Année : 1975. Durée : 1 H 43'
Fiche technique :
Réalisation, concept, montage, effets spéciaux : Gérard Courant.
Son : Vincent Jamet.
Voix : Philippe Garrel, Jacques Robert, Pierre Queyrel.
Production : Les Amis de Cinématon, Les Archives de l’Art Cinématonique, La Fondation Gérard Courant.
Diffusion : Les Amis de Cinématon.
Enregistrement : 2 mai 1975 à Digne (France).
Format de tournage : Cinéma Super 8.
Format de diffusion : Vidéo.
Cadre : 4/3.
Procédé : Couleur.
Collections publiques :
BnF (Bibliothèque nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première projection publique :
29 janvier 2010, Cinémathèque française à Paris (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Cinémathèque française, Paris (France), 2010.
-BAFICI, Buenos Aires Festival Internacional de Cine Independiente, Buenos Aires (Argentine), 2012.
-Théâtres au cinéma, 24ème Festival de Bobigny (France), 2013.
-MMCA (National Museum of Modern and Contemporary Art, Korea), Séoul (Corée du Sud), 2015.
Prix, récompenses, palmarès :
-Fait partie de la liste de 75 films, LISTA(S): Nicole Brenez top 50 avant-garde films of the century (2000-2009), site Letterboxd (Nouvelle-Zélande), 2020.
-Fait partie de la liste de 50 films, Would Like to See on Mubi, établie par Mapi, site Mubi (Royaume-Uni), 2021.
-Classé 35e de la liste des 207 films préférés de Johnny Zito, Mubi Favorites, site Mubi (Royaume-Uni), 2022.
-Classé 86e des 98 films préférés de patrizio.desantis1978, Mubi Favorites, site Mubi (Royaume-Uni), 2022.
Sortie DVD : Juin 2012, éditions L’Harmattan, Paris (France).
Dédicace : Le film est dédié à Pierre Queyrel, créateur des Rencontres cinématographiques de Digne.
À l’occasion des 3èmes rencontres de Digne, Pour un autre cinéma, organisées par Pierre Queyrel (à qui ce film est dédié) et qui présentèrent une rétrospective de l’œuvre cinématographique de Philippe Garrel, ce film est la captation sonore des deux rencontres que le cinéaste fit avec le public des rencontres à l’issue de la projection de ses films Le Lit de la vierge, Le Révélateur, La Cicatrice intérieure, Un ange passe et Les Hautes solitudes.
Les deux interventions publiques de Philippe Garrel eurent lieu le 2 mai 1975 à l'issue de la projection de ses cinq films.
Philippe Garrel répond aux questions des spectateurs concernant ces cinq films et de deux autres films dont la programmation était prévue mais qui n'avaient pas pu être diffusés à Digne : Marie pour mémoire (1967) et Athanor (1973).
Il parle longuement de son travail avec sa compagne, la chanteuse Nico (interprète de sept de ses films, dont La Cicatrice intérieure), avec Pierre Clémenti (interprètre du Lit de la vierge et de La Cicatrice intérieure) et avec Jean Seberg (interprète des Hautes solitudes).
La discussion s'élargit pour traiter de films de cinéastes admirés par Philippe Garrel : F For Fake (Vérités et mensonges) d'Orson Welles, Tout va bien de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, The Chelsea Girls d'Andy Warhol et du cinéma d'Ingmar Bergman.
Le champ de discussion englobe également les domaines de l'art et de la politique. Philippe Garrel parle de Daniel Cohn-Bendit, Andreas Baader, Sigmund Freud, Henri Langlois, Karl Marx, The Rolling Stones et Pablo Picasso.
Le film est illustré de nombreuses photos des films de Philippe Garrel, ainsi que des collages réalisés par Gérard Courant.
