FESTIVAL DE SAINT-RÉMY-DE-PROVENCE.

La Petite quinzaine, n° 29, 19 avril 1978.

Au Rex, dans un vieux cinéma comme il n’en existe plus beaucoup dans la France d’aujourd’hui, avec son plafond qui flirte avec les étoiles et un petit goût de moisi qui n’est pas pour me déplaire, s’est tenu à Pâques, les 24, 25 et 26 mars, un long week-end de cinéma différent. Au menu – très consistant – quelques films mythiques nous ont fait rêver d’un nouveau cinéma et ont permis à plus d’un provincial frustré de films undergrounds de découvrir des films rares et invisibles dans la région. Le public de Saint-Rémy et des environs a accouru. Des discussions, souvent passionnées, ont eu lieu, surtout après Inauguration of the Pleasure Dome de Kenneth Anger et après Times for de Steve Dwoskin, propices, il est vrai, à de tels exercices oratoires. Tenaces, les spectateurs furent, en général, très assidus aux séances, exception faite pour My Hustler d’Andy Warhol dont la projection, programmée à minuit, s’est terminée très tard. Les minutes passent, la salle s’effiloche. Une bonne moitié de l’assistance, très calme, résiste, et à deux heures du matin, fière, quitte le Rex, satisfaite d’avoir participé jusqu’au bout à cette expérience cinématographique. Andy Warhol, c’est aussi Kiss et Mario Banana, avec Mario suçant amoureusement sa banane dans une salle en rires.

Jacques Robiolles est venu à Saint-Rémy présenter son Jardin des Hespérides. C’est un film à la gloire du cinéma, c’est un film pour le cinéma. Chez Robiolles il y a un plaisir fou de filmer et Marie-France a beau jouer les Marilyn, on n’y croit plus : le cinéma de papa, c’est fini. Les Cahiers du cinéma brûlent, se consument : c’est la naissance d’un nouveau cinéma sur les cendres de l’ancien car Robiolles n’oublie jamais que son père spirituel, c’est l’âme de la Cinémathèque, c’est Henri Langlois.

Voici Scorpio Rising de Kenneth Anger, autre cinéaste chéri d’Henri Langlois. À l’orchestre, quelques punks, ivres, ne tiennent plus : ils balancent quelques cannettes de bière sur les premiers rangs. Personne n’est atteint. Bilan : seulement un peu de bruit. C’est tout. Pendant qu’elles continuent à vomir leurs décibels, les motos d’Anger, théâtralisées, ritualisées, érotisées, deviennent des objets de culte.

C’est alors que surgit l’underground frenchie avec Les Intrigues de Sylvia Couski du cinéaste espagnol le plus parisien, que dis-je ?, le plus Saint-Germinois-des-Prés, Adolfo Arrieta. Dans des images sombres et tendres, un Paris inconnu s’ouvre à la caméra guillerette, ethnographique d’Arrieta : le monde des travestis. Leurs « petites » histoires nous émeuvent. Marie-France (encore elle !) joue aux stars et c’est très touchant. Dans cette vie au jour le jour, on comprend mieux grâce à ces Intrigues, les joies et les plaisirs les flips et les angoisses, les bons et les mauvais moments de ces anges de la nuit.

Rabbit’s moon, de Kenneth Anger, réalisé en 1952, surprend par sa modernité. Il y a une sensualité très forte de la voix, de la musique, du corps, il y a des visages aux maquillages épais, des acteurs dont les poses peuvent faire songer au Cocteau du Sang d’un poète. Et tout ça est enveloppé dans une chorégraphie pleine de saveur jusqu’à la chute finale de Pierrot s’écrasant sur le sol comme un pantin. Il y a, disais-je, comme l’arrivée d’un cinéma qui annonce celui de Werner Schroeter et même, plus près de nous, celui de Teo Hernández.

Quant à Steve Dwoskin, sa caméra dévore tous les êtres qui se trouvent dans son champ filmique. Dans Times for, elle ausculte les corps, les rend à la fois désirables et vrais. Rien n’est caché, toutes les aspérités du visage sont détaillées... La caméra déchiffre chaque centimètre carré... C’est provocant, c’est violent, c’est Dwoskin...

Il y a le cinéma qui se regarde, le cinéma qui s’auto-analyse : c’est L’Automne de Marcel Hanoun avec un Michaël Lonsdale qui n’arrête pas de regarder le spectateur pardon, la table de montage. Ah oui, que le montage est splendide, il est d’une subtilité rare, il est la marque des maîtres (on pense irrésistiblement à Dziga Vertov). Ce cinéma qui est en train de se faire, c’est également Le Film est déjà commencé ? de Maurice Lemaître. À Saint-Rémy, le film n’a pas déclenché les réactions du public, espérées et suggérées par la bande sonore.

Ce week-end est passé très vite. Tout le monde s’est quitté en se disant à la prochaine fois. La prochaine fois, ça sera sans doute bientôt car à Saint-Rémy on a envie de recommencer, cette fois-ci, avec Philippe Garrel, Jonas Mekas, Werner Schroeter, Patrick Bokanowsky, etc.

À bientôt.

Gérard Courant.

 


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