image du film.À TRAVERS L'UNIVERS

Année : 2005. Durée : 1 H 19'

Fiche technique :
Réalisation, concept, production, image : Gérard Courant.
Montage : Claude Tancrou (anagramme de Gérard Courant).
Son et montage son : Billy Schneider (pseudonyme de Gérard Courant).
Assistant post-production : Mauricio Hernandez.
Mixage : Gérard Chastagnaret (pseudonyme de Gérard Courant).
Conformation : Pierre Noutrac (anagramme de Gérard Courant).
Interprétation : les habitants de Saint-Marcellin (Isère, France).
Production : Les Amis de Cinématon, La Fondation Gérard Courant.
Tournage : 30 et 31 juillet 2004, 18 septembre 2004, 17 et 18 juin 2005, 28 et 29 juillet 2005, 23 et 25 août 2005 à Saint-Marcellin (Isère).
Format : Vidéo Mini-DV.
Procédé : Couleur.
Cadre : 4/3.
Distribution : Les Amis de Cinématon.
Collections publiques :
BNF (Bibliothèque Nationale de France), Paris (France).
Cinémathèque de Bourgogne-Jean Douchet, Dijon (France).
Première projection publique :
30 mars 2006, cinéma Les Méliès à Saint-Marcellin (France) dans le cadre du Festival Ethnologie et Cinéma de Grenoble (France).
Principaux lieux de diffusion :
-Rencontres Ethnologie et Cinéma, Grenoble (France) 2006.
-Cinémathèque Française, Paris (France) 2006.
-Journées du Patrimoine, Saint-Marcellin (France) 2008.
-Microscope Gallery, New York (U.S.A.) 2010.
-Gulf Film Festival, Dubaï (Émirats Arabes Unis) 2011.
-Site YouTube, 2012.
-BAFICI, Buenos Aires Festival Internacional de Cine Independiente, Buenos Aires (Argentine) 2012.
-Site Dailymotion, 2014.
-Nahal Student Short Film Festival, Téhéran (Iran), 2016.
-Cinemateca Portuguesa, Lisbonne (Portugal), 2017.



Présentation >>>

À travers l’univers est le troisième volet de ma série cinématographique Mes villes d’habitation.

À travers l’univers est un inventaire filmé des 127 rues (dans une première partie) et des 17 places (dans une seconde partie) de la ville de Saint-Marcellin dans l’Isère (France).

(Gérard Courant)

English I

Through the Universe is the third section of my cinematic series Mes Villes d’Habitation (My Dwelling Towns).

The film represents the autopsy of Saint-Marcellin, a small village in the Isère Region where I spent my childhood during the 50s.

Through the Universe displays, in alphabetical order, all the 127 streets and 17 public squares of the town (updated to the period of the shooting, in 2004-2005), all shot following the same rules: in a 20-second-long wide, static, single shot. Every vista is preceded by the sign indicating the name of the street or plaza.

(Gérard Courant)

English II

A cinematographic post mortem of Saint-Marcellin (France Isère) where he lived as a child.

(G. C.)

English III

A sort of analytic geography for memory, Courant’s A travers l’univers decided to make an “autopsy” of Saint-Marcellin, a small town in the Isère region where the filmmaker spent his childhood in the 50’s. Half a century after, Courant’s eye captures the French town where he grew up. Perhaps to avoid easy nostalgia, picturesque portraits or being captivated with the small town’s hellish grace Courant creates an almost mathematical method to organize the images: he presents in alphabetic order all the 127 streets and 17 public squares Saint-Marcellin has at the time of the shooting, all of them recorded with a single fixed 20 second shot. The result is a perplex immersion, part spatial documentary part structural film, with as much immediacy as formal rigor.

Espanol

Como una suerte de geografía analítica de la memoria, con A travers l’univers, Courant se propuso hacer una “autopsia” de Saint-Marcellin, un pequeño pueblo en la región de Isère, donde el cineasta pasó su infancia durante la década del ‘50. A medio siglo de distancia, el ojo de Courant registra exhaustivamente el pueblo francés donde vivió algunos de sus primeros años de vida. Tal vez para no caer ni en la nostalgia fácil, ni en el pintoresquismo o el embelesamiento con la gracia infernal del pueblo chico, Courant crea un método casi matemático para organizar las imágenes: presenta, en orden alfabético, todas las 127 calles y 17 plazas públicas que tiene Saint-Marcellin en el momento de rodaje, registradas siempre en un único plano fijo de 20 segundos de duración. El resultado es una inmersión perpleja, con tanto de documental espacial como de película estructural, que tienen tanta inmediatez como rigor formal.

