Année : 1979. Durée : 56'
Fiche technique :
Réalisation, montage, effets spéciaux : Gérard Courant.
Son : Vincent Jamet.
Production : Les Amis de Cinématon, Les Archives de l’Art Cinématonique, La Fondation Gérard Courant.
Interprétation : Philippe Garrel, F.J. Ossang, Gina Lola Benzina, Marie-Noëlle Kauffmann, Robert Kramer.
Voix : Pierre Queyrel, Roselyne Queyrel, Robert Kramer.
Enregistrement : 28 avril 1979 à Digne (France).
Tournage : 28 avril 1979 à Digne (France) et 29 avril 1979 dans les montagnes alpines autour de Digne.
Format de tournage : Cinéma Super 8.
Format de diffusion : Vidéo.
Cadre : 4/3.
Procédé : Couleur.
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Collections publiques :
BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première projection publique :
29 janvier 2010, Cinémathèque française à Paris (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Cinémathèque française, Paris (France), 2010.
-BAFICI, Buenos Aires Festival Internacional de Cine Independiente, Buenos Aires (Argentine), 2012.
-Théâtres au cinéma, 24 ème Festival de Bobigny (France), 2013.
-MMCA (National Museum of Modern and Contemporary Art, Korea), Séoul (Corée du Sud), 2015.
Prix, récompenses, palmarès :
-Fait partie de la liste de 75 films, LISTA(S): Nicole Brenez top 50 avant-garde films of the century (2000-2009), site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2020.
-Fait partie de la liste de 50 films, Would Like to See on Mubi, établie par Mapi, site Mubi (Royaume-Uni), 2021.
-Classé 37e de la liste des 207 films préférés de Johnny Zito, Mubi Favorites, site Mubi (Royaume-Uni), 2022.
-Classé 87e de la liste des 98 films préférés de patrizio.desantis1978, Mubi Favorites, site Mubi (Royaume-Uni), 2022.
Sortie DVD : Juin 2012, éditions L’Harmattan, Paris (France).
Dédicace : Le film est dédié à Roselyne Queyrel.
À l’occasion des 7èmes rencontres de Digne, Pour un autre cinéma, organisées par Pierre Queyrel et qui présentèrent une rétrospective de l’œuvre cinématographique de Philippe Garrel, ce film est la captation sonore de la rencontre que le cinéaste fit avec le public des rencontres à l’issue de la projection de ses films Marie pour mémoire, Athanor, Voyage au jardin des morts et Le Bleu des origines.
Dans ce film, Philippe Garrel parle des cinéastes Jean-Luc Godard, Murnau, Eric Von Stroheim, les frères Lumière, Abel Gance, Roman Polanski, Jacques Rivette, Andy Warhol, de la comédienne Anna Karina, des écrivains André Breton, Gabriele d'Annunzio, des psychanalystes Sigmund Freud et Jung ainsi que des comédiennes de ses films Nico, Zouzou et Maria Schneider.
Le film est illustré de nombreux documents iconographiques (photographies, affiches, pochettes de disque, collages, extraits de films, etc.).
La seule chose que j’aime, c’est d’être avec la caméra et une fille. C’est pour moi une exaltation que je pourrais comparer à l’idée d’être en train de faire la révolution.
Il y a une urgence, on ne sait pas pourquoi, où la chose est à la fois complètement sexuelle et, en même temps, on est complètement en dehors du problème de la chair.
J’ai plus l’impression qu’on joue une sorte de ping-pong de communication entre les hommes et les femmes. C’est comme un inconscient collectif d’une minorité, d’un petit groupe, les gens qui font le film.
Je dis aussi que ces films sont des études parce que je pourrais très bien tourner tous les jours et que ça ne donne jamais un film, de faire réellement l’étude du cinéma comme ça ne peut pas se pratiquer aujourd’hui.
Je parlais souvent avec Langlois de la question de l’université du cinéma. Le cinéma a un côté sportif que je n’aime pas.