English
Pour un autre cinema was the perfect name for the cinema summit in Digne in 1975, which devoted a premature retrospective to Philippe Garrel. They considered his work was already sharp enough to produce an inner scar that traced a borderline with the Sixties. Courant registered Garrel’s dialogues in order to produce his first urgent film, the first of his essays inquiring the state of current cinema. As a synthesis for the 20th century, Garrel invoked his relationship with Freud, Henri Langlois, Orson Welles, Marx, The Rolling Stones, Godard, Warhol, Picasso and Bergman and draw a territory in that different kind of cinema also inhabited by Courant’s art. Four years later –as a sequel, and a first example of Courant’s series– there was another meeting with Garrel, where again the filmmaker adds names related to his sensitivity, such as Murnau, Von Stroheim, the Lumière brothers, Abel Gance, Polanski, Rivette; the writers André Breton and Gabriele d’Annunzio; and the actresses Anna Karina, Nico, Zouzou and Maria Schneider –three stars of his films.
(Diego Trerotola)
Espanol
Por otro cine era el nombre perfecto para el encuentro de cine de Digne de 1975, que dedicaba una retrospectiva precoz a Philippe Garrel, cuya obra ya tenía el filo suficiente como para producir una cicatriz interior que hería, trazando una frontera, a la década del sesenta. Courant registró diálogos de Garrel para construir su primera película urgente, su inicio de los ensayos reflexivos sobre el cine del presente. Como síntesis del siglo XX, Garrel invoca su relación con Freud, Henri Langlois, Orson Welles, Marx, los Rolling Stones, Godard, Warhol, Picasso, Bergman, para trazar un territorio en ese otro cine, también habitado por la mirada de Courant. Cuatro años después, como una segunda parte y como primer ejemplo de serialidad del cine de Courant, se produce otro encuentro con Garrel donde el cineasta suma nombres propios que rondan su sensibilidad como Murnau, Von Stroheim, los hermanos Lumière, Abel Gance, Polanski, Rivette; los escritores André Breton y Gabriele d’Annunzio; y las actrices Anna Karina, Nico, Zouzou y Maria Schneider, las últimas tres, protagonistas de sus películas.
(Diego Trerotola)
En faisant La Cicatrice intérieure, je suis devenu fou. Au départ, je voulais jouer le film moi-même, puis, j'ai été incapable de le faire et alors j'ai arrêté le film. J'ai commencé à déambuler dans Rome puis je suis entré, une nuit, dans la Villa Médicis. J'ai fracturé une porte, puis j'ai été arrêté par des carabinieri. Je me suis retrouvé dans un asile psychiatrique à Rome. On m'a fait des électrochocs, ce qui est aussi arrivé à Clémenti, à peu près à la même époque. C'est une espèce de lavage de cerveau. C'est très compliqué de s'en tirer parce que l'on perd complètement la mémoire et, alors, ensuite, on m'a mis en camisole de force, attaché sur un lit.
Il a fallu que j'aie envie de sortir parce que l'on ne sort pas si on n'a pas envie de sortir. C'est très difficile de sortir d'un asile psychiatrique. Je suis sorti pour faire le film, plutôt pour le reprendre parce que je l'avais déjà commencé. J'ai commencé à écrire des choses sur un calepin qui étaient complètement schizophrènes. C'étaient des points d'exclamation et des points d'interrogation. J'ai commencé à avoir envie de refaire le film. Il n'y avait pas de différence, au fond, entre ma liberté et le film. C'est devenu effectivement ce que vous dites, un produit de la civilisation. Mais, à un moment précis, l'attache que l'on a par rapport à l'œuvre est complètement critique. Quand Van Gogh se coupait l'oreille parce qu'il n'arrivait pas à peindre, c'était vraiment critique. Il pensait sans doute dans sa tête que s'il se coupait l'oreille, il faisait un échange diabolique de son oreille contre un tableau qu'il saurait faire ou quelque chose dans ce genre-là.
Effectivement, à ce moment-là, on peut dire que la création est une chose extrêmement austère. On présente toujours le cinéma comme un art de divertissement. C'est fait en se divertissant. C'est un art esthétique, facile, etc. Mais, en fait, c’est quelque chose qui est aussi difficile à sortir que le reste. Si à l’école, on apprend que la poésie appartient quelque part à la douleur, le cinéma n’a jamais eu cette idée. Je veux dire que quand un critique écrit sur un film, il ne dit jamais que ce film a coûté extrêmement de peine aux acteurs qui l’on fait ou a été extrêmement dangereux pour leur équilibre. Le cinéma, c’est vraiment du bien-être alors, qu’en fait, comme n’importe quel art, ça appartient à quelque chose qui est extrêmement difficile. Ce n’est pas pour ça que ça lui donne de la valeur. Ce ne sont pas ces choses-là qui parlent à travers un film.