Critique >>>

UNE RÉALITÉ BRUTE

À travers l’univers. Derrière ce titre... Saint-Marcellin ! Étude pour un inventaire filmé des rues et places.

Ce film de 78 minutes est « une autopsie de la ville ». (...) Le film de Gérard Courant montre, par ordre alphabétique, 127 rues (allées, avenues, boulevards, chemins, impasses, montées, passages, etc) et 17 places de la ville, toutes filmées en plan fixe et large d’une vingtaine de secondes chacune. Autant dire d’emblée qu’il ne s’agit pas d’un documentaire touristique ! Quand on sait que Gérard Courant a vécu une partie de son enfance à Saint-Marcellin, on comprend mieux la singularité de son film qui s’inscrit dans un vaste projet autobiographique, inventaire des rues des villes où il a vécu.

« C’est à Saint-Marcellin que j’ai découvert le cinéma... que j’ai appris à aimer la montagne... que j’ai découvert la passion du cyclisme.... que s’est forgé l’homme que je suis devenu ». Ainsi son film serait « une marche aux bras du temps » à la manière d’Alain Rémond ou un « je me souviens » à la manière de Georges Perec....

Néanmoins sa démarche cinématographique n’est pas seulement un travail sur sa propre mémoire. En figeant, en 2004, la réalité brute des lieux, il fige une époque. Quoi de plus réel que l’enregistrement « de ce qui existe et ce qui se passe » ? Les plaques de rues sont étonnamment disparates, les curiosités patrimoniales curieusement absentes, le bitume s’impose, c’est l’été, la chaleur semble imprégner l’image, le centre ville est juste un peu plus bruyant que le chemin qui mène au coteau, la campagne est encore là....Dans 50 ou 100 ans, qu’en sera-t-il ? On perçoit bien la valeur de témoignage d’un tel document, hommage selon l’auteur aux inventeurs du cinéma, Auguste et Louis Lumière.

L’enfance étant le début du long film de la vie, on se dit alors qu’il est bien dommage que Gérard Courant n’ait pas pu filmer les rues de Saint-Marcellin qu’il parcourait entre décembre 1952 et novembre 1960 ! Il nous racontera peut-être « ces traces fragiles, fugaces et singulières, qui constituent la mémoire » puisqu’il sera là, le soir de la projection au cinéma Les Méliès.

(Noëlle Roth, Trait d’union, mars 2006)



J'AI ÉTÉ HYPNOTISÉE

J’ai été hypnotisée ! C’est génial, si c’est possible, tu auras certainement bientôt épuisé le potentiel esthétique et sensible du plan fixe ! Quoi d’autre ? J’ai aimé la photogénie poétique, le cadrage parfait, la lumière, les ponctuations, les contrastes, les micros événements, les hasards, cet univers que seul un oeil immobile peut saisir, l’universalité du langage et des procédés... du vrai cinéma (art ?) comme j’aime. On peut lire tout ce que l’on veut sur le cinéma, il n’y a vraiment que lorsqu’on voit qu’on touche à la plénitude, tout le reste n’est que littérature. Juste frustrée par le format de ma TV.

Au niveau de l’expérience, je ne sais pas si je regarde encore le film trois fois avant d’aller à Saint-Marcellin (que je n’ai jamais visité) ou si je visite d’abord la ville avant de revoir le film...

(Alexia Morel, juillet 2006)



UN CINÉASTE MÉTHODIQUE

Ce cinéaste méthodique, tout autant que par le plan fixe, se révèle à nous par une volonté de classification méticuleuse, voire maniaque. Quand il filme un objet inanimé : une maison comme dans Mes lieux d’habitation (encore qu’intérieurement toute maison, même vide, soit hantée), des rues (comme à Saint-Marcellin dans À travers l’univers), etc., il lui redonne vie. Il en est le prince charmant.

(Alain Paucard, automne 2006)



LETTRE DE ALAIN COMTE

Le 12 septembre 2006

Bonjour Gérard,

Très intéressé par ton film, ces quelques lignes rapides.

