cas ! Merci camarade Morlock (les faux Cinématon, je trouve finalement que c'est super Morlock).
(Joseph Morder, courriel adressé à Gérard Courant, 28 juillet 2012)
Même s’il reste très largement méconnu du grand public, Gérard Courant est sans doute le cinéaste français le plus prolifique qui soit. Avec ses nombreuses œuvres sérielles (Cinématon restant la plus célèbre) et les épisodes de ses « carnets filmés », sorte de journal intime au long cours, le cinéaste reste l’un des témoins les plus précieux de la vie culturelle et artistique française de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème. De Godard à Oshima, de Chahine à Scola, de Losey à Fuller en passant par Maurice Pialat, Manoel de Oliveira, Jean-Marie Straub, Marco Bellocchio, André Téchiné, Alain Tanner, Philippe Garrel ou Terry Gilliam, Gérard Courant a immortalisé un nombre impressionnant de cinéastes dans son Cinématon. Le dispositif du film est simple : il s’agit d’un portrait muet d’une personnalité liée aux arts et à la culture, en gros plan et d’une durée approximative de 3 minutes et demie, à savoir le temps d’une bobine Super 8, format adopté par Courant lorsqu’il débuta sa série en 19781. La personnalité filmée est absolument libre de faire ce qu’elle veut durant le laps de temps qui lui est imparti devant la caméra.
Alors qu’il a filmé un certain nombre de personnalités du cinéma allemand : les cinéastes Robert van Ackeren en 1980 – n°88-, Wim Wenders en 1982 – n°212-, Volker Schlöndorff, Alexander Kluge, Margareth Von Trotta en 1985 – respectivement n° 572, 573 et 576-, Harun Farocki en 1988 – n°1068- sans oublier les comédiens Otto Sander (n°883) et Horst Tappert (n°911), Gérard Courant n’est toujours pas parvenu, à ce jour, à faire figurer Werner Herzog dans son anthologie filmée. A deux occasions, il a pourtant rencontré le metteur en scène allemand, intéressé par ce projet mais qui finit par échouer, faute de temps.
La première remonte à 1985. Grâce au journaliste Florian Hopf, grand défenseur du « nouveau cinéma allemand », qui lui consacre un portrait, Gérard Courant est invité à Munich pour une l’émission de la chaîne de télévision du câble de Ulm : Der Stunde der Filmemacher (L’Heure du cinéaste). L’émission, un peu l’équivalent allemand de notre mythique Cinéastes de notre temps, était produite par le cinéaste Alexandre Kluge qui accepte immédiatement l’idée d’une émission d’une heure autour de Gérard Courant et ses « cinématons ». Elle s’intitulait Wie lange hält die Maske (Combien de temps dure le masque ?) et elle était sous-titrée : Über eine Serie von Filmportraits von Gérard Courant (Sur une série de portraits filmés de Gérard Courant). A la mi-juillet 1985, Gérard Courant se rend donc à Munich pour plusieurs journées de tournage : à la fois pour que les « cinématons » d’allemands (huit en tout) qu’il réalise alors soit filmés et pour effectuer un entretien où il raconte son projet. Alors que l’équipe est dans les studios munichois et s’apprête à rencontrer Margareth Von Trotta en plein montage de son nouveau film, elle se trouve nez à nez, dans la cour du studio, avec Werner Herzog que Hopf connaît bien. Le journaliste lui présente Courant et explique ce qu’ils sont en train de faire. Visiblement intéressé, Herzog se voit néanmoins contraint de décliner l’offre en raison d’un manque de temps car, lui aussi est en plein montage. Il n’était sorti de la salle de montage que pour faire une coupure et prendre un peu l’air.
