Libération, 2 juillet 1977.
Pour bien comprendre le ghetto, l’hyper-marginalité, dans lequel étaient piégés les cinéastes indépendants au Festival Cinémarge de La Rochelle, il faut immédiatement préciser que le secteur cinéma des Rencontres Internationales d’Art Contemporain est divisé en deux manifestations bien distinctes (Cinéma et Cinémarge), aux ambitions différentes. Le premier est consacré à promouvoir un cinéma d’auteur, le second, à montrer tout ce qui se fait en marge du Système. Ces deux festivals sont regroupés dans un même lieu de projection, le cinéma Le Dragon.
Le premier, et je ne vous étonnerai pas en vous le révélant, a à sa disposition trois (3) salles contre une pour Cinémarge. Et ces derniers, avec une seule salle, montrent du cinéma militant, certains films d’art-et-d’essai et du cinéma expérimental (différent, si vous préférez). Pour les cinéastes indépendants, il n’est pas difficile d’imaginer que l’espace qui leur est offert était des plus réduits.
Alors, quand on a participé à ce festival, que l’on fait des films de manière indépendante, on sait bien que la formule est insatisfaisante, qu’il faut chercher d’autres modes de présentation de films et, surtout, de s’en donner les moyens. Serait-il utopique d’imaginer un festival qui présenterait et exposerait tous les films proposés aux organisateurs (comme le fait déjà le Festival des Jeunes Auteurs de Belfort) ? Serait-ce un rêve de croire à ça ? Mais si la question de la sélection se posera toujours, que dire de certains manques évidents à La Rochelle et, parmi ceux-ci, l’absence d’une animation avant et après les films. Il existait bien un débat quotidien filmé en vidéo et montré en circuit fermé, mais là encore, le festival officiel avait la part trop belle et cette séance avait une tendance à n’être qu’une terne parodie d’émissions de télévision.
On ressentait surtout un manque de contact chez les cinéastes entre eux, entre les cinéastes et le public et entre les cinéastes et la critique. La projection terminée, tout le monde se trouvait isolé. Il manquait un lieu où les festivaliers auraient pu se retrouver, échanger leurs points de vue, éclairer leurs contradictions. Trop souvent, vouloir rencontrer telle ou telle personne devenait une expédition, le comble pour une manifestation intitulée « rencontres ». Espérons que, dans l’avenir, les organisateurs pourrons remédier à ce manque – ils en étaient conscients ! – et trouver un lieu où chacun pourra rencontrer chacun comme cela existe ailleurs (Digne, Hyères, Marcigny, etc). Souhaitons que cette proposition soit mise en pratique dès l’année prochaine et Cinémarge, devenir le lieu de rencontre privilégiée des différentes tendances de l’autre cinéma.
Autre grief : comme tous les festivals consacrés au jeune cinéma, il est très difficile d’incorporer (mélanger ?), comme c’est le cas à La Rochelle, le cinéma expérimental avec d’autres cinémas (militant, par exemple) sans que celui-là ne lui porte un grave préjudice (salles vides, critiques absents). Car les spectateurs, lorsqu’ils ont le choix, courent vers les films les plus connus et sont accaparés par ceux dont ils ont entendu parler par la presse. Ce sont souvent des films plus faciles, plus narratifs, donc plus mobilisateurs. Comment un film, qui a coûté 90 millions d’anciens francs comme Nucléaire, danger immédiat, peut-il être concurrencé par des films autoproduits par leurs réalisateurs dont les préoccupations sont aussi éloignées que leurs coûts comparatifs de production ?
Mais si l’attitude des organisateurs de Cinémarge est à préciser, à redéfinir, celle des critiques se révèle être le règne de la légèreté. Leur absence quotidienne à Cinémarge montre une fois de plus que leur travail (supposé) délaisse de plus en plus l’information pour la pub, l’analyse pour le travail de lancement de certains films, ces derniers transformés tout simplement en marchandises. Alors, comment un film de recherche, qui refuse de se situer sur ce modèle, peut-il lutter avec tel film mettant en vedette la dernière star du moment ?
Toutefois, au moment où Cinémarge présentait la rétrospective « Cinéma pédé, gouine et autres », les habitués et rares spectateurs virent débarquer, en grande quantité, ces représentants de la presse, plus préoccupés à consommer la représentation souvent spectaculaire de l’homosexualité que d’essayer de faire l’effort de découvrir les dernières recherches sur le cinéma qui font que l’on a encore envie de s’enfermer dans des salles obscures quand, dehors, brille un soleil tenace.
À défaut de mieux et les festivals étant ce qu’ils sont – à nous d’essayer d’en créer d’autres, mieux adaptés à nos exigences – les boycotter serait un non sens grave pour un cinéma qui est tenu à l’écart et, pour tous les jeunes cinéastes différents, c’est une chance à saisir de pouvoir montrer leurs films sans combiner avec les marchands de soupe.
Gérard Courant.
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