L’avantage d’un tel dispositif, de ce système sériel et apparemment neutre de l’ordre alphabétique, réside aussi dans le fait qu’il puisse être débordé sur sa gauche (ou sur sa droite ?) par la réalité même (qui n’est pas le réel). À travers l’univers s’avère beaucoup plus intéressant que l’Inventaire filmé des rues de la Croix-Rousse à Lyon pour trois raisons : la durée des plans, d’abord ; une durée de vingt secondes (quoiqu’on en aimerait parfois plus) s’avère plus juste, suffisamment longue pour quelque chose advienne et assez courte pour ne pas faire se perdre le film ; et deux raisons qui tiennent aux spécificités saint-marcellinoises : d’abord les plaques des rues, dont la source de rêverie poétique, de jeux de l’esprit, qu’elles constituent par essence, est rendue ici parfaitement aigüe par la variété de la typographie, des supports, avec leurs dégradations et altérations, et par leur onomastique provinciale (la palme à la mention « peintre local » entre parenthèses (ce sont plutôt les dates qu’on inscrit d’habitude entre parenthèses) qui raconte le peu de certitude des rédacteurs quant à la notoriété de l’artiste ainsi (dés)honoré ; ensuite, le village de Saint-Marcellin se distingue de la Croix-Rousse par son unité géographique restreinte et circonscrite, ce qui permet d’en reconstituer la topographie, par recoupement et reconnaissance, par juxtaposition mais par correspondance. On a ainsi deux types de vision : une vision plan par plan, plan après plan (par ailleurs évocation métaphorique des premières bandes du cinématogaphe et de l’appareil Lumière, à la fois caméra et projecteur : ce qui a été enregistré par la caméra est ce qui est projeté sur l’écran), défilement pur, sérialité du banal, inventaire de l’insignifiant, minimalisme et l’exhaustivité, archivage du local, mais où la réalité déborde de toutes parts : surgissement de micro-événements, habillement des passants, beauté de la laideur architecturale de ces villages anonymes, etc..., autant d’éléments qui offrent à la pensée mille chemins pour vagabonder ; et une vision perspective, où les plans ne se succèderaient plus linéairement mais seraient reliés à un point perspectif qui les organise au-delà du film.

Comme on se perd dans le dictionnaire, pour y trouver d’autres chemins, on peut se perdre dans Saint-Marcellin, ce qui est un comble.

Amicalement.

(Alain Comte)



RÉPONSE DE GÉRARD COURANT

Bonjour Alain,

Merci pour tes précieuses remarques.

Je voudrais simplement te préciser deux ou trois choses.

La durée des plans de À travers l’univers oscille entre 20 et 25 secondes alors que celle de Inventaire filmé des rues de la Croix-Rousse à Lyon est de 10 secondes.

Le film sur Saint-Marcellin : on est plutôt en bas de la fourchette quand il y a peu d’action et en haut quand il se passe des choses.

Le film sur la Croix-Rousse : pourquoi 10 secondes ?

C’était dû exclusivement au cahier des charges imposé par les commanditaires – la société Jakaranda et la chaîne de télévision Aqui TV – afin que le film ne dépasse pas les 55 minutes.

Résultat : je trouve les plans trop courts et on n’a pas le temps de s’installer, ni de vagabonder, comme dans le film sur Saint-Marcellin.

Le comble, c’est que le film sur la Croix-Rousse, composé de 195 rues, dure 55 minutes alors que celui sur Saint-Marcellin – composé, lui, de 127 rues + 17 places, c’est-à-dire 146 rues/places – dure 1 heure 19 minutes.

Je considère le film sur la Croix-Rousse un peu comme une maquette et un essai pour mettre au point des règles – qui m’ont servi pour À travers l’univers, ainsi que pour le film que j’ai fait après, Un monde nouveau et pour le film que je réalise actuellement sur l’ensemble des rues et places de Lyon – que comme un travail abouti.

Comme le commanditaire de À travers l’univers, c’est moi, j’ai pu aller jusqu’au bout de ma logique et de mes certitudes.

Et puis, c’est vrai, Saint-Marcellin est une entité géographique alors que la Croix-Rousse n’en est pas réellement une. À la Croix-Rousse, il y a le plateau et il y a les pentes. Quelle est la vraie Croix-Rousse ? La Croix-Rouse du plateau ? La Croix-Rousse des pentes ? Les deux ? Personne n’est d’accord pour fixer les limites de la Croix-Rousse. Où s’arrête la Croix-Rousse ? Où commence la Croix-Rousse ?

(Gérard Courant)



LA RECOMPOSITION MENTALE D'UN ESPACE

Cette fois, j'ai un peu calé dans la côte pendant la montée de À travers l'univers ! Mais c'est sans doute par l'inexpérience du grimpeur plutôt que par le film ! Car il y a sans doute un enjeu très cinématographique dans ce travail qui viserait à recomposer mentalement un espace, une unité (Saint-Marcellin) par de la fragmentation (les rues et places de la ville). Enjeu qui place le spectateur dans une position intelligente d'assembleur. Bon l'exercice est un peu rude et, je dois le reconnaître, ma capacité de spectateur pas tout à fait prête...

