Année : 2009. Durée : 3' 37''
Fiche technique :
Réalisation, scénario, image, son : Gérard Courant (sur une proposition de Nicole Brenez et Nathalie Hubert).
Production : La Fondation Gérard Courant, Les Amis de Cinématon.
Chanson : Dégueulasse de Élisa Point et Fabrice Ravel-Chapuis.
Dessins : Damien Roudeau.
Fabrication : Septembre 2009.
Format : Vidéo Mini-DV.
Cadre : 4/3.
Procédé : Noir et blanc et couleur.
Collection publique : BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
Première diffusion : Site Mediapart, 14 décembre 2009.
Principaux lieux de diffusion :
-Site Mediapart, 2009
-Le 104, Paris (France), 2010
-École Nationale des Beaux-Arts, Paris (France), 2010
-Festival Anarchie et Cinéma, Université Populaire de Saint-Denis (France), 2010
-Rencontres Cinéma et Vidéo, Nice (France), 2010
-Site YouTube, 2012.
-"3.26", cinéma Lanteri, Pise (Italie), 2012.
-Gérard Courant à Dijon, Université de Dijon, Dijon (France), 2014.
-Séminaire Gérard Courant, Université Abdelmalek Essaadi, Tétouan (Maroc), 2016.
-Nahal Student Short Film Festival, Téhéran (Iran), 2016.
Les faits : Le 8 juillet 2009, la police a évacué une clinique occupée dans le centre-ville de Montreuil. Cette clinique avait pris la forme d’un centre social avec des logements, des projection de films, un accueil et des conseils aux sans papiers, des repas, une organisation collective et communautaire.
Pour protester contre cette évacuation, des résidents et amis organisèrent un gigantesque repas dans une rue piétonne voisine : la rue du Capitaine Dreyfus.
Après ce repas, un groupe se rendit vers la clinique évacuée, à quelques centaines de mètres de là et se trouva face-à-face avec des policiers. Ces derniers tirèrent sans sommation avec leur flash ball et une balle atteignit le comédien Joachim Gatti, fils de Stéphane Gatti et petit-fils d’Armand Gatti, en plein visage. Joachim Gatti s’effondra, le visage en sang et un œil crevé !
Un film collectif : À la suite de cet événement et sous l’impulsion de Nicole Brenez, un collectif s’est organisé pour réaliser un film à sketches qui « révèle la répression en France, un film qui soit à la fois un hurlement, un coup, une bordée d’insultes, une analyse lucide, un manifeste extra-lucide, un poème d’amour pour la révolte, de l’extasy politique, une méditation, un baume sur les blessures, un appel à la mutinerie ». Ce film collectif a un titre : Outrage & rébellion et plus d’une quarantaine de cinéastes ont répondu à l’appel.
Montre Œil Mon Œil est ma contribution à ce travail collectif. Le film est un hommage aux Ciné-tracts tournés durant mai 68. Il n’est fait que d’images fixes qui alternent documents photographiques des manifestations des 8 et 13 juillet 2009, BD de Damien Roudeau sur les événements montreuillois et photos de flash ball.
La bande sonore est exclusivement constituée de longs extraits de Dégueulasse, la chanson de Élisa Point et Fabrice Ravel-Chapuis.
(Gérard Courant)
J'ai particulièrement apprécié votre film que j'ai trouvé à la fois beau et efficace.
(Isabelle Marinone, 6 novembre 2009)
Une partie du travail de Damien Roudeau relève du reportage dessiné et c’est lui qui a réalisé les dessins d’actualités filmés (sans qu’ils se connaissent) par Gérard Courant dans Montreuil Œil Mon Œil.
(Trumblr., décembre 2009)
Enfin, dans Montre Œil Mon Œil de Gérard Courant, on voit des manifestants casqués, munis de boucliers et avançant par binômes ou trinômes, un peu à la manière d’une compagnie d’intervention de la police. On retrouve ce même genre de déplacements dans les cités lorsque les jeunes tendent un guet apens aux pompiers ou aux policiers.
C’est plutôt bien monté et c’est intéressant.
