COULEURS ET DÉCOMPOSITION.

Georges Londeix, février 1994.

ADITYA, première partie.

Gérard Courant vit au–dessus du bois de Vincennes dans un petit appartement avec une profusion de rayonnages et d’innombrables boîtes où sont rangées, avec ses autres films, les bientôt deux mille épisodes de Cinématon (les mille premiers avaient fait l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou du 2 au 13 mars 1988 qui, à raison de 3’ 25’’ chacun, durait 70 heures, et occupait le volume d’une camionnette).
La place est précieuse, chez Courant. Et la visite de cette caverne aux images (suspendue comme elle est au–dessus du bois) n’est pas sans péril. Étroit le couloir en chicane qui mène à la fenêtre. Un pas de trop et l’on met le pied dans les nuages, entre les cimes des hauts hêtres, dans la couleur.
La couleur : les infinis degrés des teintes des feuilles, depuis le blanc jusqu’au jaune, beaucoup de jaunes, jusqu’au rouge. Le vaste bain de couleur dont se drapent les arbres en hiver et qui cache, là–bas, les promeneurs du dimanche, vélos et jouets, sachets de plastique. Les branches en fin d’hiver sont encore bien garnies de feuilles passées, feuilles aussi mortes qu’elles peuvent l’être, c’est–à–dire pas tout à fait, un lièvre trouverait un peu de nourriture dans les nervures ou tout au moins à la base de la gaine. Les feuilles entretiennent cette vie minimale. Moins mortes, elles s’éteindraient. Elles flamboient, à ce régime économique, comme les murs d’une pinacothèque. Je pense au Jeu de Paume. Les couleurs de l’arrière–automne répondent aux gazouillis du printemps. L’été, au milieu, est aveugle, terne, pesamment vert, un vert que démantèle la lumière, avec des illusions de blanc et de noir, qui blessent l’oeil...
En décrivant le chez–soi de Courant (sur coussin d’air, coussin de rêve) ou, pour dire cela plus mal, sa demeure (une demeure, c’est fait pour qu’on y dure, et qu’on y meure), je m’aperçois que j’essaye de l’en dissocier. Ce qu’il fait, il le ferait n’importe où ailleurs. Des images me viennent, sans rapport avec Saint–Maurice en Val–de–Marne où nous sommes. Elles me transportent dans le décor suisse — forêt filmée d’une cabine de téléphérique — d’un de ses Travellings (1978–1992). Peut–être en cet instant Gérard Courant est–il en train de boucler ses valises, de ranger quelques centaines de cinématons transférés sur vidéo, pour aller les montrer à Moscou, où il est invité pour un long séjour. Il est en transit dans cet appartement sur bois (de Vincennes), il se comporte comme un propriétaire qui vivrait clandestinement dans sa propre maison. Peut–être n’y est–il plus, au moment où j’écris ceci. Il se peut qu’il ait déménagé. Les bulldozers attaquent la maison de six étages vue imprenable où je lui ai rendu visite récemment pour qu’il me montre Aditya. Or voilà que le cinéaste là–haut dans sa guette se confond avec ce film tourné, il y a quinze ans.
Car Aditya (début 1980, Super–8 mm, 1 heure 05) commence dans les décombres d’un quartier qu’on rénove. Une jeune femme y marche, on ne sait pas où elle va, ni elle–même sans doute, elle semble marcher à la recherche de sa propre raison.
Lorsqu’elle s’approche de la « rampe », de face, j’ai envie et je crains de rencontrer son regard, mais dix bonnes minutes passent avant que cela se produise, et le choc n’en est que plus grand, toutes sortes d’idées me traversent comme : « Elle savait que j’étais là, pendant tout ce temps, elle évitait de regarder de mon côté. » Et le décor derrière elle sur–le–champ se reconstitue, le surnommé « Fantôme de Louis Lumière » derrière moi me souffle : « rue du Chevaleret ».
Le souvenir, comme un zoom ou une fusée prodigieuse, me ramène dans cette même rue, années 50. Mieux que je ne vois, je sens. J’habite sous les toits, dans la belle grave de Mirabeau, à Auteuil, mais c’est ici que j’ai ma famille et mes hâvres, dans ces rues suintantes de la suie grasse de la gare proche, la gare d’Austerlitz d’où j’ai débarqué un matin descendant d’Auvergne. Ma tante Léonie est concierge d’une usine rue du Château–des–Rentiers et elle s’appelle vraiment Léonie. Elle est la femme de mon oncle Henri. Mon oncle Louis, cheminot, et ma tante Irma époussette d’immenses entrepôts de B.D. italiennes. J’ai des oncles, des tantes, des cousins rue Clisson, place Jeanne d’Arc, je viens chercher là tendresse et reconnaissance. Et même, dans cette courette rue Nationale, l’amour.
Un demi–siècle a passé. Les vieux immeubles culminant aux chambres du quatrième puis ... BLANC ... Les gratte–ciel. Un immense blanc dans l’histoire de mon regard sur le vieux Paris. Trente ans d’un été éternel. Je n’ai pas vu démolir ni reconstruire. Pas vu les décombres. Mais elles sont là, dès les premières images d’Aditya. Toute la vieille misère dénudée, étalée devant la caméra de Courant. Un évier qui servait de lavabo aussi et servit de bidet. Une sorte de fenêtre aveugle, niche avec cruche cassée et anciennes fleurs, et quand l’actrice s’affaisse et se glisse et se blottit au pied de ces restes, ils prennent l’aspect d’une chapelle d’église ou, mieux encore, d’un autel des ancêtres.
Arrêt sur image.

