CANNES PARALLÈLE.

Les Soleils d’Infernalia, n° 10, décembre 1976.

Cannes, ça pue.

Cannes, c’est un formidable bordel où les maquereaux ont pour noms : producteurs, distributeurs, vendeurs...

Cannes, c’est encore et toujours les starlettes qui montrent leur cul sur la Croisette.

Cannes, c’est les Ricains qui viennent craquer leurs dollars, because le change est avantageux.

Cannes, c’est les petits gauchos merdeux et pouilleux qui viennent s’exposer au Blue Bar pour arracher et s’accaparer une parcelle de gloire.

Cannes, ça prolifère : c’est plein de petits festivals autour du grand.

Cannes, c’est, par erreur, des projections lumineuses : les films de Werner Schroeter, Steve Dwoskin, Jacques Robiolles, Philippe Garrel, Jean-Pierre Lefèbvre, Marguerite Duras, Jean-Luc Godard ... mais c’est pas de la faute du triste Bessy.

Cannes, quelques fois, ça vibre. Cette année, une sorte d’anti-festival est sorti de terre, sur les hauteurs du Suchet. Un festival très marginal comparé à tous les nouveaux festivals qui se greffent, régulièrement, depuis une dizaine d’années autour du festival officiel. Cette marge cinématographique a un nom : « Cinéma Off » et programmait, en 16mm, trois séances de projection par jour, deux à midi, une à minuit. Ça allait du cinéma militant (Serge Poljinsky, Jean-Michel Carré) à un cinéma politique qui essaie de se faire politiquement (Jacques Richard, Patrice Énard) en passant par l’underground belge (Roland Lethem), français (Yvan Lagrange, Luc Moullet) jusqu’à la pire merde néo-naturalo-mélo (Jean-Luc Miesch).

Bien sûr, ce mélange des genres ne fut pas toujours facile à accommoder dans la programmation et ça sera sans doute l’un des problèmes essentiels à résoudre pour l’année prochaine.En effet, Bruno Degrandcourt et Jean-Louis Favier, les deux initiateurs et organisateurs, ont la ferme intention de continuer cette expérience. Mais, peut-être, faudrait-il, qu’ils n’aient pas peur d’une quelconque provocation à l’égard de leur soi-disant ennemi : le festival officiel. Une anecdote me vient en mémoire : lors d’une émission de radio, un jeune cinéaste qui présentait un film à Ciné-Off lança une attaque généralisée contre la profession cinématographique. Ces propos déplurent aux deux organisateurs qui tenaient à rester en termes cordiaux avec l’establishment cannois. Dans l’avenir, ils devront définir clairement leurs positions vis-à-vis du festival officiel et ne pas hésiter à s’opposer à son marketing cinématographique outrancier.

Cannes, c’est l’impérialisme politique et esthétique. Il domine tout et ce n’est pas facile d’émerger pour lutter contre ce déferlement d’images et de fric. La question doit être posée : ne serait-ce pas plus utile de boycotter Cannes ? Y être présent, c’est apporter sa caution et son soutien à l’impérialisme cinématographique. Jean-Luc Godard, mais aussi Marguerite Duras, Peter Watkins et d’autres ne sont pas venus à la foire aux images et sans doute leurs raisons sont politiquement réfléchies. Par contre, fâcheuse contradiction !, leurs films y étaient présentés.

Revenons à ce festival anti-Cannes. On avait la possibilité d’assister à la projection de films rares et de les voir dans des conditions convenables où toute bousculade était évitée. L’innovation principale résidait dans le lieu de projection. Il était excentré par rapport au Palais du festival et ses salles satellites et les films étaient projetés en un lieu inédit, dans un quartier populaire, près de Notre-Dame du Suquet. Les professionnels se sont bien sûr, signalés par leur absence. Où étaient-ils, tous ces critiques-attachés de presse-producteurs-distributeurs ? Au Temple-Palais du festival et aux Grandes Bouffes-cocktails comme de bien entendu. À leur décharge, il faut dire qu’il y avait quelques centaines de marches à escalader avant d’atteindre la Maison du Cinéma, le haut lieu des projections. La sélection naturelle, quoi.

Émissions de radio, annonces chaque jour des séances dans Le Film français, Degrandcourt et Favier ont montré leurs qualités d’organisateurs et ont permis à des gens talentueux comme Jacques Robiolles ou Luc Moullet de pouvoir s’exprimer sur les ondes nationales.

Ils ont d’autres projets, notamment la création d’une coopérative parallèle de distribution de films. À suivre et bonne chance à eux.

Grâce à Ciné-Off, on respirait un peu mieux l’air vicié de Cannes !

Gérard Courant.

 


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