Année : 2008. Durée : 2 H 02'
Fiche technique :
Réalisation, image, son, montage : Gérard Courant.
Production : Gérard Courant, Les Amis de Cinématon, Les Archives de l’Art Cinématonique.
Chansons : Élisa Point.
Musique : Élisa Point.
Tournage : 15 et 16 décembre 2007, 6 et 19 janvier 2008, 10 février 2008 à Paris (France).
Distribution : Les Amis de Cinématon.
Format de tournage : Téléphone portable Nokia.
Cadre : 4/3.
Procédé : Couleur.
Collections publiques :
BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Principaux lieux de projection :
-Gulf Film Festival, Dubaï (Dubaï) 2011.
-Maison de l’étudiant, Dijon (France) 2011.
-Site YouTube, 2012.
-Séminaire Gérard Courant, Samawa (Irak), 2015.
La Ville des fantômes est une errance dans différents quartiers de Paris (le parc Montsouris, le canal Saint Martin, Montmartre, la place de la République, la Place d’Italie).
La Ville des fantômes est la 9ème partie de La Décalogie de la nuit. Ces 10 parties ont toutes été filmées avec un téléphone portable, ont été transformées en images inversées - en négatif - et sont constituées d'une bande sonore faite de chansons et de musique d'Élisa Point. De plus, chaque épisode existe en deux versions : dans la première, le film a été tourné à la vitesse normale et, dans la seconde, la bande image a été entièrement décomposée.
(Gérard Courant)
9th part of the Decalog Night : a ghost wandering in various districts of Paris filmed with a cell phone and transformed into mirror images - the negative.
(G. C.)
Through the use of digital manipulation of imagery and color Courant makes the familiar otherwordly .
(Andrea Monti)
UN HOMMAGE AUX FRÈRES LUMIÈRE
Gérard Courant vit à Paris qu’il aime, mais c’est un provincial, ce qui dans ce cas, signifie qu’il apprécie le temps quand il prend son temps ou mieux quand il est hors de lui.
C’est ce qu’il montre dans les si provinciaux quartiers excentrés du XIVe, où le RER est enterré pour traverser le parc Montsouris et où les bâtiments de la Cité universitaire évoquent les palais d’un royaume d’Ottokar.
C’est moins drôle avec les quartiers de Paris où l’haussmannisme est dénaturé comme les arrières de la Gare de l’Est ou les quartiers du XIIIe.
Montrer les différences, c’est toujours de l’art, surtout quand les illustrations sonores déchirantes d’Élisa Point contribuent à révéler – a posterio – la grande déchirure parisienne de la Modernité.
(Alain Paucard, 27/X/2008)
NB : Incidemment, Courant réalise un hommage aux frères Lumière en filmant l’entrée en gare du funiculaire de Montmartre, puis en l’empruntant pour redescendre, en caméra subjective ce que les Lumière ont aussi fait, à Lyon, ville, je crois, très chère à Gérard Courant.
DANS PARISAprès Promenade dans les lieux de mon enfance dijonnaise, Burgundia II, Illuminations et A travers l’univers, j’avoue avoir eu quelques réticences avant de regarder un nouveau « film de ville » de Gérard Courant. Réticences accentuées par le fait que le cinéaste déambule ici dans les rues de Paris qui ne me sont pas familières (même si je connais le Louvre et l’île de la Cité, par exemple) comme peuvent l’être celles de Dijon. Par ailleurs, ce film tourné avec un portable et diffusé en images inversées (l’effet « négatif ») s’avère plus long que les autres œuvres citées (2 heures 02).
Et pourtant, la magie opère et pour peu qu’on accepte le parti pris radical de Courant (ne s’intéresser qu’aux lieux et faire d’une longue flânerie à travers la ville un film), La ville des fantômes devient vite hypnotique et fascinant. Disons-le d’emblée, les superbes mélodies et chansons d’Elisa Point ne sont pas pour rien dans le pouvoir de fascination qu’exerce l’œuvre. Ses textes mélancoliques s’accordent parfaitement avec la trivialité de ces images (quoi de plus banale qu’une rue filmée avec un portable ? Alain Paucard a raison d’écrire qu’ « un téléphone portable nokia, ce n’est plus du cinéma, mais le principe du cinéma ») et la beauté irréelle que Courant parvient à leur conférer (un plan sur les reflets de l’eau se change soudain en toile impressionniste tandis que le Forum des Halles et son grouillement nous plonge dans un véritable film de science-fiction).
« Principe du cinéma », donc. Avec son téléphone portable, Courant renoue avec la leçon des frères Lumière : filmer le monde tel qu’il est et tel qu’il nous entoure. Il n’y aura pas d’arrivée d’un train en gare de la Ciotat mais celle du funiculaire en haut de la butte Montmartre et celle du métro à la station Oberkampf. Nous déambulerons également du côté du Parc Montsouris, du canal Saint-Martin ; traverserons des lieux (les Halles) « infestés d’hommes » (pour reprendre en partie le titre d’un livre de Marcel Moreau) ou d’autres beaucoup moins touristiques (la gare d’Austerlitz). Cinéma primitif, sans doute ; mais cinéma qui parvient néanmoins à enregistrer une certaine vérité de notre époque.
Dans le très beau documentaire qu’Eric Rohmer a consacré à Louis et Auguste Lumière, il y a un passage où Henri Langlois explique merveilleusement comment les deux frères et leurs opérateurs parvinrent à saisir la « philosophie de l’époque ». C’est pour cette raison, dit-il, qu’on pense à Renoir ou à Proust lorsqu’on voit une petite fille sur les Champs-Élysées dans une de leurs vues. J’ai repensé à cette explication lorsque Courant filme sur un mur de Montmartre un tract (déchiré et taggué mais peu importe) de… Marc-Edouard Nabe. Et je me suis demandé pourquoi aucun autre cinéaste n’avait pensé à filmer cela auparavant. Ce n’est pourtant pas rien que l’un des meilleurs écrivains français aujourd’hui soit sans éditeur et qu’il imagina, à un moment donné (avant l’édition « sauvage » par Internet), de publier ses textes sous forme de tracts affichés directement dans la rue. Le temps de quelques secondes dans un film, Courant a enregistré ce moment avant de filmer, un peu après, un dessin au pochoir de Miss Tic sur un autre mur.
A sa manière, La ville des fantômes parvient à saisir quelque chose de l’époque comme le faisaient les frères Lumière. En extrapolant un peu, on pourra voir dans ces silhouettes fantomatiques qui traversent le film les exacts contemporains des paumés de Michel Houellebecq (« Je traverse la ville dont je n’attends plus rien/ Au milieu d’être humains toujours renouvelés/ Je le connais par cœur, ce métro aérien ; / Il s’écoule des jours sans que je puisse parler. ») ou des zombies de Romero.
Encore une fois, le film frappe par son côté sombre et mélancolique. L’image en négatif donne le sentiment d’un univers incroyablement dépeuplé, alors même que nous sommes parfois au cœur de la foule. Mais cette humanité n’est désormais plus qu’une présence ectoplasmique, des formes lumineuses qui s’agitent en vain.
Vision misanthropique ? Pas vraiment. Juste le regard d’un cinéaste cherchant à sauvegarder quelques traces d’un monde allant à sa perte (j’aime beaucoup ces moments où les enseignes de magasins – le très beau Passage du désir – ou les graffitis semblent redonner un peu de sens à cet univers, même si ces mots clamés au regard de tous redoublent la mélancolie du propos) et dont il ne restera un jour plus rien…
(Docteur Orlof, Blog du Docteur Orlof, 1er décembre 2010)
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