TRILOGIE.

Alain Paucard, Programme de l’intégrale Cinématon, Cinématon : 10 ans/1000 portraits Gérard Courant, Centre Georges Pompidou, 2 au 13 mars 1988.

Jean–Honoré Fragonard (1732–1806) peint, vraisemblablement en 1769, l’année de son mariage, des toiles au format rigoureusement identique (80 cm de haut sur 65 cm de large), représentant des personnages à mi–corps, le plan moyen du cinéma si l’on veut, et désignés commodément sous le terme de Figures de fantaisie. Des quinze portraits recensés aujourd’hui — il y en eut sans doute bien plus — seuls cinq peuvent être attribués sans équivoque à des personnalités de l’époque. Outre Saint–Nom et La Bretèche, prémonitoirement réunis, on identifie aujourd’hui formellement, l’astronome Lalande, La Guimard et Denis Diderot. Au derrière de deux des toiles, il est précisé qu’elles furent peintes « en une heure de temps ».
Pas d’autoportrait.
À l’évidence, plus de cent cinquante ans avant l’invention du cinématographe, Fragonard possédait déjà l’obsession du cadre et du plan–séquence.
Sacha Guitry (1885–1957) réalise en 1914 et 1915, une série de portraits cinématographiques, avec une caméra d’amateur, destinée à prouver la valeur de la culture française, au moment où la Nation se bat contre l’Allemagne. Cette série, intitulée Ceux de chez nous sera ultérieurement sonorisé pour le cinéma (1939) et la télévision (1952 avec ajouts d’images) et sa durée passera de 22 à 44 minutes.
Dans Ceux de chez nous, Guitry filme des personnalités de l’époque, essentiellement des amis de son père, la plupart du temps en plan fixe, mais dans des cadrages différents, avec ou sans la complicité du filmé. L’avocat mime une plaidoirie, les comédiens déclament dans le vide, mais le peintre, surpris, menace de sa canne le paltoquet qui ose le filmer. Les spectateurs de la première, qui a eu lieu le 22 novembre 1915 aux Variétés, découvrent un patrimoine mobile, de chair : Sarah Bernhardt, Anatole France, Edgar Degas, Auguste Rodin, Camille Saint–Saëns, Auguste Renoir, Henri Robert, Edmond Rostand, André Antoine, Claude Monet, Octave Mirbeau et Lucien Guitry.
Pas d’autoportrait.
À l’évidence, Guitry possédait l’obsession de la fugacité du temps et le sens du témoignage anthologique.
Gérard Courant (1951– ) réalise, à partir de 1978, Cinématon, série de portraits filmés de format super 8 mm, en couleurs, montrant en 3 minutes 25 secondes, une personnalité des arts et du spectacle, présente ou à venir, en un seul plan gros fixe et muet.
La liste des 1000 premiers « cinématonés » se trouve dans le programme. Elle est appelée à se développer.
Un autoportrait.
À l’évidence, Courant possède l’obsession du cadre, du plan–séquence, de la fugacité du temps et le sens du témoignage anthologique. Le Cinématon est la forme enfin trouvée du portrait à l’ère démocratique. Ce qui avait été une prémonition, une sensation, chez Fragonard et Guitry est devenu proprement sensationnel chez Courant. Avec le Cinématon, le portrait vient d’effectuer un saut qualitatif. Le paradoxe, c’est s’accomplit dans la quantité. Le Cinématon est hautement dialectique.

 


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