Entracte ovale.

Ma très grande envie de voir Aditya chez son auteur et en projection privée n’avait d’égale que mon envie de voir, à sept cent mètres de là, jouer le PUC, qui reçoit Angoulême. »... L’un n’excluant pas l’autre. Le match commence à trois heures. Projette–moi le premier quart d’heure d’Aditya. Le match ne nous attendra pas. Donc, un peu d’Aditya tout de suite, et le reste au retour ! » Je me délecte à l’avance de ce suspense. J’adore. Comme les pubs qui truffent les combats de boxe américains déroulés en différé sur quatre heures d’horloge ou, sans aller chercher si loin, comme l’entracte au théâtre. Aditya mûrira, durant le match. Pénétrera en moi par vagues. Un entracte actif, oui, oui, réservé à l’ACTION, ainsi que dans la tragédie classique. Je me remémorerai le début, j’imaginerai la suite. Je m’enflamme. « I want it this way ! » Pris et emporté par mes propres arguments, je me fais péremptoire. Gérard Courant arrête la projection au moment où son actrice fétiche s’accoude dans le coin intime d’un logis que de grosses pelletées de hasard ont retourné et exposé en plein vent.
Sur le chemin qui mène au stade vélodrome de la Cipale par les pelouses publiques peuplées de promeneurs vietnamiens, j’exhibe le Parisien — édition parisienne. Composition des équipes, numéros des dossards et un petit article, avec le classement de la « poule » (groupe). Le PUC est leader (1er) et Angoulême dernier (8e). Le PUC est d’ores et déjà qualifié et son adversaire éliminé. Il n’y aura donc pas de suspense, pas d’empoignade. L’important c’est la manière. On ne va pas voir qui gagne, mais comment le PUC gagne.
De même , Aditya déploie ce qu’il est, pur commentaire de sa propre forme. Je n’ai vu que le premier quart d’heure du film, mais je sais déjà qu’il ne s’y passera rien, rien de ce qu’on appelle communément une histoire (une histoire dont le prix s’ajusterait au coût du billet à la caisse). Le titre de la 1ère partie, « La barbarie », comme celui des suivantes : 2 — « La délivrance » ; 3 — « La raison » ; 4 — « Le voyage » ; 5 — « L’harmonie », résistent au déchiffrage.
Il est de notoriété publique que Gérard Courant est un mordu de vélo et se constitue un palmarès de cols gravis, parallèlement à ses séries filmées, ses « work in progress » (Cinématons — Portraits de groupes — CouplesTriosTravellings...). Mais on ne sait guère qu’il a élu domicile à deux pas d’un des vélodromes les plus glorieux du monde, où — je l’ai lu quelque part — des nostalgiques de l’ère de la piste viennent rouler en cachette, après la tombée de la nuit, quand le gardien et sa famille sont cloués devant la télévision. Je suis à peu près sûr que Gérard Courant fait partie de ce peloton fantomatique.
– Tu n’es pas le premier à me dire ça. Des amis pour me charrier racontent que j’ai entaillé le grillage, côté est, en face du temple bouddhique, pour passer mon vélo par–dessus. Et que je relève au retour les chiffres de mon compte–tours et du chrono, pour retenir combien de bornes j’ai faites sur la fameuse piste, et en combien de temps. »
