image du film.PASSIONS (ENTRETIEN AVEC PHILIPPE GARREL I) (CARNET FILMÉ : 6 juin 1982)

Année : 1982. Durée : 1 H 32'

Fiche technique :
Réalisation, concept, image, son, montage : Gérard Courant.
Voix : Philippe Garrel, Gérard Courant.
Enregistrement des voix : 6 juin 1982 à Paris (France).
Production : La Fondation Gérard Courant, Les Amis de Cinématon.
Photographies : Michel Chassat.
Tournage : 5 au 8 avril 1982 dans les massifs du Vercors et de la Chartreuse dans les Alpes (France).
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Format de tournage : Super 8 mm.
Format de diffusion : Vidéo.
Pellicule : Kodachrome, Kodak Plus X, Agfacolor.
Cadre : 4/3.
Procédé : Couleur et noir et blanc.
Collections publiques :
BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Sortie DVD : Septembre 2012, éditions L’Harmattan, Paris (France).
Dédicace : Le film est dédié à Brigitte Sy.

Présentation >>>

Passions (entretien avec Philippe Garrel I) est la captation sonore réalisée le 6 juin 1982 du premier des quatre entretiens que Gérard Courant a fait avec Philippe Garrel pour son livre Philippe Garrel, édité par Dominique Païni aux éditions Studio 43.

Le film est illustré de nombreuses photos, affiches, programmes de films et extraits de films de Philippe Garrel ainsi que des collages réalisés par Gérard Courant.

Critique >>>

CE QUE JE PRÉFÈRE, CE SONT LES FILMS SIMPLES COMME LE CHEVALET ET LA TOILE BLANCHE

Il y a une proportion de technique qu’il ne faut jamais dépasser par rapport au temps qui nous occupe. Si cette proportion est dépassée, il faut qu’il soit impossible de faire autre chose que de filmer cette proportion elle-même.

C’est un peu le défaut qu’il y aurait dans des films qui tendraient à être parfait puisque la manipulation est tellement importante que ça tue la vie sur le plateau. Il faut à la fois raconter ce qui vous passe par la tête et laisser la vie circuler dans le cinéma.

Dans le cinéma, on arrive à capturer un moment de la vie.

Dans mes derniers films, il n’y a pas de technique. Je disposais d’un pied en bois et d’une caméra accrochée dessus.

J’ai constaté qu’on pouvait faire des films aussi beaux qu’avec d’énormes moyens. De gros moyens peuvent bien sûr, à un moment donné, servir le film, mais il ne faut pas les prendre comme a priori.

Il est préférable de mieux payer les acteurs et de tourner juste avec les moyens suffisants, plutôt que d’investir tout l’argent dans le matériel.

Si on veut continuer à s’exprimer, il ne faut pas trop sortir des proportions dans lesquelles on vit. Sinon, on est contraint de se dépasser et si le dépassement est matériel, c’est vraiment absurde.

Ce que je veux préciser, c’est que beaucoup d’argent sur un film n’est pas absurde en soi si on peut l’acquérir, mais énormément de matériels, oui... Il faut en connaître les conséquences.

J’aime bien me mettre sur le bord d’un lit, poser ma caméra, la coincer avec le tapis et filmer des choses en très gros plans. Ce que j’aime voir le mieux dans mes films et qui me permet de mieux voir ma vie c’est quand j’ai fait des choses avec peu de moyens. Il faut trouver un juste milieu sans sombrer dans l’un ou l’autre excès.

Ce que je préfère, ce sont les films simples comme le chevalet et la toile blanche. C’est comme au Louvre.

J’aime moins bien les tableaux quand ils sont immenses. Je préfère un tableau qui a la dimension d’une fenêtre ou d’un miroir. C’est dans des proportions plus proches de ce que je vis.

(Philippe Garrel, extrait de la bande-sonore du film).



PHILIPPE G. PAR GÉRARD C.

En 1983, Gérard Courant a sorti un livre d’entretiens consacré à Philippe Garrel, édité par Dominique Païni aux éditions Studio 43. Comme chez Courant, rien ne se perd et tout se transforme, ces entretiens donneront lieu également à un film en quatre parties (seules les deux premières ont été montées jusqu’à présent). Il ne s’agit évidemment pas d’un « portrait filmé » de Garrel puisque comme dans Philippe Garrel à Digne (premier voyage), les entretiens ont été enregistrés uniquement sur bande magnétique. A partir de cette seule bande-son, Courant compose un patchwork inventif où il mêle images abstraites (toujours ces plans de feux d’artifices décomposés au ralenti), photographies, photogrammes et des extraits des Cinématons de Garrel et Godard qu’il superpose parfois.