(Philippe Garrel, extrait de la bande-sonore du film)
Personnellement je ne connaissais pas la voix et la parole de Garrel (je connais par contre une petite moitié de ses films). J'ai trouvé ses deux interventions, après projections, remarquables. Ce qu'il dit sur sa pratique cinématographique, sur ses films, sur la folie et le travail créateur sont passionnants*. Je pense qu'il met un doigt là où beaucoup de choses se jouent c'est-à-dire la valeur thérapeutique du travail et ce que, plus tard, on peut en discerner comme appartenant à sa propre névrose d'artiste ou bien comme appartenant à la pratique artistique elle-même et par conséquent de pouvoir affiner ce qu'on appelle art cinématographique. Là où j'ai eu plus de mal c'est sur la dissociation son/image, une chose évidemment primordiale pour le cinéma – presque indispensable – car je dirais que la « valeur son » l'a emporté sur la « valeur image ». La dissociation (au cinéma mais comme partout) est toujours intéressante quand elle produit en définitive une solution d'unité nouvelle, non attendue. Faire naître mentalement cette fameuse « troisième image » dont parle souvent Godard, est sans doute un bel enjeu d'art cinématographique.
Or, dans ce film (mais c'est plus mon problème que le problème du film), je n'ai pas réussi à faire cette jonction et le son l'a emporté. Mais il y a certainement un passage possible qui reste à découvrir pour faire relier ce bloc son et ce bloc image... En tout cas, j'ai vécu un échange de 1975 où le débat sur le cinéma semblait plus passionnant que ce qu'il est aujourd'hui (mais peut-être a-t-il déserté le cinéma pour se porter sur autre chose) et c'est déjà pas si mal.
* Je remarque, au passage, que tout comme moi, Garrel rejette beaucoup ses films – « C'est assez ennuyeux, infantile, ça me fait honte, je ne les aime pas tellement à vrai dire ».
Il y a un échange qui m'a bien fait rire. Un spectateur, lors d'un échange un peu vif, demande : « mais où est-on ici ?» et un autre répond « à l'hôpital ! »
(Philippe Leclert, 3 juillet 2009)
Le débat cinéphilique à l'apogée de son art.
(Nicole Brenez, Programme de la Cinémathèque française, Paris 2009).
Philippe Garrel à Digne (Premier voyage) (1975) de Gérard Courant
Le nom de Gérard Courant risque de revenir régulièrement dans ces pages puisque suite à une note précédente, l’auteur a eu la gentillesse de me faire parvenir dix DVD de ses films (qu’il en soit encore une fois chaleureusement remercié). Je sais parfaitement que ces notes pourront vous sembler parfaitement étrangères dans la mesure où les films de Courant sont (quasiment) invisibles mais si elles parviennent à piquer votre curiosité, à vous donner envie d’aller visiter le site du cinéaste ou encore de kidnapper les patrons des chaînes de télévision afin qu’ils programment en prime time les Cinématon en lieu et place des horreurs de la télé-réalité ou des séries débilitantes ; elles auront atteint leur but !
L’obsession de Gérard Courant, c’est la trace. Filmer pour conserver des vestiges du présent, des traces du Réel à un moment donné. Il y a chez lui un côté « archiviste » que je trouve absolument fascinant. Et quand il n’a pas de pellicule et de caméra, il se contente d’un enregistrement sonore comme dans ce film qui est une captation sonore de deux rencontres du public de Digne en 1975 avec Philippe Garrel à l’issue d’une mini rétrospective que lui avait consacrée un festival intitulé Pour un autre cinéma.
Si le spectateur est un peu frustré, au départ, de découvrir des images de feux d’artifices décomposées par le ralenti en lieu et place des visages des acteurs de ce débat ; il s’habitue peu à peu à cette parole qui semble venir de la nuit des temps et réalise à quel point ce document est devenu précieux près de 35 ans après son avènement (alors imaginez dans cent ans !). Impression corroborée par le fait que Courant interrompt régulièrement le flux de ses images « abstraites » pour insérer des photos et photogrammes (des films de Garrel mais également de ceux de Godard, régulièrement cité au cours du débat) ou encore des extraits des films de Garrel (les sublimes travellings de La cicatrice intérieure ou du Révélateur, le visage bouleversant de Jean Seberg émergeant du noir et blanc primitif des Hautes solitudes, un des films que je souhaite le plus voir au monde).
