DIARRHÉES, NOTES ET QUETSCHES d’ÉMILE VON LASAGNA.

Catalogue Coopérative des Cinéastes, juillet 1977.

L’underground vieillit. Les piliers sont pillés, les pionniers parodiés. Tel ce Diarrhées, notes et quetsches d’un dénommé Émile von Lasagna qui s’en prend à l’un des plus solides représentants de l’Underground américain des années soixante : Jonas Mekas et ses Diaries, notes and sketches. Ici, sur l’écran, ne nous demandez pas de reconnaître un Brakhage, un Markopoulos ou un Warhol, ce serait peine perdue. Présents jusqu’à en être envahissants dans le journal filmé de Mekas, ils ont déserté celui de von Lasagna et pour cause. Le propos du cinéaste est autre. Le vaste projet de l’Américain et de son journal filmé – un historique subjectif du mouvement Underground américain dont il est l’un des principaux acteurs – à n’en pas douter est mis à l’écart dans le film de von Lasagna. Ce dernier n’a retenu du style de Mekas qu’une caméra branlante, des plans hyper courts et hyper rapides. Bien que les préoccupations formelles de Mekas sont ici minutieusement et copieusement copiées jusqu’à l’écoeurement (le côté technique de la caméra, ses dérèglements, sa folie), les Diarhrées n’atteignent ni la dimension épique de l’oeuvre originale, ni la rigueur des recherches sur l’image du journal filmé de son prédécesseur.

On aperçoit bien un court instant un cinéaste indépendant français reconnu par son travail inlassable sur l’image et le son (Jean-Pascal Aubergé) mais la référence avec toute métaphore historique sur le cinéma et les cinéastes undergrounds – que sont les Diaries de Mekas – semble n’être qu’un brouillage ultime pour cinéastes (très) marginaux et surtout (très) parisiens émigrés depuis peu dans nos campagnes.

Alors ! Pourquoi vouloir se reconnaître un maître ? Pourquoi ne pas chercher à défricher d’autres territoires, d’autres espaces cinématographiques inexplorés, ce que font si bien en France certains cinéastes (consultez le catalogue des différentes coopératives de diffusion) ?

Même si la technicité (fétichiste ?) farouche et rigoureuse de Mekas est dans ces Diarrhées qu’un ha(li)bit superficiel de cinéaste moqueur, n’est-ce pas rendre hommage à ce pionner de l’Underground que de tenter de violer son oeuvre ? Et ce von Lasagna ne nous dit-il pas : allez-y de vos parodies ? À qui le tour maintenant ?

Tout de même, quelque chose dans la rapidité des plans, la fascination visuelle qui s’en suit, le regard violent sur les choses (toiles, projecteur) et les lieux (chambre), quelque chose dans l’architecture même du film, fait qu’on a envie de crier cette phrase : « Cinéastes de tous les pays, violez vos maîtres ».

Gérard Courant.

 


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