RUDE BOY de JACK HAZAN et DAVID MINGAY.

Cinéma 81, n° 268, avril 1981.

Rude Boy, c’est un film tranchant comme la voix de Joe Strummer, le chanteur des Clash à qui le film a été conçu à la mesure de leur talent et de leur hargne. Groupe anglais de rock issu de la vague punk de 1977, les Clash balayent tout par leur musique et leurs textes dont la violence, épongée par une poésie chaleureuse et contestataire, est une réponse à la violence répressive de la police britannique contre les exclus, contre ceux qui ne courbent pas la tête devant la Loi. Résultat immédiat : les Clash promènent leurs baskets entre les concerts, dont le film restitue brillamment l’atmosphère hystérisante, et quelques commissariats de police où on s’intéresse beaucoup à ce groupe gênant pour les bons bourgeois de Sa majesté.

Rude boy, c’est le zonard des villes, le marginal, celui que le bourgeois déteste et répugne. Le rude boy le lui rend bien !

Le rude boy, dans le film, c’est Ray Gange – sidérant, émouvant de vérité – un jeune type errant entre le sex-shop où il gagne sa vie et les concerts des Clash pour lesquels il se fera engager comme roadie avant de se retrouver libre, entièrement libre, seul, quand les deux cinéastes annoncent le mot fin.

Rude Boy, le film, c’est du solide, du mastoc, sans faille dans la panoplie d’une mise en scène costaud et qui dit franchement ce qu’il doit dire : les bourgeois sont des ordures, il est difficile de vivre en Angleterre quand on ne se partage pas les idéaux capitalistes et conservateurs de la majorité, on devient rude boy par contrainte et non par plaisir, il est délicat d’être jeune quand les vieux tirent trop fort sur les ficelles de la vie en société, le fric gère les relations entre les individus, n’importe comment, être rude boy est la seule solution dans ce pays de merde. À vrai dire, cette rapide énumération pourrait témoigner d’une réelle naïveté si ces affirmations étaient lancées à la sauvette dans les salons proprets et mondains de l’intelligentsia de gauche.

Rude Boy est un film de rue (comme on dit « une fille de rue »), un film qui doit payer sa part à toute une tradition du cinéma documentaire britannique. Les deux réalisateurs, David Mingay et Jack Hazan, ont filmé le National Front, le Socialist Worker Party qui donne droit à une bagarre avec ces messieurs de la police britannique et une séquence sur le Jubilee de la Reine en 1977. Je passe les concerts, tout aussi enflammés les uns que les autres et on peut imaginer que certaines séquences ont dû coûter beaucoup d’énergie, de frayeur et de peur aux cinéastes et aux opérateurs.

En imposant que chacun des personnages de ce drame social joue le rôle qu’il interprète chaque jour dans la réalité de la vie, les deux cinéastes atteignent un degré de vérité existentielle inouïe qui donne au cinéma pas seulement le rôle de témoin d’une époque ou d’un mouvement mais le pouvoir d’une parole écoutée par des milliers de fans. Cette parole crachant des cris arrachés de leurs entrailles en ébullition sont autant de perforations dans le tympan de ceux dont la surdité est une vocation.

Pendant que le rude boy s’enfonce dans la rue de son désespoir, les Clash peuvent passer sereinement à la caisse de C.B.S. Si la désolation ne paie pas, le succès et le talent sont royalement rémunérés. Dans l’affaire, les Clash n’ont pas perdu leur temps. Et les rude boys ? Ils ne leur restent que leurs yeux pour pleurer (c’est pas leur genre) et leurs mains pour applaudir.

Gérard Courant.

 


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