C’est comme pour un guitariste de ne pas avoir sa guitare : ça doit être très angoissant. Quelques fois, de ne pas avoir la caméra, c’est très angoissant. Et quand on l’a, on l’a vraiment pour le film et il faut le faire et il n’est pas question de ne plus le faire. Tout ce qui est le doute, l’hésitation et la difficulté dans l’art, au contraire, ça devient un sport. Quand le tournage a commencé, il faut boucler le film, il n’est pas question de commencer à tout remettre en question. Et quand on voit les rushes, on ne peut pas tout jeter à la poubelle. C’est pour ça qu’on pensait à une université du cinéma parce que le cinéma n’a jamais eu une pratique autre que celle d’un sport de tournage. Il faudrait pouvoir effectivement tourner chaque jour et ne pas aller forcément vers un film surtout dans les directions que je prends, moi où il n’y a plus de fiction, où il y a même plus de sujet. Il y a un titre et puis il y a des acteurs et c’est tout.
Il faut vraiment voir ça comme une autre direction du cinéma. Il ne faut pas voir ça comme des spectacles et encore moins comme quelque chose de magistral. Ce n’est pas un enseignement magistral. C’est comme des directions autres que j’essaie de prendre par instinct. Je ne sais pas faire le cinéma commercial. Je ne sais pas si j’aurais pu faire le cinéma différemment. Je ne me rends pas compte comment je me suis corrompu moi-même dans l’idée d’avant-garde. Maintenant, je sais faire ça et je ne sais pas faire autre chose. Et en même temps, je crois que je pourrais faire plus mais pas dans le sens qui irait vers vous. Sans doute, peut-être que je pourrais déborder plus loin dans ces directions-là. C’est comme des esquisses. C’est vraiment le moins que l’on puisse faire. C’est toujours le minimum. Ils ne sont pas dans le perfectionnisme ou dans le fétichisme. On a pu les mettre sur pied tels qu’on les a improvisés.
(Philippe Garrel, extrait de la bande-sonore du film)
Après avoir regardé Philippe Garrel à Digne (second voyage), je me disais que décidément la question de la femme semble être au cœur de nos échanges du moment ! Car c'est bien cette question qui agite le « deuxième voyage » ! Et c'est bien la preuve qu'elle hante le cinéma (ou plutôt les cinéastes !) et même un certain cinéma des origines (qui serait donc en réalité « des origines... de la femme ») comme celui de Garrel. En cherchant ce qui pouvait (comme dans le premier film) m'empêcher d'associer pleinement son et image j'aurais (peut-être) une explication possible... Ces feux d'artifices, ces couleurs à la Andy Warhol semblent (?) associer Garrel à une sorte de psychédélisme, or il se trouve que je ressens Garrel plutôt comme métaphysique (cherchant la vérité des choses ou leur essence)... Je ne sais pas vraiment mais il y a là quelque chose qui pourrait expliquer ma difficulté à lier efficacement le « bloc son » et le « bloc image ». Quand on entend et on voit Garrel ça fonctionne, mais si on entend et voit Garrel avec en surimpression les feux d'artifices (au sens artificiel ?), ça fonctionne peut-être moins bien... Je reconnais que c'est un peu simpliste comme explication mais bon... Les propos de Garrel sont toujours aussi passionnants et ils recoupent les grandes questions humaines (la crise – films de crise –, la femme, la culpabilité [Garrel arrêté et menotté dans son rêve !]), ainsi que le monde selon Freud, Jung (que j'ai beaucoup lu). Garrel accorde (ou il accordait en ce temps) une prépondérance de l'image sur la parole et je crois qu'évidemment les films de crise* sont surtout ceux où précisément la parole fait défaut pour « mentaliser » la crise, reste donc l'image comme seul échappatoire. Et plus précisément l'image des origines parce que pour franchir la crise, il faut bien en revenir à son origine** ! Je comprends tout à fait qu'on puisse être plus actif et plus vivant en tournant la manivelle de la caméra que plutôt tout entièrement tendu vers le point de captation (femmes ou autre) qui est un formidable « bouffeur d'énergie » ! Je comprends aussi le cinéma puisse être structure (sous-entendu de soi) surtout donc quand la parole fait défaut. Je comprends aussi que nous délivrons de la femme une vision mâle même si nous la fabriquons avec UNE caméra ; de même que je souscris entièrement à cette phrase de Garrel (« le film vous définit plutôt que vous l'avez défini » et qu'en conséquence, on peut en ressentir une sorte de honte – c'est un peu mon cas !)... Et il est certain que quand on en arrive à cette lucidité, on passe un stade qui nous permet de mieux appréhender non seulement les enjeux de l'art cinématographique mais aussi nos propres enjeux. Comme si on passait d'un cinéma inconscient à un cinéma conscient où les causes et leurs effets s'assemblent et s'éclairent pour plus tard accéder à un 3ème stade (hypothétique) : la connaissance de l'essence même du cinéma imbriquée dans la nôtre. Pas simple tout ça mais passionnant comme les propos de Garrel ! J'arrête là car il y aurait encore énormément de chose à dire. En tout cas, ça fait du bien (comme pour les acteurs!) de se « nettoyer » dans le cinéma d'avant-garde !