Difficile évidemment de savoir ce que chaque spectateur de ce film construit par rapport à ton objectif. En ce qui me concerne je construis un Saint-Marcellin dégagé de toute sensation ou émotion du type « pays natal ou pays de l'enfance » puisque évidemment ce ne sont pas « mes » paysages. Je sens surtout la vibration du temps « présent » du film. D'ailleurs je ne peux pas aller au-delà puisque je n'ai pas d'autre élément (fictionnel ou autre) pour ressentir autre chose que ce temps même de la prise de vue. Là, je dirais que le film s'impose à moi dans la simplicité de son dispositif... Ce que tu nous montre, c'est avant tout la vibration des circulations qui construit Saint-Marcellin et c'est forcément autre chose qu'un simple documentaire sur la ville... donc de ce point de vue là ça fonctionne.

Après, pour tous les cinéastes, la question subsidiaire concernant les dispositifs de filmage c'est : est-ce pour le bien du film lui-même ou pour l’« évitement » d'une charge émotionnelle trop intense ? Certainement les deux, tant les lieux de l'enfance peuvent hanter...

(Philippe Leclert, 2009)



L'ESPRIT DES FRÈRES LUMIÈRE

J’étais parti hier pour aller voir Mother mais le hasard a voulu que je rencontre des amis sur le chemin et j’ai manqué la séance (la dernière, qui plus est !). Du coup, j’ai pioché dans ma pile de DVD de Gérard Courant et je vous propose une nouvelle note sur ce cinéaste (après tout, si vous voulez des informations sur Avatar, allez lire les 12000 blogs voisins du mien ou achetez Première !)

Il est entendu depuis Malraux que le cinéma est à la fois une industrie (Cf. Le film de Cameron déjà cité) et/ou un art. Mais on oublie aussi qu’il peut être un instrument « scientifique ». Jean Painlevé utilisa très tôt la caméra comme moyen d’observation des espèces sous-marines et des gens comme Marcel Griaule ou Jean Rouch en firent un instrument d’études ethnologiques lors de leurs expéditions chez les Dogons.

Avec A travers l’univers, Gérard Courant fait œuvre de géographe et topographe autant que de cinéaste. Son film est le troisième volet d’une série consacrée à ses « villes d’habitation » (le premier était consacré à Saint-Maurice dans le Val-de-Marne et le second au quartier de la Croix-Rousse à Lyon). Il s’agit ici d’un inventaire de toutes les rues (127) et places (17) de la ville de Saint-Marcellin dans l’Isère (entre Grenoble et Valence).

Après un plan sur la plaque d’indication de la rue ou de la place, Courant renoue avec la « vue Lumière » en proposant un plan fixe et large d’une vingtaine de secondes de chacune desdites rues ou places.

Le résultat est assez fascinant, même pour quelqu’un qui n’a jamais mis les pieds à Saint-Marcellin.

Fascinant parce qu’on retrouve cette tension entre un dispositif fort et « artificiel » et cette place offerte au hasard, à l’inconnu où peut s’engouffrer ce que l’on cherche à nommer tant bien que mal le « Réel ».

Car il faut préciser que le film dresse l’inventaire de ces rues en ordre alphabétique. Du coup, la spatialisation est totalement faussée et on aura du mal à dresser un « plan » de la ville après avoir vu le film. En revanche, cette juxtaposition de « vues » créée une impression assez semblable à celle que l’on peut avoir en découvrant les Cinématons : un sentiment de voir se répéter les choses avec, à chaque fois, une légère différence qui fait tout l’intérêt du dispositif. Ainsi, nous passons de rues offrant des perspectives majestueuses sur les Alpes à de grands boulevards extérieurs anonymes où seules les voitures semblent avoir droit de cité ; d’une artère de centre-ville ressemblant à toutes les rues principales de toutes les villes de France à des petits chemins campagnards isolés qui nous projettent dans un autre monde.

Chaque vue aiguise l’œil du spectateur qui l’appréhende de manière globale ou qui va se perdre dans un petit détail (le vent dans les arbres, le visage d’un promeneur…). Courant laisse son dispositif « ouvert » et ne cherche jamais le pittoresque : certains plans sont presque vides tandis que d’autres regorgent de mouvements divers jusqu’à « l’accident » (des jeunes qui disent bonjour au cinéaste, un passant qui obstrue le champ en passant très près de la caméra…).

Dans sa répétition même, le dispositif permet de se concentrer sur mille choses différentes : parfois, c’est l’architecture ou la lumière, d’autres fois, le mouvement ou le son. Par exemple, il est notable que certaines « vues » sont totalement saturées au niveau sonore par le brouhaha des voitures tandis que d’autres frappent par leur silence ou les bruits divers de la nature (j’aime beaucoup ce plan où l’on n’entend que les cigales, comme si nous étions soudainement projetés dans le Midi de la France).