Il faudra alors attendre 2011 pour que les chemins d’Herzog et de Gérard Courant se croisent à nouveau, lors du 8ème festival international du film de Dubaï. A cette occasion, le cinéaste peut filmer Werner Herzog pendant sa conférence de presse et intègre la séquence dans l’un de ses nombreux « Carnets filmés » intitulé Carnet de Dubaï hiver VI : lumière et reflets (2011). Qu’est-ce qu’un « carnet filmé » ? Gérard Courant répond à la question au début de chacun des films relevant de cette catégorie : « Commencés dans les années 70, les Carnets filmés sont des archives cinématographiques qui regroupent toutes sortes d'éléments épars : essais, notes, croquis, esquisses, repérages, reportages, voire rushes ou films inachevés rassemblés ici pour créer un ensemble proche de l'esprit d'un journal en littérature ou des cahiers de croquis ou d'esquisses pour un peintre ». Celui-ci se compose, en gros, de trois parties. L’une consacrée à la conférence de presse de Werner Herzog, l’autre à la remise des prix du festival qui nous permettra d’apercevoir quelques visages de cinéastes connus (Peter Weir, Volker Schlöndorff ou Nuri Bilge Ceylan) et, entre les deux, un très beau passage purement contemplatif où Courant filme depuis une voiture les buildings de la ville, la mer et ses reflets. La séquence avec Herzog dure un peu plus de sept minutes durant lesquelles Herzog évoque Timothy Treadwell (l’homme qui vivait avec les ours et auquel le cinéaste a consacré le documentaire Grizzly Man) puis répond à une question interminable d’un interlocuteur que l’on ne verra pas. Des paroles que prononce le cinéaste, on retiendra surtout sa volonté de sonder le cœur de l’être humain et la difficulté qu’il a eu, avec Into the Abyss, à être le plus juste possible alors qu’il n’avait que quelques minutes pour interroger des condamnés dans le « couloir de la mort ». L’archive n’est pas particulièrement inoubliable en elle-même mais elle permet à Courant de filmer pour la première fois l’auteur d’Aguirre. Malgré cela, l’histoire se répète et, faute de temps, il ne parvient pas à réaliser ce fameux Cinématon. Il décide alors d’intégrer Herzog à sa série parallèle de Cinématon hors-collection. Sont regroupés dans cette catégorie les films qui ne respectent pas à la lettre les règles immuables du dispositif. Il peut s’agir d’un Cinématon réalisé par quelqu’un d’autre que Gérard Courant (à ce titre, celui d’Alfred Hitchcock tourné à Cannes en 1972 est l’un des plus fameux), un Cinématon où le modèle exerce son droit de regard ou un Cinématon qui viole la règle du face-à-face entre le filmé et la caméra. C’est dans ce cas de figure que se trouve Herzog car si la valeur de cadre est conforme à celle du dispositif, le cinéaste allemand est avant tout face à une salle pour sa conférence de presse.
Intitulé Non, monsieur Werner Herzog, ceci n’est pas votre Cinématon, le film est un prélèvement de quatre minutes au cœur des images de la fameuse conférence de presse mis aux normes du Cinématon : le son est coupé et l’image est en noir et blanc puisque tous les films sont tournés ainsi depuis la fin 2010. Dans la mesure où Gérard Courant a choisi le moment de l’interminable question de l’interlocuteur invisible, le portrait est assez bluffant car Herzog ne parle pas et se montre concentré. Tout au plus voyons-nous le champ vide au début du film, lorsqu’il donne le micro au public, et le réalisateur se lever en fin de parcours pour aller le récupérer.
Ainsi Herzog rejoint la (longue) liste des « faux cinématonnés », après Agnès Soral, Luc Moullet (Luc Moullet, encore un effort pour être cinématonné) et avant Abbas Kiarostami (Oui, monsieur Abbas Kiarostami, ceci aurait pu être votre Cinématon), Nelly Kaplan, Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau ou encore… Luc Moullet (L’Invraisemblable Cinématon de Luc Moullet) et Courant ajoute une nouvelle pierre à son indispensable édifice encyclopédiste.
NB : Une autre « série » de Gérard Courant, intitulée Compressions, s'attache à « compresser » des films, à l'instar de l'artiste César, pour les réduire à une durée de quelques minutes. Tous les plans y sont mais en accéléré. Pour l'anecdote, le cinéaste a compressé deux films de Werner Herzog en 2024 : Fata Morgana et Les nains aussi ont commencé petits.
(Vincent Roussel, livre Werner Herzog, éditions Zoom arrière, n°8, 2024)
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