Il ne confirme ni n’infirme, mais me raconte avec passion l’histoire de la Cipale. « C’est ici que Merckx a conclu ses cinq Tours de France victorieux... »
Ici que j’ai vu, pour ma part, Anquetil gagner sa dernière course, un omnium, le plus beau souvenir de sa carrière, un chant du cygne si l’on veut.
La piste désaffectée entoure un terrain de rugby prêté au PUC, en attendant la rénovation du stade Charléty. Ici, il y a trois semaines, j’ai vu Aurillac se faire écraser par le PUC dans une deuxième mi–temps de rêve (pour le PUC !) et il a fallu beaucoup de vin rouge et de Cantal de Salers maison Bonnet après le match pour consoler les supporters au foulard rouge. Ce même PUC s’est pourtant fait battre ensuite à Pantin par l’ASPTT — un derby au cours duquel il y a eu une bagarre générale (tout s’est tu dans les gradins et sur la pelouse une demi–minute pendant que s’échangeaient, dans un silence des années du Muet, des centaines de marrons et châtaignes, la plupart heureusement dans le vide). Et l’ASPTT, sur son terrain où elle venait de faire plier le PUC, a subi, un peu après, la loi d’Aurillac — énigme triangulaire que j’explique ainsi : tous les habituels supporters des « Postiers » avaient ce jour–là tourné casaque, tous redevenus cantalous pour quatre–vingt minutes...
Soleil immense. Nous avons pris deux places à la tribune côté Soleil — la moins chère, comme à la corrida. Courant m’annonce qu’il pleuvra avant la fin du match. Le PUC mène déjà 21 à 0. L’autre spectateur (nous sommes trois sur les gradins Sud) hurle à l’adresse des Saintongeais : « Défendez–vous ! », « Si vous vouliez pas jouer, fallait pas venir ! » Et Gérard Courant, véhément, incrédule : « T’as pas vu cet essai ? Tu l’as pas vu ! » Non, ni les précédents. Je n’ai pas vu le match commencer. Je regardais les nuages splendides de la pluie proche, le soleil se glisser dessous, réapparaître. « Fausse excuse ! Tu ne regardais rien du tout ! » C’est vrai. Ce premier quart d’heure a passé à la trappe, et aucun magnétoscope pour réparer ça.
Je pense : Aditya. L’actrice unique seule sur l’écran où nous l’avons laissée là–haut... Elle bouge peut–être et déserte l’image et se déserte et regarde les chaises inoccupées du regard même qu’elle a consenti à poser sur moi vers la dixième minute d’Aditya. Aditya n’est pas son nom. Elle ne porte aucun nom dans le film, qui est muet, sans un mot d’elle, ni quelqu’un d’autre, pas le moindre passant qui l’interpelle, elle n’est pas personnage, elle est tout simplement une actrice nommée Martine Elzingre. Une femme. Entre Monsieur Cinématon et moi. Venue prendre le thé. Nous apporter la grâce de sa présence, sa beauté dans notre conversation — sauf bien sûr quand nous parlons de rugby, les femmes ne comprennent pas la passion des hommes pour le ballon rond ou ovale gonflé ou pas ou le vélo, elles ont sans doute leur raison, raison forcément mystérieuse aux hommes et qu’elles ne se soucient pas d’arroser de paroles, inutile de les interroger, pourquoi vouloir faire tomber ce voile... Gérard lui aurait dit : « Nous descendons voir le match. Surtout garde bien la pose, on n’en a même pas pour deux heures. »