Si le dispositif du film peut sembler minimal, il parvient à capter deux choses qui me paraissent essentielles.
D’une part, pour le dire simplement, l’air du temps. Dans la salle, on entend régulièrement un spectateur militant reprocher à Garrel de ne pas faire un cinéma « révolutionnaire ». Courant saisit mine de rien un moment particulier de la société française (qui va, disons de 1968 à la fin des années 70 : la voix de son maître de Philibert et Mordillat pouvant constituer une belle balise finale dans la mesure où les patrons assimilent la parole libérée de Mai 68 pour la noyer dans le grand bain tiède du capitalisme libéral) où la parole s’est déliée et cherche d’autres voies, y compris dans le domaine du cinéma. Ce dogmatisme peut faire sourire aujourd’hui (Garrel répond d’ailleurs très bien à ce type envahissant en lui disant « oui mais vous, vous êtes marxiste-léniniste, moi je suis anarcho empiriste ») mais il témoigne d’une époque où la politique semblait encore pouvoir se faire dans la rue et les salles de cinéma. Aux trips sous LSD de Garrel, certains spectateurs opposent le cinéma politique de Godard sans pour autant avancer de façon convaincante ce qui pourrait être un véritable cinéma « révolutionnaire ». Mais au moins, on a le sentiment d’entendre un vrai débat cinéphile.
D’autre part, Courant capte également une certaine vérité de Garrel artiste. Le témoignage de ce « mystique de l’Art » est passionnant de bout en bout. Parce que Garrel se livre de manière parfois assez crue (le moment où il raconte son internement dans un asile psychiatrique, les électrochocs et comment le cinéma lui a donné envie de sortir de cet enfer ; expérience qu’il a partagée d’ailleurs avec Pierre Clémenti) et qu’il définit très bien les caractéristiques de son cinéma : l’Art pour l’Art, mettre ses tripes sur l’écran, tenter de saisir une vérité individuelle à un moment précis.
Lorsque Garrel évoque sa fascination pour les frères Lumière, on réalise alors ce qui a pu séduire Courant (outre leur admiration commune pour Warhol) chez ce cinéaste. D’une manière sans doute radicalement opposée, Courant et Garrel peuvent apparaître comme des cousins pratiquant le cinéma comme on tient un journal intime, avec tout ce que cela peut supposer d’imperfections (les claps que Garrel n’a pas enlevés dans Elle a passé tant d’heures sous les sunlights, un autre film que je rêve de voir depuis très longtemps), d’esquisses et de ratures mais aussi d’émotions uniques…
PS : Les deux films que Courant a tournés sur Garrel seront projetés en avant-première mondiale (plus de 30 ans après leur réalisation !!!) à la Cinémathèque le 29 janvier prochain. Amis parisiens, ne manquez pas cette occasion.
(Dr Orlof, Le blog du Dr Orlof, 12 novembre 2009)
C’est une séance tout à fait spéciale qu’organise ce vendredi la Cinémathèque en projetant deux documents ultra rares : Philippe Garrel à Digne (Premier voyage, Carnet filmé : 2 mai 1975) puis Philippe Garrel à Digne (Second Voyage, Carnet filmé : 28 avril 1979). Quèsaco ? En fait, la captation sonore de deux vifs débats avec Garrel à l’occasion de deux rétrospectives de ses œuvres (déjà une douzaine de films à l’époque, dont Le lit de la vierge, Les Hautes solitudes et La Cicatrice intérieure) dans le cadre des Rencontres cinématographiques de Digne. Qu’il parle d’Orson Welles, d’Andréas Baader ou de lui-même confronté à l’expérience des électrochocs à l’HP, Garrel et son public témoignent d’un moment particulièrement animé de la cinéphilie, le cinéaste se définissant à un moment comme « anarcho-empiriste » face aux assauts d’un intervenant lui reprochant son manque d’engagement marxiste. Gérard Courant, qui joue un rôle d’archiviste fou à travers ses nombreux Cinématons, a procédé à un montage d’images (photogrammes, extraits de films…) afin d’accompagner la bande-son.