(Sarkostique, 14 décembre 2009)
J’avais dit que j’y reviendrais. Voici donc, pour célébrer la nouvelle année sur une note tonique, une petite alerte pour vous signaler ce ciné-tract formidable de Gérard Courant, réalisé dans le cadre du film collectif Outrages et Rébellion, réponse groupée d’une quarantaine d’artistes aux violences policières qui ont coûté son oeil au jeune cinéaste Joachim Gatti en juillet dernier. Montage d’images inspiré par une colère authentique, de toute évidence, sur la chanson Dégueulasse d’Elisa Point, Montre Oeil Mon Oeil est actuellement diffusé gratuitement sur le site Médiapart.
(Isabelle Régnier, blog Le Monde, 4 janvier 2010)
Qu’est-ce qui est si dégueulasse, au juste ?
Au départ, Dégueulasse est une chanson d'Elisa Point et Fabrice Ravel-Chapuis. J’ai beaucoup travaillé avec Élisa Point ces dernières années en utilisant un nombre important de ses chansons et de sa musique. Et puis, il y a un peu plus d’un an, Élisa m’a demandé de réaliser plusieurs clips pour son nouvel album Perdus corps et biens. Le clip est un genre auquel je ne m’étais jamais attaqué même si j’ai réalisé, par ailleurs et depuis mes débuts cinématographiques, des films très musicaux (comme Cœur bleu, She’s a very nice lady ou ma Décalogie de la nuit, avec justement la collaboration d’Élisa Point). J’ai accepté ce pari et, parmi les titres à mettre en images, il y avait une chanson qui s’appelle Dégueulasse. Cette chanson est un regard à la fois nostalgique et admiratif de À bout de souffle de Jean-Luc Godard et, plus particulièrement, de sa séquence finale. C’est la fameuse séquence où Michel Poiccard, interprété par Jean-Paul Belmondo, se fait descendre par les flics sur une dénonciation de sa petite amie, interprétée par Jean Seberg. Dans le film, dégueulasse est le dernier mot que prononce Jean Seberg. C’est le mot qui parachève sa trahison. La chanson d’Élisa Point est une chanson sur la trahison. Élisa m’a proposé d’abord une première version de cette chanson (qui durait environ 3 minutes), puis une deuxième (4 minutes) et, enfin, une troisième (5 minutes). Pour chaque version, j’ai réalisé plusieurs clips. En tout, j’en ai réalisé neuf !
Et lorsque Nicole Brenez m’a demandé de participer au projet Outrage & rébellion, j’ai tout de suite pensé à cette chanson d’Élisa Point qui s’est imposée comme une évidence. J’ai choisi la dernière version, dont j’ai dû couper un fragment, pour la réduire et la conformer à la durée de mon film qui est de 3 minutes et demie. Bien sûr, j’aurais pu choisir la version de 3 minutes mieux « calibrée » à la longueur de mon film, que j’ai appelé Montre Œil Mon Œil, mais la troisième version est la plus disco, celle qui a le son le plus métallique. C’est celle qui s’adapte le mieux au rythme du film.
Alors, oui, Dégueulasse est le récit d’une trahison et Montre Œil Mon Œil est un film sur une trahison d’État. Le Pouvoir nous impose des armes dissuasives et il utilise ses armes quand rien ne nécessiterait de les utiliser !
Pouvez-vous décrire les matériaux de votre film ?
Par le plus grand des hasards, j’habite à Montreuil tout près des lieux où se sont déroulés les événements qui ont abouti à l’agression de Joachim Gatti et… à nous retrouver tous ensemble pour faire ce film. Et cette réalité géographique explique aussi que je me sens particulièrement concerné par cette affaire. Au départ, je pensais filmer, deux mois après, les lieux vides (la clinique, la rue piétonne, la place Jacques Duclos, etc) en travaillant sur la mémoire de ces lieux et de ces événements. Puis, après réflexion, j’ai pensé que ce n’était pas une bonne idée. Qu’il fallait faire un film comme un coup de poing (comme le suggérait, à juste raison, Nicole Brenez). Alors, j’ai entrepris une recherche sur internet et j’ai trouvé tant d’éléments (photos, textes, extraits de presse, la bande dessinée de Damien Roudeau, etc.) que j’avais assez de matière pour en faire un film. Je suis tout de même allé filmer la clinique, là où avaient eu lieu les fameux incidents. À ma grande surprise, la bande dessinée de Damien Roudeau était, deux mois après l’évacuation, toujours affichée sur les murs de la clinique ! Elle avait résisté au karcher policier ! C’était un signe du destin et je l’ai filmée. Pour le montage, j’ai choisi plusieurs planches de la BD que j’ai alternées avec des images des manifestations de Montreuil et des images de flash ball. Ce procédé donne du rythme au film et il crée une petite histoire qui se veut dénonciatrice des méthodes policières et des discours présidentiels.
