LA GRANDE ESCROQUERIE DU ROCK’N’ROLL de JULIAN TEMPLE.

Cinéma 81, n° 276, décembre 1981.

La Grande escroquerie du Rock’n’Roll a l’avantage sur beaucoup de films de n’avoir pas hésité à annoncer son escroquerie dès son titre. À qui le devons-nous ? À Malcolm Mac Laren, inventeur et manager des Sex Pistols, scénariste et acteur dans ce film réalisé à l’encontre et contre ce génie de Johnny Rotten, celui par qui le scandale arriva en ce chaud été londonien de 1976.

Voilà la véritable escroquerie de ce gentil film britannique : nous faire prendre l’atroce Sid Vicious pour ce délicieux Johnny, le Punk pour du Rock dégénéré, un film pour un cocktail informe d’images accrochées les unes aux autres et, en fin de compte, faire du tape-à-l’oeil en se démarquant complètement de la violence et de la révolte du Punk.

Le cinéaste est-il au-dessus de tout soupçon en faisant de Sid Vicious, Steve Jones, Paul Cook, les trois autres Sex Pistols, les acteurs d’une douce arnaque alors que leur maître, leur Mick Jagger prolétarisé, c’est-à-dire leur poète, Johnny Rotten, est le plus grand, le plus insensé de tous les musiciens du mouvement Punk ? Le seul musicien, c’est sûr, qui peut garder la tête très haute et s’affubler du titre, si dévalué, de poète. Les voyages d’agrément au Brésil, très peu pour lui. Johnny Rotten comme le Godard de Sauve qui peut (la vie), comme le Fassbinder de L’Année des treize lunes, comme le Welles de Filming Othello préfère travailler, inventer, provoquer, choquer, séduire que de bronzer sur les plages de Rio. Jones, Cooke, Mac Laren et le cinéaste Julian Temple ne l’ont pas compris. Dommage car leur escroquerie, aussi polissonne que L’Amour nu, aussi vulgaire que Garde à vue, aussi véreuse que Les Uns et les autres, aussi arnaqueuse que L’Homme de fer ne peut pas nous faire oublier ces quelques crachats lancés à la face de l’Angleterre :

« Dieu sauve la reine

Ce n’est pas un être humain

Il n’y a pas de futur

Dans l’Angleterre qui rêve ».

Bref, une nouvelle fois, Julian Temple nous apporte la preuve par a + b que pour faire du cinéma il est indispensable d’être honnête, même si on est menteur comme Orson Welles ou cachottier comme David Lynch, et que, pour cette raison, mélanger la vraie vie (les admirables séquences de concert et d’actualités) avec les fausses idées de mise en scène tue les bonnes intentions qui pourraient naître çà et là. Même si quelques plans sublimes de Johnny Rotten insultant l’Angleterre méritent d’être conservés. Pour toujours. On ne peut pas tuer les poètes.

Gérard Courant.

 


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