Si A travers l’univers touche aussi, c’est que Gérard Courant n’a pas choisi cette ville par hasard. Sa série est consacrée aux villes où il a habité et celle-ci est celle de son enfance (j’espère qu’un film consacré à Dijon verra le jour !). Lorsque débute au générique de fin la déchirante chanson Mon enfance de Barbara (c’est à Saint-Marcellin que la famille de la chanteuse se réfugia pendant l’occupation), on réalise que le projet de Courant est à la fois de fixer des instants du présent mais également de retrouver des traces du passé, de sa propre enfance.

Ce que ce projet pourrait avoir de purement « objectif » voire « scientifique » (pour reprendre mon idée de départ) se charge d’une émotion subjective (tous les films de Courant relèvent, d’une certaine manière, du « journal intime ») qui fait le prix de cette œuvre étonnante…

(Docteur Orlof, Le blog du Dr Orlof, 17 février 2010).



UN FILM PASSIONNANT

À travers l’univers est un film passionnant. Je suis certain que beaucoup de gens ont rêvé de réaliser un film comme celui-là, mais, bien sûr, personne n’a réussi à transformer ce rêve en film. Toi, oui. Tu es cette magnifique exception.

(Andrea Monti, 10 novembre 2010).



MÊME SI C'EST UN FILM POUR LE FUTUR "À TRAVERS L'UNIVERS" EST AUSSI UN FILM CONTEMPORAIN

Le quatrième film de cette livraison appartient lui aussi à une série, intitulée Mes villes d’habitation, dont il constitue le troisième volet. À travers l’univers est consacré à Saint-Marcellin, ville de l’Isère de 8 000 habitants dans laquelle Gérard Courant a passé une partie de son enfance dans les années cinquante. Le principe est ici de filmer une à une toutes les rues et les places du lieu. Chaque vue est précédée d’un plan sur la plaque nominative et dure une vingtaine de secondes. Pendant 1h18 sont donc listées les 127 rues et les 17 places d’une ville que la majorité d’entre nous n’a jamais traversé ni même, probablement, jamais entendu parler. A priori, ce programme est des plus austères et fait plutôt fuir... A posteriori, l’expérience est particulièrement vivifiante...

Commençons par la question récurrente : Est-ce un film, est-ce du cinéma ? Réponse : Oui. 144 fois oui. Pour chaque prise de vue, Gérard Courant s’impose une fixité du cadre. Le choix de l’endroit où il pose sa caméra pour filmer la voie est donc, déjà, primordial. Ensuite, cette fixité renforce la conscience des limites physiques de l’image et, par extension, du hors-champ. Celui-ci à tout autant d’importance que le champ, que ce soit sur le plan visuel (les entrées et les sorties) ou, surtout, sonore (tous les bruits dont on ne voit pas l’origine, les bribes de conversation de passants invisibles, les pleurs ou les cris d’enfants...).

La durée de chaque vue est la même. Enfin... sensiblement la même, car il m’a semblé qu’elle pouvait varier de quelques secondes. En effet, Courant choisit avec précautions l’endroit de ses coupes, dans le but de créer une véritable dynamique à partir du réel qu’il enregistre. Ce réel est en fait tiré vers des formes de micro-récits et, compte tenu de la courte durée de chaque plan, c’est bien le soin apporté à leur ouverture et leur clôture qui donne ce sentiment. Ainsi, le film est fait de 144 scènes. Un ballet automobile, un coup de klaxon, un salut adressé au caméraman, la trajectoire d’un piéton, l’apparition d’un chat, le reflet d’une vitre, l’attente d’une vieille dame : ces petits riens font l’événement et suffisent. Notre œil et notre oreille s’exercent. Nous sommes en état d’alerte toutes les vingt secondes, à l’affût de quelque chose (et parfois, nous est octroyée, simplement, une pause). Assurément, tout est affaire de regard. Le nôtre, aiguillé par celui du cinéaste. À travers l’univers, malgré la rigueur de son dispositif, n’a vraiment rien à voir avec de la vidéo-surveillance.

Il serait toutefois abusif de vous promettre du rire, de l’action et de l’émotion. Quoi que… L’humour est bien présent. On s’amuse bien sûr en voyant la plaque de la Rue de la Liberté complétée à la bombe par un cinglant "de mon cul", mais également en découvrant qu’un bruit pétaradant de scooter annonce l’arrivée dans le cadre... d’un cycliste. Tel déplacement, telle attitude, peuvent de même prêter à sourire. L’action, elle, est assurée grâce à la position particulière que choisit parfois le cinéaste : en bout de rue, probablement sur un trottoir faisant face à un stop. Dans le cadre, les voitures avancent donc vers nous et la question de savoir si elles vont vraiment tourner au dernier moment se pose… Quant à l’émotion, elle jaillit au générique de fin lorsque Barbara entonne Mon enfance sur des photos de Saint-Marcellin. La chanteuse y a en effet passé une partie de la guerre, réfugiée avec sa famille juive.