Et la diva délaissée nous rattrape à distance, me rattrape, m’arrache mentalement au spectacle en cours de création, ramène ma pensée dans la pièce vidéo là–haut. C’est sur moi qu’elle se venge. Car c’est moi qui ai entraîné son réalisateur ici au stade. Son réalisateur ! Il doit être prémuni contre ces effets spéciaux pervers, ces comme si, ces mettons que, tout le désordre que peut introduire dans l’esprit le paradoxe de la représentation. C’est un pro. Il doit connaître un peu Diderot, mieux Pirandello, beaucoup mieux encore Woody Allen.
Moi aussi. Je ne crois pas qu’une image puisse vivre. Pas d’une vie réelle. Pas ainsi. D’une façon plus insidieuse, oui. La modèle assise ou à genoux la tête dans le creux de son bras, entre les décombres, est la cause plus ou moins directe de l’absence que je viens d’avoir. Dans cette image fixe se cache le parce que du pourquoi moi le fou toqué de rugby j’ai pu voir marquer trois beaux essais sans les voir.
Ce trou, tout à coup... rue Nationale ou je ne sais plus. Une fosse immense immonde. Ou au contraire une colonne d’air... l’anéantissement de toute matière... le vide absolu.
D’atroces bouffées de bonheur. D’un bonheur loin loin loin inaccessible inachevé.
Réenfouir cela. Vite
Le reste du match, j’applaudis, je vibre, j’explique, nous tournons pour nous réchauffer, nous allons nous installer près de la ligne de but au–delà de laquelle les joueurs blancs du PUC vont venir de temps en temps, et chaque fois de manière inédite, déposer le ballon ovale, et ainsi marquer « un essai » – en rugby les plus grands exploits se parent de ce nom modeste. Essai. Comme un ouvrage de philo ou de critique littéraire. Une antenne problématique dans l’avenir. (Aux temps préhistoriques du rugby, l’essai ne rapportait rien du tout, pas le moindre point, si on ne parvenait pas, ensuite, à le « transformer », par un coup de pied très facile, comme un penalty au foot devant une cage sans gardien de but — mais on peut toujours rater, il faut de la trempe pour réussir l’immanquable !)
Le préposé à l’affichage jongle avec des plaques de tôle, qu’il confond parfois. Gérard Courant cultive en marge du cinéma l’idolâtrie des chiffes.
– Déjà dix–huit points pour Aucagne, tu te rends compte ! Je parie qu’il arrive à vingt–cinq ! Quand je pense que c’est le premier match que je vois ici, alors que j’habite à deux pas ! Je vois les matchs du Tournoi chez Paucard. Junior, il a joué au PUC. Quand je lui dirai que je suis venu voir le PUC !
J’attire son attention dans la direction du banc de touche, où s’agite le nouvel entraîneur du PUC, le célèbre Daniel Herrero. « Pas difficile qu’ils gagnent ! », s’exclame Courant. Quand les joueurs du PUC sortent — vainqueurs 70 à 5, un quart de ligne demain dans l’Équipe — j’assure à mon compagnon qu’il vient de voir plus d’exploits en quatre–vingt minutes qu’en une année de matchs internationaux. Il crie bravo à Herrero et Herrero lui sourit, le magicien du rugby a reconnu dans le fervent supporter son envers médiatique, et je me demande pourquoi aucune grande vedette du sport ne figure dans la liste des cinématonsés, aux côté des Jean–Luc Godard, Astruc, PPDA, Sandrine Bonnaire.