(D.P., Libération, 27 janvier 2010)
Un document extraordinaire. Une découverte importante.
(Philippe Dijon de Monteton, 30 janvier 2010)
Un document d'une importance folle.
(Arnaud Hallet, 5 février 2010)
J'ai été fascinée par ton film sur Garrel.
(Catherine Arnaud, 7 février 2010)
Très réussis et intéressants les Garrel.
(Jean Douchet, 25 février 2010)
Pour témoignage de la ferveur exceptionnelle des années Queyrel à Digne, voir Philippe Garrel à Digne, le film de Gérard Courant qui est précisément dédié à Pierre Queyrel, l'homme qui a créé ces rencontres cinématographiques, un véritable espace d'utopie rarissime dans le paysage cinématographique français, où étaient montrées les avant-gardes cinéma du monde entier... ... Queyrel organisa ces rencontres, autant littéraires et philosophiques, que cinématographiques, pendant dix années, de 1973 à 1982... ... j'y suis souvent allé... l'endroit était magique...
(Louis Skorecki, blog Club Skorecki, 19 janvier 2011)
En 1975 hubo en Digne, un pequeño festival francés, una retrospectiva de Philippe Garrel. Después de las películas, Garrel habló con el público y el audio de estos debates quedó registrado. No así las imágenes. Courant ideó un dispositivo para convertir ese material sonoro en una película. La idea no fue genial y suena demasiado a videoarte. Courant ilustra las conversaciones con fragmentos de los films de Garrel y fotos fijas del cineasta, sus actores y de las personas que se nombran durante esas charlas (que no son pocas). Además solarizó algunas fotografías y montó todo sobre un fondo de fuegos artificiales —que se parece mucho a los salvapantallas de la computadora— elección que resulta un poco fea e irritante.
De todos modos, vale la pena seguir atentamente las charlas. Garrel es uno de los íconos de la cinefilia francesa hardcore y lo que le falta de intelectual al personaje lo compensa con franqueza e inspiración. Así, durante esos Q&A (como se diría ahora) revisa su vida —incluyendo sus episodios de locura— y su evolución estética: de un cine experimental de inspiración godardiana y con acento en la forma, a una buscada desprolijidad influida por Warhol, a la aparición en sus películas de lo íntimo y lo autobiográfico, movimiento que lo llevó hacia Bergman y hacia un cine finalmente cuidado en la fotografía y el montaje.
Hay momentos memorables en la película, muy esclarecedores. Por ejemplo, cuando alguien de la audiencia lo apura para que haga cine revolucionario como Godard (que en ese momento terminaba Tout va bien con Jean-Pierre Gorin, una de sus peores películas), Garrel contesta que Godard es marxista-leninista y hace un cine de denuncia, pero que él es anarco-empirista y quiere que el cine sea un reservorio de belleza y libertad y no la pesadilla del capitalismo que no se hace más que reproducir cuando se intenta denunciar.
Vale la pena sentarse ahí, tratar de que el salvapantallas no lo aturda a uno y revisar el capítulo de Garrel de la historia del cine. Hay una segunda parte que pienso ver más adelante.
(Quintin, La lectora provisoria, 12 avril 2012)
Le plaisir que l’on peut prendre à la découverte de l’œuvre de Gérard Courant est avivé ces derniers temps par les nouvelles possibilités offertes au spectateur curieux. Soucieux de contrôler son travail, l’auteur a pris à bras le corps l’espace ouvert d’Internet et a organisé sur son site la promotion de son œuvre multiple avec la rigueur et l’exhaustivité que nous lui connaissons. Elle est désormais classée comme sur ses propres étagères. Mieux, il a mis nombre de ses films à disposition sur son compte Youtube qu’il nourrit avec générosité. Mieux encore, les éditions de l’Harmattan ont entrepris la publication de ses travaux autour de cinéastes et quels cinéastes ! : Werner Schroeter, Philippe Garrel, Vincent Nordon, Joseph Morder, Luc Moullet. Sous le terme générique D’un cinéma l’autre, la collection regroupe documents filmés et sonores, carnets filmés, entretiens, documentaires, courts métrages et Cinématons.