Dans les choix du cinéaste, un autre me paraît très important : la succession des rues à l’écran dans l’ordre alphabétique. À l’inverse d’une approche par quartier par exemple, ce déroulement assure un panachage qui ménage les surprises. D'une rue à l'autre, tout peut changer. Les violents contrastes visuels et sonores sont réguliers car nous passons sans transition d'une artère de grande circulation automobile à une rue au calme résidentiel ou à une route menant vers la campagne où chantent les oiseaux.

À nouveau voici un film sous-tendu par l'idée de conservation, de la fixation d'un présent qui pourrait éclairer un futur. À travers l'univers est un travail pour demain. Mais vu aujourd'hui, c'est avant tout un film contemporain qui, malgré la modestie de sa forme, nous fait partager de la manière la plus juste qui soit l'expérience de la vie dans nos villes françaises.

(Édouard Sivière, Le Blog Nightswimming, 16 décembre 2011)



UNE EXPÉRIENCE TOUT À FAIT FASCINANTE

J'ai été comme toi très sensible à l'expérience "frères Lumière" d'À travers l'univers qui s'avère, au bout du compte, totalement fascinante parce qu'elle nous oblige à une perception différente (on fait attention à tous les détails du plan). Sais-tu que Gérard Courant est en train de réaliser le même projet mais avec la ville de... Lyon ! Le film risque d'être un poil plus long).

(Dr Orlof, Le Blog Nightswimming, 16 décembre 2011)



UNE DURÉE IDÉALE

À travers l'univers exerce, comme tu le dis, une certaine fascination. Pour le projet lyonnais, je ne savais pas... L'effet ne doit pas être le même selon les villes. Apparemment, d'autres films de la série ont pour cadre un seul quartier de ville. Les contrastes dont je parle dans mon texte sont alors moins marqués sans doute... Et puis, il y a la durée du film et la durée de chaque vue. Dans le cas d'À travers l'univers, il me semble qu'elles sont idéales. Les plans durent assez longtemps pour qu'il advienne quelque chose et s'arrêtent avant d'ennuyer. A ce sujet, il y a des propos très intéressants à lire sur le site de G.C. à la page du film.

(Édouard Sivière, Le Blog Nightswimming, 16 décembre 2011)



