SUBWAY RIDERS de AMOS POE.

Art press, n° 60, juin 1982.

L’Orson Welles de la New Wave

Les vrais cinéastes sont sans doute ceux dont on se trouve contraint de prononcer le nom quand on ne sait plus comment expliquer autrement les impressions et sentiments innombrables dans des moments rares, devant une rue déserte, la nuit, devant un visage ébranlé par le désespoir ou lors d’un instant inattendu : Parsifal entendu sur l’autoroute battue par la neige en direction de Berlin ; Antonin Artaud criant sa haine à tous ceux qui l’écoutent ; bref, si ces sensations vous assaillent et vous disent : nuit, peur, pavé, mort, espoir, obsession, héroïne, rêve, musique, humidité, c’est que vous venez de lâcher le nom de celui qui, Outre-Atlantique, est en train de taillader le cinéma : Amos Poe.

De tous les cinéastes de la nouvelle génération, Amos Poe est le seul à faire songer à Godard, Nicholas Ray, Sternberg, Eisenstein, Welles, Cocteau réunis. Cherchez bien, il est unique. Pour le chef de file de la New Wave, ce conglomérat cinéphilique n’est pas la marque abusive et hautaine d’un plaisir snob car son film est noir. Noir comme la nuit. Noir comme le plus noir des films noirs. Noir comme The Big Sleep. Noir comme À bout de souffle. Noir comme They live by Night. Et ces gros plans de frigidaire alternés avec d’immenses plans de rues, ces néons, ces couleurs franches, bleues, rouges, ces angles volontairement eisensteiniens et wellesiens, ces ombres étrangement moites ne sont pas le énième ressassement du film noir. Non, Subway Riders, puisqu’il s’appelle ainsi, dépasse tous ces modèles pour faire, au contraire, de ce film New Wave le plus beau des contes citadins : Antony Zindo, saxophoniste et assassin de ses auditeurs, poursuivi par le détective Fritz Langley sera sauvé par un ange de la nuit. Et ce que l’on avait plus vu depuis Cocteau renaît dans le film de Poe. Car Subway Riders nous rappelle que les anges existent. Que les anges entrent par les fenêtres. On croit rêver ! et tant mieux, preuve que Poe porte bien son nom. Preuve qu’Amos a réussi à nous arracher de nos sièges de béton. Et il n’hésite pas à y aller de son corps, lui le Marlon Brando des rues noires, cet Elvis du saxo pour s’offrir le plus beau des rôles : celui du héros godardien exécuté en pleine rue. C’est le monde qui s’effrite en un instant, en un clignement d’oeil. Mais là ou Poe signe son film, c’est dans la dernière séquence emprisonnée par le jour. Anthony Zindo, arraché de la mort par son ange protecteur, s’envole en hélicoptère et lâche un « bande de dégueulasses ».

L’intrigue est légère, mais le film est foudroyant et neuf. Car est neuf ce qui est juste et sera juste ce qui est imprévisible. Et, à chaque séquence de ce film, notre prince new yorkais déroute les plus fidèles admirateurs du film noir. À peine le film noir est entré en nous que survient la féerie. Et quand la féerie a réussi à s’imposer, c’est le portrait d’une génération désespérée qui tente de s’accrocher à sa fureur de vivre. Il va sans dire que cette aisance souveraine dans la manière d’imposer sa loi à l’espace, aux corps, à la mort se double, dès que Poe apparaît sur l’écran, d’une maîtrise absolue de sa présence.

Par conséquent, Amos Poe peut, la tête haute, se balader dans les bas-fonds new yorkais. Nous sommes fiers de son film.

Gérard Courant.

 


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