(Philippe Leclert, 15 septembre 2009)
* Qui peuvent être suivis de « films de cure » !
** Comme dans le film de Buñuel, L'Ange exterminateur.
Quatre ans après y avoir montré un certain nombre de ses films, Philippe Garrel est retourné aux rencontres cinématographiques de Digne en 1979, à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre. Après la projection de Marie pour mémoire, Athanor, Voyage au jardin des morts et Le bleu des origines (quand se décidera-t-on enfin à remontrer ces œuvres ?), le cinéaste s’est livré au jeu de la rencontre avec le public.
Gérard Courant était également dans la salle et, conformément à son inextinguible désir d’archivage à tout prix, il a enregistré la rencontre pour la postérité.
La forme de ce second voyage est identique à celle du premier (dont j’ai dit quelques mots ici) : une simple bande-son agrémentée d’images (fixes ou en mouvement) diverses (photos des personnes évoquées, photogrammes ou courts extraits des films de Garrel, extrait du Cinématon de Robert Kramer…), de cartons (qui reprennent souvent ce qui est dit dans la salle et qui aident notre perception car le son n’est pas toujours très audible) ou encore ces fameuses images « abstraites » de feux d’artifices décomposés par le ralenti.
Une fois de plus, l’intérêt de ce « carnet filmé » est d’offrir un instantané de la réflexion d’un artiste (Garrel) sur son propre art à un moment précis de son existence.
En 1979, Garrel arrive au bout de son trajet au cœur de « l’art pour l’art » (à partir de 1982, avec L’enfant secret, il va revenir à un cinéma plus « narratif »). Il vient de tourner à la manivelle (avec Zouzou et Nico) Le bleu des origines et il explique ici de manière assez lumineuse son intérêt pour le cinéma primitif (les Lumière, le muet…) et en quoi le fait de tourner à la manivelle lui a permis d’expérimenter un nouveau rapport aux comédiens.
Outre les renseignements précieux que cette rencontre apporte sur l’idée que Garrel se faisait du cinéma à cette époque (il est parfois peu tendre avec certains, notamment avec Maria Schneider qui jouait dans Voyage au jardin des morts d’après d’Annunzio. Garrel affirme en l’évoquant que certains comédiens se sont tellement « salis » dans le cinéma commercial qu’ils viennent ensuite se « laver » dans l’avant-garde) ; elle permet également de mesurer l’évolution du débat cinéphilique à travers les âges.
Peut-être n’est-ce qu’une impression mais il me semble que le débat est ici plus terne et beaucoup moins politisé que celui du premier voyage de 1975. Seul accroc de la rencontre : une féministe assez tarte qui vient reprocher au cinéaste sa « vision mâle » lorsqu’il filme les femmes. Nonobstant le fait que cette affirmation ne veut strictement rien dire et que je ne vois pas beaucoup de cinéastes français dans l’histoire du cinéma ayant aussi bien filmé les femmes que Garrel (Ophüls sans doute, Godard parfois, Truffaut peut-être… Qui d’autres ?) ; ce petit débat stérile au cœur de la rencontre illustre de manière assez saisissante l’évolution de la pensée après l’échec de 68 : la revendication partielle et « communautaire » se substituant au mouvement collectif…
Et Gérard Courant, dans tout ça ? Vous me direz qu’enregistrer une discussion et coller quelques images illustratives sur une bande-son ne fait pas un film, encore moins une œuvre personnelle. Eh bien vous avez tort !
L’un des passages les plus intéressants du film est peut-être le moment où Garrel exprime le souhait de voir le cinéma se débarrasser de « l’épreuve sportive du tournage ». Par là, il affirme qu’il aimerait procéder comme un peintre, à savoir tourner un peu tous les jours, sans obligatoirement que ces images s’intègrent dans une œuvre « achevée ». Or il se trouve que ces croquis, esquisses ou notes, Gérard Courant les pratique depuis la fin des années 70.