ESPÈCES D'ESPACES

À Travers l’Univers é um capítulo de uma das muitas séries de filmes de Gérard Courant, Mes Lieux d’Habitation. Neste caso, a aldeia de Saint-Marcellin, onde ele viveu a infância, entre a idade de um ano e a de nove. O genérico define o filme como um cine-poema (o realizador não o considera um documentário) e como um Estudo para um inventário filmado, podendo-se entender a palavra estudo no sentido em que é usada nas artes plásticas (preparativos para um trabalho mais vasto, apontamentos visuais), mas também no de trabalho de terreno, de minuciosa descrição. O genérico também menciona uma “bibliografia essencial”, com quatro títulos, entre os quais o célebre ensaio Espèces d’Espaces de Georges Pérec, um livro sobre a noção de espaço físico. Como sempre no trabalho de Gérard Courant, o dispositivo formal é rígido e, paradoxalmente, é desta rigidez (Courant não infringe jamais as regras que se impôs) que nascem diversas maneiras de ver o filme e ver o que há neste e por detrás deste. Courant adota a lógica do inventário, do catálogo, da enumeração, que, em literatura pode parecer deliberadamente absurda (ou melhor, de uma lógica absurda), como em Lewis Carrol ou como naquele trecho da História Universal da Infâmia, de Borges, intitulado “A Arte da Ciência”: “… Naquele império, a Arte da Cartografia foi levada a uma tal Perfeição que o Mapa de uma só Província ocupava uma cidade inteira e o Mapa do Império ocupava uma Província inteira. Com o passar do tempo, estes Mapas Desmesurados deixaram de dar satisfação e os Colégios de Cartógrafos ergueram um Mapa do Império, que coincidia com ele, ponto por ponto” (o breve texto conclui com a informação que “em todo o país já não há rasto algum das Disciplinas Geográficas”). Embora Courant não cite Borges na bibliografia do filme, desenrola o espaço de Saint-Marcellin de modo contínuo e ao mesmo tempo descontínuo: contínuo porque nunca saímos do espaço da aldeia e porque avançamos em ordem alfabética, descontínuo porque os segmentos são estanques e a geografia desta espécie de espaço é quebrada. O filme não lança nenhum olhar de cariz sociológico, capta um espaço, vazio ou percorrido por pessoas, animais ou veículos. É, radicalmente um filme sobre o espaço, situado num espaço preciso. A sóbria sucessão de uma placa com um nome e da rua ou praça e a rua ou praça que esta placa designa faz-nos passar da palavra à coisa, do nome ao que este nome designa. É interessante notar a enorme variedade das placas com nomes de logradouros em Saint-Marcellin: grafismo, dimensões, informações. Na opinião do realizador, estas placas já poderiam justificar um estudo. Alguns nomes são banais, outros belos e originais (rua da Subida do Calvário). Alguns contam a historia daquele espaço (rua do Antigo Arrabalde), outras evocam antigos habitantes, nomes de interesse local ou cuja lembrança já foi sepultada pelo tempo, outras ainda as camadas da História (guerras de religião do século XVI, período napoleónico, Segunda Guerra Mundial, Guerra da Argélia). O título do filme também dá uma das chaves para a sua percepção (como deveria ser o caso em qualquer filme), com o contraste aparentemente violento entre um percurso através do universo e um lugar de cinco mil habitantes: aquele espaço faz parte do vasto universo e é em si mesmo um universo. No epílogo (ausente das cópias disponíveis no youtube, por questões de direitos de autor), Gérard Courant sublinha que este pequeno espaço foi o universo onde ele viveu até os nove anos de idade, com tudo o que isto em de pessoal e intransferível, evocando esta experiência pessoal através de fotografias do período da sua infância (autênticas, simuladas? – que cada espectador decida), ao som de uma bela canção de Barbara, Mon Enfance: “Cometi um erro, voltei / a esta cidade perdida ao longe / onde tinha passado a minha infância (…) e encontrei como antes / muito tempo depois / a colina e a árvore que se erguiam / como no passado”. Mas a escolha desta canção não tem apenas a função de fazer deslizar o filme do catálogo “neutro” à evocação/invocação do passado pessoal do realizador, fazendo-o através de uma homenagem a um dos grandes nomes da chanson française, cujas canções tinham sempre textos de alta qualidade. Como indica uma das placas que vemos no filme, a família de Barbara refugiu-se ali, na espécie de espaço de Saint-Marcellin durante a Segunda Guerra Mundial, para escapar ao genocídio. Naquele espaço, como em todos os espaços, passam-se coisas e não há espaço que não esteja cheio de memórias, coletivas ou pessoais. Um trabalho como À Travers l’Univers, com a sua aparente e enganosa neutralidade tem muitos sentidos sepultos por debaixo das suas aparências.

(Antonio Rodrigues, Cinemateca Portuguesa, 22 de Junho de 2017)



