WERNER SCHROETER.

Cinéma 80, n° 261, septembre 1980.

C’est d’emblée bien au-delà de toute nouveauté que Eika Katappa, La Mort de Maria Malibran, Willow Springs, Flocons d’or et Regno di Napoli déroulent leurs vagues. Il y est question pour le cinéma et pour l’homme d’une liberté (et d’une vérité) tour à tour inapprochable, possible, troublante, effrayante. Il perce, de l’expression de cette inaccessible liberté par une liberté de création et de vie, un supplice, un vertige, une émotion comme le cinéma est avare d’en distiller.

Pour retrouver pareille symbiose de l’extérieur et de l’intérieur, de la réalité et du rêve, du bonheur et de la souffrance, de l’amour et de la mort, il faut remonter à La Passion de Jeanne d’Arc dont Carl Dreyer disait qu’il « y a certaines possibilités plus grandes, qui subsistent au coeur du film, et qui peuvent avoir une voie. D’autres réalisateurs pourraient reprendre, poursuivre le chemin, et faire mieux que moi, dans ce style de gros plans et de jeu très intime ».

Leçon retenue par Werner Schroeter quand, dans lapremière partie de Malibran, il exhibe des gros plans de visages figés où la lente descente d’une larme, le léger mouvement d’un cil, une brusque mimique s’appesantissent dans l’éternité. « La mimique rend au visage son âme. Elle est plus importante que la parole. Nous pouvons souvent tout lire du caractère d’un homme à travers une de ses expressions, à travers un froncement de sourcils ou un clignement d’yeux » (Dreyer, encore).

Comme les films de Dreyer, ceux de Schroeter créent une beauté nouvelle auprès de laquelle toutes les autres pâlissent. Et cette beauté qui naît dans l’ordure et le chaos de la société post-industrielle demande que nous modifiions nos mesures et nos marques pour elle. La Mort de Maria Malibran, Willow Springs, et déjà Palermo oder Wolfsburg, sont qualifiés de spectacle scintillant, alors que d’un coup, à leur vue, le cinéma se débranche vers des connections jusque là inexistantes, face auxquelles la critique ne peut que ramper et se dissoudre dans le silence.

Gérard Courant.

 


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