Paradoxe que ce Carnet filmé sans « film » mais qui s’inscrit pourtant dans la démarche « archiviste » de Courant. Lire les propos d’un cinéaste, c’est bien ; mais entendre sa voix, ses hésitations, c’est autre chose et, je me répète un peu mais tant pis, il est certain que les œuvres complètes de Courant seront perçues dans le futur comme un trésor inestimable et une mine d’informations sur la vie culturelle en France depuis la fin des années 70.

Le film s’intitule Passions parce que Garrel commence cet entretien en rendant hommage à son maître Godard qui venait de terminer Passion, film que l’auteur de Marie pour mémoire semble particulièrement avoir apprécié.

Puis il est question de l’arrivée toute fraîche des socialistes au pouvoir et le propos devient, me semble-t-il, un peu moins clairvoyant. Il est intéressant parce qu’il permet de réaliser à quel point Mitterrand fut un réel espoir pour un certain nombre d’intellectuels mais il prouve également que Garrel ne fut jamais un grand « penseur politique » (ce n’est, après tout, pas bien grave).

C’est amusant car je repensais à son dernier opus La frontière de l’aube que j’ai beaucoup aimé et que je fus l’un des rares à défendre sans réserve. Dans ce très beau film, il y a pourtant une scène que je trouve totalement ratée : celle de la rencontre avec l’antisémite qui arrive comme un cheveu sur la soupe. Cette scène, je la retrouve dans cet entretien lorsque Garrel s’emballe soudain sur Rocard et la nécessité pour sa génération de l’élire à la suite du commandeur Mitterrand ! Comme si dès qu’il tentait de « politiser » son propos, le cinéaste tombait dans des généralités et des analyses à courtes vues (bon, je sais, c’est toujours plus facile de distribuer les bons et mauvais points plus de 25 ans après les faits…)

En revanche, lorsqu’il parle de son métier, de son statut d’artiste, Garrel devient passionnant.

Il y a un très long passage où il explique à Courant le rôle déterminant que Freud a joué pour lui et comment chacun de ses films peut être lus comme une véritable « analyse » (au sens psychanalytique du terme).

De la même manière, l’évocation de son rapport à la technique est aussi passionnante car Garrel s’en méfie toujours, estimant que lorsqu’un film est trop travaillé techniquement, il l’est aux dépens de ce que l’auteur veut dire et il devient vain (n’est-ce pas, Francis Ford ?). Paradoxe apparent car l’une des caractéristiques de la première partie de l’œuvre de Garrel est une splendeur formelle assez époustouflante (vous avez pu constater que je viens de découvrir avec émerveillement Le révélateur). Sauf que cette beauté est née avec trois bouts de ficelle et que ce formalisme ne passe pas avant l’expression de la vision poétique du cinéaste (pour le dire d’une manière un peu ronflante).

Cette question intéresse d’ailleurs beaucoup Courant (qui lui aussi travaille avec les moyens du bord - Super 8, DV, téléphone portable - sans pour autant négliger l’idée de Beauté) qui interroge avec plus d’insistance Garrel sur Le bleu des origines, film qui a la particularité d’avoir été tourné à la manivelle (c’est peu dire que je rêve de le voir !). A travers cette œuvre que Garrel a fait réellement seul, il se joue quelque chose qui croise les enjeux du cinéma de Courant, entre une économie quasi-amateur, une volonté de conserver des traces (pour Garrel, ses états d’âme du moment) et de faire de ces bribes de Réel quelque chose de beau…

Nous reparlerons prochainement des rapports de Courant et Garrel puisque le deuxième voyage à Digne m’attend dans ma vidéothèque…

(Dr Orlof, Le blog du Dr Orlof, 8 janvier 2010)



COURANT-GARREL, RENCONTRE AU SOMMET

Le plaisir que l’on peut prendre à la découverte de l’œuvre de Gérard Courant est avivé ces derniers temps par les nouvelles possibilités offertes au spectateur curieux. Soucieux de contrôler son travail, l’auteur a pris à bras le corps l’espace ouvert d’Internet et a organisé sur son site la promotion de son œuvre multiple avec la rigueur et l’exhaustivité que nous lui connaissons. Elle est désormais classée comme sur ses propres étagères. Mieux, il a mis nombre de ses films à disposition sur son compte Youtube qu’il nourrit avec générosité. Mieux encore, les éditions de l’Harmattan ont entrepris la publication de ses travaux autour de cinéastes et quels cinéastes ! : Werner Schroeter, Philippe Garrel, Vincent Nordon, Joseph Morder, Luc Moullet. Sous le terme générique D’un cinéma l’autre, la collection regroupe documents filmés et sonores, carnets filmés, entretiens, documentaires, courts métrages et Cinématons.