UN FILM SUR L'ESPACE

À Travers l’Univers est un des chapitres d’une des nombreuses séries de films de Gérard Courant, Mes Lieux d’Habitation. Il s’agit ici du village de Saint-Marcellin, où il a vécu entre l’âge d’un an et celui de neuf ans. Le générique définit le film comme un ciné-poème (le réalisateur ne le considère pas comme un documentaire) et comme une Étude pour un inventaire filmé. On peut comprendre le mot étude dans le sens où il est utilisé dans les arts plastiques (préparatifs pour un travail plus vaste, esquisses visuelles), mais aussi dans celui de travail de terrain, de description minutieuse. Le générique mentionne aussi une «bibliographie essentielle», qui comporte quatre titres, dont Espèces d’Espaces de Georges Pérec, un livre sur la notion d’espace physique. Comme toujours chez Gérard Courant, le dispositif formel est strict et c’est paradoxalement de cette rigidité (Courant n’enfreint jamais les règles qu’il s’impose) que naissent diverses manières de voir le film, de voir ce qui y est et ce qui se trouve derrière lui. Courant adopte la logique de l’inventaire, du catalogue, de l’énumération, qui en littérature peut sembler délibéremment absurde (ou plutôt d’une logique absurde), comme chez Lewis Carrol ou comme dans ce passage de L’Histoire Universelle de l’Infamie de Borges intitulé «L’Art de la Science» : «...Dans cet Empire, l’art de la cartographie a atteint une telle Perfection que la Carte d’une seule Province occupait une ville entière et la Carte de l’Empire occupait toute une Province. Avec le passage du temps, ces Cartes Démésurées ont cessé de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes ont bâti une Carte de l’Empire qui coïncidait point par point avec celui-ci» (le bref texte se termine par l’information suivante : «dans tout le pays, il n’y a plus aucune trace des Disciplines Cartographiques»). Bien que Courant ne cite pas Borges dans la bibliographie du film, À Travers l’Univers a des analogies avec ce que l’écrivain argentin décrit dans ces lignes. Mais il rappelle aussi la lecture continue d’un dictionnaire ou d’une encyclopédie, une expérience très enrichissante, comme le savent tous ceux qui l’ont essayée. Le projet de Courant a consisté à filmer toutes les cent vingt-sept rues et les dix-sept places de Saint-Marcellin, de manière identique aux vues faites par les opérateurs Lumière en divers pays du monde : un plan général fixe, souvent cadré de manière oblique, avec la brève durée de vingt-cinq secondes (un peu moins de la moitié d’une vue Lumière, qui dure quarante secondes). Les vues des Lumière sont dûment identifiées par un intertitre, celles de Courant à Saint-Marcellin le sont par la plaque qui identifie le lieu. Dans une première distorsion de la réalité, Courant a décidé de filmer et de montrer les lieux en ordre alphabétique, ce qui modifie complètement la géographie de Saint-Marcellin et dans ce sens le film a quelque chose d’un catalogue absurde, dans la mesure où une logique poussé à l’extrême ne peut exister qu’à l’intérieur de sa propre logique. À Travers l’Univers déroule l’espace de Saint-Marcellin à la fois de manière continue et discontinue : continue, parce que nous ne quittons jamais les limites du village et parce que nous avançons en ordre alphabétique; discontinue parce que les segments sont séparés et la géographie de cette espèce d’espace est brisée. Le film n’a à aucun moment un regard de type sociologique, il capte un espace, vide ou parcouru par des personnes, des animaux ou des véhicules. Il s’agit, radicalement, d’un film sur l’espace, situé dans un lieu précis. La sobre succession d’une plaque avec le nom d’une rue ou d’une place et de l’image de la rue ou de la place que cette plaque désigne, nous fait passer du mot à la chose, du nom à ce que le nom désigne. Il est intéressant de remarquer l’énorme variété des plaques avec les noms de voies publiques à Saint-Marcellin: graphisme, dimensions, informations qu’elles contiennent. Certains noms sont banals, d’autres sont beaux et originaux (rue de la Montée du Calvaire). Certains noms racontent l’histoire d’un espace (rue de l’Ancien Faubourg), d’autres évoquent d’anciens habitants, des noms d’intérêt local ou dont la mémoire a déjà été ensevelie par le temps ; d’autres encore évoquent les couches de l’Histoire (les Guerres de Religion, la période napoléonienne, la Deuxième Guerre Mondiale, la Guerre d’Algérie). Le titre du film nous donne aussi une des clés pour sa perception (comme il devrait être le cas pour tous les films), avec le contraste apparemment violent entre un parcours à travers l’univers et un lieu de cinq mille habitants: cet espace fait partie du vaste univers, il est lui-même un univers. Dans l’épilogue (absent des copies disponibles sur youtube pour des questions de droits d’auteur), Gérard Courant souligne que ce petit espace est celui où il a vécu jusqu’à l'âge de neuf ans, avec tout ce que cela comporte comme une expérience absolument personnelle et il évoque cette expérience personnelle par des photographies de son enfance (authentiques, simulées? – que chaque spectateur décide), au son d’une belle chanson de Barbara, Mon Enfance: «J'ai eu tort, je suis revenue / Dans cette ville, au loin, perdue / Où j'avais passé mon enfance / J'ai eu tort, j'ai voulu revoir / Le côteau où glisse le soir / Bleu et gris, ombre de silence / Et j'ai retrouvé, comme avant / Longtemps après / Le côteau, l'arbre se dressant / Comme au passé». Mais le choix de cette chanson n’a pas seulement la fonction de faire glisser le film d’un catalogue «neutre» vers l’évocation/invocation du passé personnel du réalisateur, à travers un hommage à des grands noms de la chanson française, dont les paroles étaient toujours de grande qualité. Comme il indiqué dans une des plaques que nous voyons dans le film, la famille de Barbara s’est réfugiée dans ce lieu, dans l’espèce d’espace de Saint-Marcellin pendant la deuxième Guerre Mondiale, pour échapper au génocide. Il se passe et il se sont passées des choses dans cet espace, comme dans tous les espaces et il n’y a pas d’espace qui ne soit pas rempli de souvenirs, collectifs ou personnels. Un travail comme À Travers l’Univers, avec sa neutralité apparente et trompeuse, a de nombreux sens ensevelis sous ses apparences.

(Antonio Rodrigues, Cinemateca Portuguesa, 22 juin 2017)





 


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