L’ensemble force le respect car ce qui frappe, c’est l’ampleur du matériau accumulé depuis 1975 et sa qualité. Tous ces cinéastes sont désormais reconnus, quoique cela veuille dire, et le patient, minutieux travail de Gérard Courant, représente une somme qui raconte l’histoire de tout un pan du cinéma français et au-delà. Une histoire trop peu connue qui ne demandait qu’a être contée, qui sera une parfaite introduction au néophyte et qui ravira l’initié qui ne soupçonnait peut être pas qu’une telle mémoire ait été préservée. Autre aspect remarquable, ce travail n’a été motivé que par le désir de Gérard Courant, son admiration pour les cinéastes abordés et la passion qu’il porte à leurs films et à leur démarche d’artistes.
(...) En 1975, Gérard Courant se rend donc à Digne pour les Rencontres cinématographique et enregistre au magnétophone le débat qui suit la projection d'un ensemble de cinq films : Le Révélateur (1968), Le Lit de la Vierge (1969), La Cicatrice intérieure (1972), Les Hautes Solitudes (1974) et Un ange passe (1975), le 2 mai 1975. A cette époque, Gérard Courant écrit pour diverses revues de cinéma et il s’est pris de passion pour le cinéma de Garrel. « Pour Philippe Garrel, le cinéma n'est pas seulement un moyen d'exprimer son art, il est également une immense bouée de sauvetage et de survie sans laquelle il périrait noyé dans les profondeurs de notre monde capitaliste. » (Les Soleils d’Infernalia n° 11, décembre 1976 ).
A partir de cet enregistrement, document brut, il réalise un premier carnet filmé Philippe Garrel à Digne (premier voyage). Ce film de 1975 propose l'intégralité du débat avec le public. Il définit une forme qui sera celle des cinq autres carnets filmés autour de Garrel : la bande son brute avec une image de fond composée de feux d'artifices, éclairs de lumière filmés en super 8 et ralentis, une trame onirique avec un effet quasi hypnotique. Par dessus, un gros travail d'illustration des propos à l'aide de multiples photographies, d'extraits des films de Garrel discutés (on verra par exemple le travelling circulaire de La cicatrice intérieure quand on parlera de sa technique), et d'extraits de films de Gérard Courant qui, fidèle à son principe de transversalité, fait intervenir d'autres archives, ses Cinématons notamment. Que l'on parle de Jean-Luc Godard (Courant parle beaucoup de Godard avec Garrel) et l'on voit apparaître le fameux portrait filmé de JLG avec son cigare. Que l'on évoque Nico, et elle apparaît, le visage nimbé d'éclairs de lumière. Soucieux de rigueur et de clarté, Courant use d'intertitres pour préciser telle ou telle information. Une question au fond de la salle à Digne n'est pas très audible ? Courant nous la fait apparaître à l'écran. Les bandes-son de Digne, sans doute prises avec un simple magnétophone à cassette, demandent une certaine attention, mais leur côté brut nous projette en 1975 dans la salle, ce qui est assez remarquable.
L'exercice pourrait être fastidieux. Mais pas du tout, y compris pour quelqu'un comme moi qui connaît mal le cinéma de Garrel. Très vite s'impose la voix du cinéaste, un peu basse, très douce, envoûtante, avec cette façon de dire « très, très, très, très » pour ce qui lui semble important. Son propos passionne, ne se limitant pas au cinéma mais abordant politique, peinture, musique, éthique, économie du cinéma, psychanalyse, littérature. Il accepte en débat la contradiction (sur la question essentielle de la façon de filmer les femmes), se révèle critique sur son travail, parfois même impitoyable, mais aussi fait passer sa force de conviction. Il passionne, c'est le mot. Cet ensemble de films définit les contours d'une philosophie esthétique et économique du cinéma et de sa pratique. Que filmer ? Pourquoi filmer ? Comment filmer ?