L’ensemble force le respect car ce qui frappe, c’est l’ampleur du matériau accumulé depuis 1975 et sa qualité. Tous ces cinéastes sont désormais reconnus, quoique cela veuille dire, et le patient, minutieux travail de Gérard Courant, représente une somme qui raconte l’histoire de tout un pan du cinéma français et au-delà. Une histoire trop peu connue qui ne demandait qu’a être contée, qui sera une parfaite introduction au néophyte et qui ravira l’initié qui ne soupçonnait peut être pas qu’une telle mémoire ait été préservée. Autre aspect remarquable, ce travail n’a été motivé que par le désir de Gérard Courant, son admiration pour les cinéastes abordés et la passion qu’il porte à leurs films et à leur démarche d’artistes.

L’ensemble consacré à Philippe Garrel comprend près de 12 heures de film autour essentiellement de la parole de l’auteur de La cicatrice intérieure (1971), Elle a passé tant d’heures sous les sunlights (1985) ou Le vent de la nuit (1999). Il y a six films d'entretiens : Philippe Garrel à Digne (premier voyage) (1975), Philippe Garrel à Digne (Second voyage) (1979), réalisés à partir de captations sonores de débats lors des Rencontres Cinématographiques de Digne. Suivent Passions (entretien avec Philippe Garrel I), Attention poésie (entretien avec Philippe Garrel II), L’Art, c'est se perdre dans les châteaux du rêve (entretien avec Philippe Garrel III) et L’œuvre est unique car elle consolide notre liberté (entretien avec Philippe Garrel IV). Tous ont été réalisés en 1982, à partir des entretiens menés par Gérard Courant pour son livre Philippe Garrel : entretiens (Studio 43, 1983).

(...) Dans les entretiens de 1982, Garrel revient longuement sur les rapports de production et il se révèle très conscient du problème de l'argent. Pour lui, il y a de la place pour des films comme les siens, à condition qu'ils soient produits à une échelle modeste. Il a également pensé à conserver l'ensemble des droits sur son œuvre, ce qui lui permet par exemple aujourd'hui de mettre à disposition Elle a passé tant d'heures sous les sunlights sur Internet. Ces échanges sont toujours d’actualité. La question technique se greffe sur ces réflexions. Garrel avoue une certaine méfiance pour la machinerie du cinéma. Sur les films de sa première période, il est le plus souvent seul avec ses acteurs et actrices. Rapport à la peinture encore, avec ce côté peintre-modèle que l'on peut trouver dans ses films avec Jean Seberg, Anémone ou Nico. Mais il revendique aussi le côté artisanal. Il tournera ainsi avec une caméra à manivelle, manière de revenir au geste des frères Lumière, autre point de contact avec le travail de Gérard Courant dont nombre de séries, les Cinématons les premiers, sont basés sur le principe des vues Lumière. On retrouvera ce goût pour les méthodes anciennes avec l'utilisation par Garrel de lampes à arc dans les années 90. mais pour lui la technique est un faux problème et il revendique le droit à l'erreur. Belle déclaration quand il dit que l'Art n'a rien à voir avec le travail bien fait. Il rejoint ici François Truffaut qui pensait que les films respiraient par leurs défauts.

Dans le même temps, Philippe Garrel, aiguillonné par les questions de Gérard Courant (et du public à Digne) cherche à définir ce que doit être un film, du moins pour lui. Il y a la figure essentielle de Jean-Luc Godard que les deux hommes admirent, en particulier autour du film Passion sortit en 1982 qui donne son titre au premier film des entretiens. Garrel fait preuve d'une grande culture et prône la transversalité des arts. Films-peintures, films-poémes, films-musiques, Le réalisateur imagine dans un passage lyrique des films désaliénants, que l'on pourrait utiliser pour tous les âges de la vie et en toutes circonstances, en couple, avec un enfant, etc. Et par dessus tout domine l'Amour. L'Amour transformé en art est ce qui émeut le plus Garrel. Je repensais alors à cette phrase de Catherine Deneuve devant une photographie de son metteur en scène pour Le vent de la nuit, tendrement grave : « C'est un visage qui a souffert, qui a souffert par amour ». Défilent au cours des films les visages aimés de ses actrices. Mais il serait fastidieux de conter par le détail le contenu des six films. Ils constituent un inestimable témoignage, et ce mot est au cœur du travail de Gérard Courant, comme un voyage poétique dans l'univers d'un artiste particulier. Garrel ouvre grand les portes de sa sensibilité, n'hésitant pas à aborder des expériences douloureuses comme son internement en asile psychiatrique à Rome ou la douleur de la perte de ses amis Jean Eustache ou Jean Seberg. (...)

(Vincent Jourdan, Blog Inisfree et Les Fiches du cinéma, 22 juin 2013)









 


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