LA ROSIÈRE DE PESSAC de JEAN EUSTACHE.

Cinéma 79, n° 252, décembre 1979.

8, 9, 10 juin 1968. À Paris, les dernières barricades tombent face à la reprise en main gaulliste. À Pessac, petite ville de la Gironde, a lieu l’élection de la rosière qui récompense les vertus morales d’une jeune fille faisant honneur à la communauté de sa cité. Jean Eustache, alors jeune cinéaste prometteur (il vient de réaliser Les Mauvaises fréquentations en 1964 et Le Père Noël a les yeux bleus en 1966), filme l’élection, le couronnement, puis la fête de la rosière de Pessac. Avec l’aide des autorités municipales, Eustache porte un regard discret mais sacrément présent sur le « petit monde » qu’il filme. Sa caméra, sobre et tranquille, enregistre ce morceau de réalité sans que, ensuite, Eustache y ajoute un commentaire. Rien que de la réalité brute. Au fil des minutes et des heures, la présence de la caméra et du magnétophone s’estompe. Le maire et les notables se font prendre à leur propre jeu. Ils parlent sans complexe et sans préoccupation de ce qu’ils peuvent dire et de ce que les appareils d’enregistrement cinématographiques peuvent reproduire. Alors, leurs « petits côtés » et leurs faiblesses, leur conservatisme et leur chauvinisme éclatent sur l’écran. Eustache filme comme si la caméra était absente, sans intermédiaire entre le spectateur et les personnes filmées. Cela devient cruel comme si, pour affirmer son authenticité, le réel avait besoin de se laisser filmer, comme dirait l’ami Sollers, tel quel avec le minimum d’intervention de la part du cinéaste. Ce regard porté sur la France profonde en dit plus, sur les coutumes et les usages de notre pays, que tout discours sur une population qui serait à la remorque de son temps, sur la famille, ou sur la femme. Sidérant !

Gérard Courant.

 


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