Pour ceux qui ont vécu cette époque, comme pour ceux qu'elle fascine, celle de la fin des années 60, du grand mouvement de mai 68 et des années 70 qui ont suivi jusqu'à la victoire de François Mitterrand en 1981, le principe affectif joue à plein. Avec le recul il y a même matière à réflexion quand Garrel fait revivre par ses réflexions ce qu'à représenté la victoire socialiste de mai, quand il s'enthousiasme, illustrant littéralement le "passage de l'ombre à la lumière" vanté par Jack Lang à l'époque où "L'air semble plus léger" chanté par Barbara à Pantin en 81. On méditera sur cette idée que la prochaine étape, pour Garrel, aurait été l'élection de Michel Rocard (« Notre génération devra l'élire » dit-il). C'est vrai, à l'époque, certains d'entre nous ont pensé cela. A méditer également cette réflexion qu'après les combats des années 70, que Garrel a vécu difficilement, il est désormais heureux, que tout va bien et qu'il se repose. Il serait très intéressant de reprendre aujourd'hui la discussion et de revenir sur ce repos des intellectuels et artistes après 1981, mais c'est une autre histoire.
Au fil des entretiens, on comprend pourquoi Courant s'est enthousiasmé pour le cinéma de Garrel et pourquoi il a reconnu en lui un frère en cinéma. Garrel a commencé très jeune, à 16 ans après un stage sur le film de Claude Berri, Le vieil homme et l'enfant (1966). Il réalise dans l'urgence son premier court métrage, Les enfants désaccordés. « Ce qui me branchait à l'époque, c'était d'être le plus jeune cinéaste du monde : tourner un film 35 mm à 16 ans. » (Les cahiers du cinéma n° 671, octobre 2011). Il développe alors un système de production personnel et très léger qui lui permet de faire les films qu'il veut faire, sans compromis, à la manière d'un peintre où d'un poète. Les films sont ainsi de durée ou de format variable, dépouillés mais aux mouvements majestueux, à la photographie, parfois en couleurs, parfois en noir et blanc, splendide. Les films de Garrel classés alors comme expérimentaux, relèvent pleinement de l’œuvre d'art. Le réalisateur estime qu'il vaut mieux tourner, même comme on peut, plutôt que pas du tout. On voit là où se situe la proximité avec Courant, ils partagent une éthique, une poésie, une philosophie et une économie de l'acte créateur au cinéma.
(...) La question technique se greffe sur ces réflexions. Garrel avoue une certaine méfiance pour la machinerie du cinéma. Sur les films de sa première période, il est le plus souvent seul avec ses acteurs et actrices. Rapport à la peinture encore, avec ce côté peintre-modèle que l'on peut trouver dans ses films avec Jean Seberg, Anémone ou Nico. Mais il revendique aussi le côté artisanal. Il tournera ainsi avec une caméra à manivelle, manière de revenir au geste des frères Lumière, autre point de contact avec le travail de Gérard Courant dont nombre de séries, les Cinématons les premiers, sont basés sur le principe des vues Lumière. On retrouvera ce goût pour les méthodes anciennes avec l'utilisation par Garrel de lampes à arc dans les années 90. mais pour lui la technique est un faux problème et il revendique le droit à l'erreur. Belle déclaration quand il dit que l'Art n'a rien à voir avec le travail bien fait. Il rejoint ici François Truffaut qui pensait que les films respiraient par leurs défauts.
Dans le même temps, Philippe Garrel, aiguillonné par les questions de Gérard Courant (et du public à Digne) cherche à définir ce que doit être un film, du moins pour lui. Il y a la figure essentielle de Jean-Luc Godard que les deux hommes admirent (...). Garrel fait preuve d'une grande culture et prône la transversalité des arts. Films-peintures, films-poémes, films-musiques, Le réalisateur imagine dans un passage lyrique des films désaliénants, que l'on pourrait utiliser pour tous les âges de la vie et en toutes circonstances, en couple, avec un enfant, etc. Et par dessus tout domine l'Amour. L'Amour transformé en art est ce qui émeut le plus Garrel. Je repensais alors à cette phrase de Catherine Deneuve devant une photographie de son metteur en scène pour Le vent de la nuit, tendrement grave : « C'est un visage qui a souffert, qui a souffert par amour ». Défilent au cours des films les visages aimés de ses actrices. Mais il serait fastidieux de conter par le détail le contenu des six films. Ils constituent un inestimable témoignage, et ce mot est au cœur du travail de Gérard Courant, comme un voyage poétique dans l'univers d'un artiste particulier. Garrel ouvre grand les portes de sa sensibilité, n'hésitant pas à aborder des expériences douloureuses comme son internement en asile psychiatrique à Rome ou la douleur de la perte de ses amis Jean Eustache ou Jean Seberg.