À la fin, j’ai transformé tout mon film en noir et blanc sauf la BD de Roudeau et quelques plans qui nécessitaient la couleur.
L’idée générale de ma contribution était de faire un film simple, sans effet particulier, d’être compréhensible par n’importe qui, notamment par ceux qui n’étaient pas au courant de l’agression policière. Je désirais aussi être en adéquation avec les Ciné-tracts de mai 68 qui étaient tous filmés en noir et blanc, au banc titre, en cinéma muet et sans effets (les seuls effets se limitaient à des panoramiques sur des photos filmées au banc-titre !)
Combien de temps vous a pris le film ?
C’est difficile à dire car je fais en général plusieurs films en même temps. Je suis obligé d’œuvrer ainsi car je suis en tournage et en montage permanents. Au moment de Montre Œil Mon Œil, je montais des épisodes de mes Carnets filmés (qui est une sorte de journal filmé que je réalise depuis mes débuts cinématographiques, il y a un tiers de siècle). Dès que j’éprouve un peu de lassitude dans le montage d’un film, je passe au montage d’un deuxième, voire d’un troisième pour revenir au premier ou au deuxième quand cette lassitude atteint un des précédents montages. Pour aller vite, je dirais que Montre Œil Mon Oeil m’a pris une quinzaine de jours.
Avez-vous hésité à vous lancer dans ce projet collectif ?
Pourquoi aurais-je hésité ? J’ai toujours essayé de faire un cinéma autobiographique. Avec des événements qui se passaient à deux pas de ma porte, cela eût été stupide que je ne réponde pas favorablement à la proposition de participer à ce film collectif. J’ai accepté sans savoir quels seraient les autres participants à cette aventure. Mais, comme la proposition venait de Nicole Brenez et que je connaissais ses choix cinématographiques, il était évident que les cinéastes qui seraient embarqués dans Outrage & rébellion apporteraient toutes les garanties d’intégrités nécessaires à ce genre d’entreprise.
La réaction policière de Montreuil et l’utilisation du flash ball furent disproportionnées par rapport aux faits. Au départ, le flash ball est une arme dissuasive. Et, en aucun cas, elle ne devait être utilisée dans pareille situation. Et encore moins en visant la tête des manifestants. La ficelle est tellement grosse qu’on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une bavure. C’est un acte délibéré de la police. Je me devais de réagir à ma façon. Et cette proposition de participer à ce film collectif est arrivée à point.
Pour autant, ce n’est pas une démarche spontanée, mais une sorte de commande.
Je dirais que tout film est une commande. La plupart de mes films sont des commandes que je me fais à moi-même.
Ce qui m’a surpris le plus en voyant les films qui composent Outrage & rébellion, c’est d’abord le nombre important de participants à cette aventure. Environ une quarantaine de cinéastes. À ma connaissance, c’est du jamais vu ! C’est une vague qui a déferlé, avec des cinéastes de toutes sensibilités, de toutes écoles, de tous styles, de toutes générations. C’est une réaction réjouissante.
Vous voyez un précédent à une telle expérience ?
Avec une telle ampleur, non… Il y avait bien eu Loin du Vietnam en 1967 qui était un film collectif avec Godard, Ivens, Varda, Klein, Lelouch. Il y avait eu aussi Amore e Rabbia, la même année en Italie, avec Godard, Pasolini, Bertolucci et Bellocchio mais ces films ne regroupaient pas autant de cinéastes. Et ils n’avaient pas les mêmes visées politiques.
Depuis Loin du Vietnam, par exemple, quelle est la principale chose qui a changé dans le cinéma politique, ou engagé, ou militant, en France ?