En ce sens, à travers les deux « carnets » qu’il a ramené de Digne, le cinéaste réalise le souhait de Philippe Garrel et se l’approprie pour inventer un cinéma qui depuis (notamment depuis l’avènement des petites caméras vidéos) n’a pas cessé de faire des petits…
NB : Avis aux parisiens : la Cinémathèque française consacre ce vendredi (29 janvier) une soirée aux deux films de Gérard Courant (en sa présence) sur Philippe Garrel à Digne, auxquels s’ajouteront quelques cinématons consacrés à la « famille » de l’auteur de La cicatrice intérieure (Garrel lui-même mais aussi Zouzou, le peintre Frédéric Prado, etc.). Ne manquez pas le rendez-vous et venez m’en parler ici.
(Docteur Orlof, Le blog du Dr Orlof, 26 janvier 2010)
Un document extraordinaire. Une découverte importante.
(Philippe Dijon de Monteton, 30 janvier 2010)
Pour témoignage de la ferveur exceptionnelle des années Queyrel à Digne, voir Philippe Garrel à Digne, le film de Gérard Courant qui est précisément dédié à Pierre Queyrel, l'homme qui a créé ces rencontres cinématographiques, un véritable espace d'utopie rarissime dans le paysage cinématographique français, où étaient montrées les avant-gardes cinéma du monde entier ... .... Queyrel organisa ces rencontres, autant littéraires et philosophiques, que cinématographiques, pendant dix années, de 1973 à 1982 ... J'y suis souvent allé ... L'endroit était magique ...
(Louis Skorecki, le blog Club Skorecki, 16 janvier 2011)
Le 28 avril 1979, Garrel se rend à Digne à l’invitation de Roselyne et Pierre Queyrel, fondateurs du festival Pour un autre cinéma. La rétrospective comprend Marie pour mémoire (1967), Athanor (1972), Voyage au jardin des morts (1977) et Le Bleu des origines (1978). À l’issue de ces projections, Garrel intervient face au public. Il est déjà venu à Digne en 1975. La captation sonore de ces deux débats est la matière de deux films de Gérard Courant, Philippe Garrel à Digne (Premier voyage) et Philippe Garrel (Second voyage), édités en décembre dernier en DVD chez L’Harmattan. Nous remercions Gérard Courant de nous avoir autorisé à retranscrire de larges extraits du “Second Voyage”), qui témoigne aussi de l’extraordinaire effervescence des débats cinéphiliques.
(Stéphane Delorme, Cahiers du Cinéma, n°688, avril 2013)
Digne mai 1975, et Digne fin avril 1979 : deux moments importants au creux des années 1970. En pleine période noire, Philippe Garrel se voit célébré par ce festival d’avant-garde, Pour un autre cinéma. Après chaque séance, il accepte de rencontrer le public, poser des mots, sinon des explications, sur ses images. Gérard Courant, qui mène les débats, a la bonne idée d’enregistrer. Il en fera une série de films expérimentaux. Où le plus impressionnant reste la voix de Garrel. Non seulement ce qu’il dit, mais la tonalité même de sa voix. À Digne, celui dont l’historiographie (ou la légende, c’est ici un peu la même chose) donnait à ce moment-là l’idée d’un artiste mutique, usé par la pauvreté et le reste, est habité par une assurance et une force sans pareilles. On reste ébahi par tant de santé, là où les films font état partout du manque. Il aurait fallu peut-être se douter avant de cette force : on ne tourne pas coûte que coûte dix films dans les dix ans qui ont suivi Mai 68, sans argent, sans ressources, sans perspective de sortie, sans horizon, en baissant chaque fois les niveaux (plus de son, plus de chef opérateur, plus de pellicule neuve, plus de producteur, plus de monteur, plus de distributeur) sans être à la fois une machine de guerre, folle, sûre de son fait, bravache, mais aussi sans en payer le prix tôt ou tard. Combien de gouffres durant ces dix années, combien d’appels de fond ? Combien de dépressions ?
(Philippe Azoury, Philippe Garrel en substance, éditions Capricci, 2013)
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