(Vincent Jourdan, Blog Inisfree + Les Fiches du cinéma, 22 juin 2013)
Digne mai 1975, et Digne fin avril 1979 : deux moments importants au creux des années 1970. En pleine période noire, Philippe Garrel se voit célébré par ce festival d’avant-garde, Pour un autre cinéma. Après chaque séance, il accepte de rencontrer le public, poser des mots, sinon des explications, sur ses images. Gérard Courant, qui mène les débats, a la bonne idée d’enregistrer. Il en fera une série de films expérimentaux. Où le plus impressionnant reste la voix de Garrel. Non seulement ce qu’il dit, mais la tonalité même de sa voix. À Digne, celui dont l’historiographie (ou la légende, c’est ici un peu la même chose) donnait à ce moment-là l’idée d’un artiste mutique, usé par la pauvreté et le reste, est habité par une assurance et une force sans pareilles. On reste ébahi par tant de santé, là où les films font état partout du manque. Il aurait fallu peut-être se douter avant de cette force : on ne tourne pas coûte que coûte dix films dans les dix ans qui ont suivi Mai 68, sans argent, sans ressources, sans perspective de sortie, sans horizon, en baissant chaque fois les niveaux (plus de son, plus de chef opérateur, plus de pellicule neuve, plus de producteur, plus de monteur, plus de distributeur) sans être à la fois une machine de guerre, folle, sûre de son fait, bravache, mais aussi sans en payer le prix tôt ou tard. Combien de gouffres durant ces dix années, combien d’appels de fond ? Combien de dépressions ?
(Philippe Azoury, Philippe Garrel en substance, éditions Capricci, 2013)
La trace, chez Gérard Courant, semble être le plus important, et en cela le cinéaste se rapproche de « l’empreinte » de Roland Barthes. Jamais réellement théorisée par l’écrivain et sociologue, l’empreinte est « à la fois en deçà et au-delà de tout procès de signification ». Signe sauvage, elle fait surgir l’intensité d’une « emphase déchirante ». L’empreinte ne révèle rien et n’interprète rien, c’est celui qui l’a regarde qui lui imprime, qui lui donne un sens, une valeur, un nom. Ainsi, pour Gérard Courant, il ne s’agit que de filmer pour conserver avant qu’il ne soit trop tard les vestiges du présent, des traces du réel, ou plus exactement d’une partie du réel à un moment donné. Barthes emploierait alors le terme « d’arrêt du temps », et de ce fait cloisonnerait le sujet photographié, filmé dans sa singularité. Il s’agit bien de la singularité, que Gérard Courant veut conserver. Encore plus surprenant, pour son film Philipe Garrel à Digne (Premier voyage), le cinéaste se sert d’un enregistrement sonore, plus précisément d’une captation sonore des deux rencontres du public de Digne en 1975 avec Philipe Garrel. L’enregistrement sonore est accompagné, d’images de feux d’artifices, d’acteurs de ce débat. Courant incorpore à ce flux d’images abstraites des photographies et des photogrammes de films de Garrel mais aussi de Godard. Le dispositif du film peut être – et à juste titre – considéré comme des plus minimaux, mais bien plus qu’un « film », c’est avant tout un document témoignant de l’air du temps, d’une époque avec ses débats et ses enjeux. C’est aussi un témoignage sur Garrel lui-même qui, ne l’oublions pas, est le sujet de ce film. Il évoque sa méfiance pour la machinerie du cinéma. Mais aussi son rapport avec ses acteurs, ses actrices, très proche de celui de la peinture et du modèle classique: modèle/artiste. En réalisant le portrait de Garrel, Gérard Courant construit son propre portrait ; les deux cinéastes revendiquent la même philosophie de l’économie de l’acte créateur au cinéma. Leurs films sont ainsi de durée et de format variable, noir et blanc ou couleur relevant pleinement de l’œuvre d’art.
(Estelle Pajot, L’oeuvre filmée de Gérard Courant, Université de Bourgogne, UFR Sciences Humaines et Sociales, Département Histoire de l’Art et Archéologie, sous la direction de Isabelle Marinone, 2014)
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