Aditya, suite et fin.

Gérard Courant prépare deux chocolats, un pour lui et un pour moi. « Avec ce film, j’ai voulu dépasser Cinématon. Car Cinématon existait déjà quand j’ai fait Aditya, fin 1979. Cinématon, commencé en 1978, n’a vraiment pris le pas sur le reste qu’en 1984. Aucun media aujourd’hui ne parlerait d’un film comme ça. Reste des critiques isolés, les cinémathèques tout juste. » Bref retour sur les émotions de la Cipale. « Tout de même, soixante–dix points ! Aucagne vingt–quatre à lui tout seul, comme je l’avais annoncé ! Et personne pour applaudir à la rentrée aux vestiaires. Sauf nous deux. » On continue ?...
Il rallume. « Si tu avais un magnétoscope chez toi, tu pourrais revoir Aditya tous les jours », me dit–il.
Martine depuis tout à l’heure n’a pas bougé, pas bougé « d’un cheveu ». Mais quelque chose s’est passé tout autour, RIEN N’EST PLUS PAREIL ! À la place du vieil évier ou lavabo je vois des machins métalliques couleur rouille : des carcasses de boîtes aux lettres.
Le film se déroule et je me livre, bouche et front liés, au martèlement de la musique de Steve Reich, qui me répète comme le train des phrases absurdes : ON PEUT SE SONDER ON PEUT SE SONDER ON PEUT SE SONDER et un peu plus loin UN SESTE À DIX–HUIT POUR CENT UN SESTE À DIX–HUIT POUR CENT UN SESTE À DIX–HUIT POUR CENT.
Le paysage a changé. On est à Belleville. Gérard me dira qu’ils avaient pensé tout tourner dans les ruines du XIIIe, mais il avait plu une semaine, quand ils étaient revenus tout était déblayé, ils n’ont trouvé que de grandes esplanades vides.
AH C’EST BON RAYMOND C’EST BON AH C’EST BON RAYMOND C’EST BON AH C’EST BON RAYMOND C’EST BON
Je remarque que les cheveux de l’actrice sont plus blonds que tout à l’heure.
– Exact. C’est le soleil. Le soleil est le titre du film. Soleil se dit « aditya » en sanscrit. Le film tout entier a été tourné au soleil, en novembre et décembre 1979. Comme je viens de te le dire, on ne tournait que les jours de soleil. Aucun éclairage. Seulement la lumière naturelle.
Ainsi la femme unique est infinie. Les métamorphoses d’un visage à travers une vie, dont un film ordinaire ne donne qu’une faible idée, Courant semble avoir voulu les rassembler en peu de temps et d’espace, dans Aditya.
– J’avais rencontré Martine Elzingre à Avignon. C’était après mon premier long métrage. Elle était spectatrice. J’ai fait un cinématon d’elle, au printemps 78, elle a été sensationnelle. C’est comme ça que je l’ai choisie pour Aditya.
– En somme, Aditya est un cinématon grossi, multiplié par vingt ? Un super–cinématon ? ...
– Ou bien le contraire.
Soleil rasant, tardif.
– Une photo de ce plan a paru dans Libération en 1980.
Maintenant, elle se cache et se montre derrière de très belles plumes de paon (« trouvées aux puces de Montreuil »). Elle apparaît nu. Nu, son visage seulement. Le reste du corps est emmitouflé dans une carapace de saison (long manteau, longue écharpe, large pantalon, bottes). Mais quand elle fait glisser et vibrer et ciller les plumages contre sa poitrine, entre elle et nous, en guettant des yeux des suggestions du réalisateur, elle performe un époustouflant strip–tease sémiologique. Les ocelles, yeux ou oiseaux, la transforment en regard. Et c’est à travers tous ces regards comme des lucarnes sur elle qu’on la voit jusqu’aux profondeurs.
Courant m’avait prévenu : Aditya est un film érotique.
Le visage, toujours plus nu, en gros plan. S’y inscrit toute la douleur et la misère du paysage, et il n’en est que plus beau.
Un mur bouge. La main tremble. Martine disparaît une seconde sans changer de place. Des fragments d’elle bougent. J’entends son coeur battre presque. Même si je sais que c’est puéril, je ne suis pas encore remis du simple regard qu’elle a posé sur moi vers la dixième minute du film, juste avant que nous partions pour le stade.
La caméra tremble dans les mains de Gérard Courant. L’actrice s’élève, s’abaisse, elle garelle. Un mur se défait.
Il devine la question qui me brûle les lèvres.
– Non, me dit–il. Je ne me prends pas pour le soleil.
J’observe qu’Aditya est un film à peu près totalement abstrait (même si j’y accroche indécemment les oripeaux horribles peaux d’or de ma biographie). Une déconstruction continuelle. Martine est partout dans l’image. Elle fait corps avec la matière.
–Note ça, me dit–il.


Si je devais dédier ce texte, je nommerais quelques–uns des compagnons de route du « marginal des marginaux » qu’est Gérard Courant. Au passé récent, Joël Barbouth, Galaxie Barbouth, fille de ce dernier, sous toutes les dimensions du temps ; au présent, Alain Paucard, Dominique Noguez, à jamais moi–même. Les cinématonsés devraient se réunir le prochain 23 juillet (200e anniversaire du 9 thermidor pour, le lendemain, selon le scénario imaginé par Dominique Noguez, se faire guillotiner l’un après l’autre devant la caméra de Gérard Courant en 3’ 25’’ par personne et pour chacun un bon cachet, c’est la moindre des choses.

 


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