Ce qui a tout changé, c’est Mai 68. À partir de cette date, les films militants ont connu une véritable existence. Auparavant, il y avait déjà un cinéma militant, essentiellement communiste ou proche du Parti Communiste qui était diffusé par les circuits du Parti. Mais avec Mai 68, les films militants ainsi que les circuits de diffusion se sont multipliés. Tous les courants politiques de la gauche et de l’extrême gauche avaient leurs réseaux de diffusion. Dans les usines, les maisons de la culture, les ciné-clubs, les universités, les comités d’entreprise, etc.
Même au festival de Cannes, il était possible de voir du cinéma militant. À l’occasion de mon premier festival, en 1975, j’ai découvert de nombreux lieux où étaient montrés des films militants : à la Maison de la culture, au festival Ciné-Off (qui les projetait, panachés avec des films d’avant-garde). Le Parti Communiste, le Parti Socialiste et le P.S.U. (Parti Socialiste Unifié) avaient, chacun de leur côté, loué une salle où ils montraient, toute la journée pendant la durée du festival, des films militants ! Même des sections off « officielles », excusez-moi ce pléonasme, comme la Quinzaine des Réalisateurs ou Perspectives du Cinéma Français montraient des films à tendance militante.
J’appartenais plus à un circuit « cinéma différent » qui avait, lui aussi, ses réseaux. Parfois, il y avait des interconnexions entre « militants » et « différents ». Je n’oublie pas que la première projection publique de mes Cinématons eut lieu le 11 mai 1978 aux Journées du cinéma militant à Rennes. Cette année-là, la manifestation s’intitulait : « 1968-1978 : 10 ans de contestation ».
Un film du collectif qui vous a plu ?
Il y en a beaucoup qui m’ont emballé. Je retiens surtout le film de Pierre Léon qui détourne Ivan le terrible, le chef d’œuvre d'Eisenstein. Dans le film de Pierre Léon, tout est dit sur la question du pouvoir politique et de son contrôle, de la volonté des politiques d’essayer de s’arroger le pouvoir des images à des fins de propagande et, en fin de compte, de s’y casser les dents car, on le voit bien avec l’exemple d’Eisenstein, l’artiste est plus fort que le politique. Ivan le terrible, c’est un coup de poignard dans le dos de Staline car sa représentation de Ivan le terrible, le premier tsar de la Russie auquel Staline voulait s’identifier, montre un homme tyrannique, vieilli et déconnecté de la réalité de son temps. Ce film de Pierre Léon – comme tous ceux du projet Outrage & rébellion – est une leçon à méditer pour les politiques.
(Propos recueillis par Ludovic Lamant le 4 novembre 2009, Mediapart.fr).
Parmi les projets du film collectif Outrage et Rebellion (initié par l’historienne du cinéma Nicole Brenez et la monteuse Nathalie Hubert pour dénoncer l’« arbitraire opaque » de la police suite à l’affaire Joachim Gatti), ce film est sans doute l’un des plus percutants. Hommage aux Ciné-tracts tournés durant Mai 68, il se compose uniquement d’images fixes qui alternent des photographies des manifestations des 8 et 13 juillet 2009 à Montreuil-sous-bois, avec des plans de la bande-dessinée de Damien Roudeau, dessinateur qui captait alors à l’époque sur le vif les événements. Des images de flash-ball, martelés comme des slogans abrutissants, viennent s’y insérer, ainsi que des affiches détournées montrant Nicolas Sarkozy, président de la République à l’époque.
Résultat : ce court-métrage fait l’effet d’un collage épileptique avant-gardiste, qui retranscrit la confusion, le désordre des interventions policières, le trouble qu’elle sème dans les esprits et dans les corps. Au détour d’un dessin sanguinolent et horrifique, d’un tag contestataire dessiné sur les murs de la ville, d’un article de journal exposant les blessés, se dessine une nouvelle géographie, celle d’une terreur collective et citoyenne face à ceux qui abusent de leur pouvoir. Et c’est ce mot martelé par la chanteuse Élisa Point qui reste sur les lèvres : Dégueulasse.
(Léa André-Sarreau, TROISCOULEURS, Octobre 2020)
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